Le 21 juin 2021, Journée nationale des peuples autochtones au Canada, le Parlement canadien adoptait en grande pompe la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je rappelle que cette Loi était nécessaire pour permettre à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) de trouver application au Canada.
Tous les espoirs étaient alors permis pour les peuples autochtones qui attendaient depuis 2007 que la DNUDPA soit formellement reconnue au pays et surtout pleinement mise en Suvre dans le droit canadien. Or, où en sommes-nous quatre ans plus tard?
Cette loi fédérale contient essentiellement quelques dispositions dans lesquelles on prévoit notamment l'adoption d'un plan d'action permettant la mise en Suvre de la DNUDPA au sein des 41 ministères et organismes fédéraux.
Ce plan d'action a été adopté et présenté au mois de juin 2023, deux ans suivant l'adoption de la loi. On y prévoit 181 mesures qui devront être adoptées. Ce plan est d'une durée de cinq ans, soit jusqu'en 2028, et a été élaboré avec la collaboration de plusieurs organismes et gouvernements autochtones.
Nadir André est un avocat spécialisé en droit autochtone. Habitué des négociations autour des revendications territoriales globales et particulières, il participe à certaines d'entre elles au Québec, en Ontario et au Manitoba. Me André s'intéresse aussi aux dossiers liés aux projets d'exploitation des ressources naturelles dans lesquels sont impliquées des communautés et des entreprises autochtones.
Rapport d'avancement
Le 20 août dernier, le ministère fédéral de la Justice a publié le 4e rapport annuel sur l'avancement du plan d'action. On y apprend que des travaux ont été amorcés concernant 170 des 181 mesures contenues dans le plan. Jusqu'à présent, 6 mesures ont été complétées et les autres seraient à différentes étapes de réalisation. J'ignore comment il sera possible de réaliser l'ensemble des autres mesures au cours des trois années restantes dans l'échéancier.
D'autant plus que les progrès annoncés dans le rapport pourraient être qualifiés de mineurs. À titre d'exemples : modification de la Loi d'interprétation visant à permettre l'interprétation de la Déclaration dans les lois fédérales (mesure 2), mise en place d'un comité consultatif (mesure 22), publication d'une stratégie en matière de justice autochtone (mesure 28), poursuite des efforts en vue de lever les avis concernant la qualité de l'eau potable (mesure 16), etc.
En réponse à la publication de ce 4e rapport d'avancement, l'Assemblée des Premières Nations a réagi en déclarant ceci : « Nous reconnaissons le niveau accru de détail et de transparence de ce rapport par rapport aux années précédentes, mais ce dernier manque toujours de mesures significatives pour garantir que les politiques, les lois, les processus de consultation et les mandats du Canada sont conformes à l'esprit et à l'intention de la Déclaration. Il sera particulièrement important d'agir, car le Canada vise à faire avancer d'importants projets d'infrastructure et à renforcer son économie. Le respect et un véritable partenariat s'avéreront essentiels pour progresser. » Diplomatie oblige...
Les actions récentes du gouvernement fédéral
Comme il fallait s'y attendre, les représentants autochtones demeurent grandement préoccupés par l'adoption récente de la loi C-5 (sur l'unité de l'économie canadienne) qui vise notamment à accélérer les grands projets d'intérêt national. Ils se demandent comment il sera possible de concilier la mise en Suvre de la DNUDPA et les principes permettant aux peuples autochtones d'être consultés sur les grands projets susceptibles d'affecter leurs droits constitutionnels avec la volonté du gouvernement Carney d'accélérer ces grands projets.
De plus, le gouvernement fédéral a annoncé des compressions budgétaires pour l'ensemble des ministères, dont celui des Services aux Autochtones, alors que la mise en Suvre des 181 mesures du plan d'action de la Déclaration nécessitera forcément des investissements.
D'aucuns peuvent se demander comment il sera possible d'augmenter le financement destiné aux peuples autochtones pour mettre en Suvre ce plan d'action tout en imposant des compressions budgétaires dans l'ensemble des ministères et organismes fédéraux. Je comprends donc les inquiétudes soulevées par les représentants des peuples autochtones.
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Les grands projets
Ajoutons à cela que depuis l'adoption de la loi C-5, le gouvernement Carney est passé en mode actif. En l'espace de quelques semaines, on annonce que les agrandissements projetés du port de Montréal et celui de Churchill au Manitoba iraient de l'avant, sans compter que le Bureau des grands projets (prévu dans la loi C-5) sera dirigé par Dawn Farrell, l'ancienne PDG de Trans Mountain, laissant présager la réalisation de projets reliés au transport de pétrole et de gaz naturel.
Toutes ces annonces n'ont rien pour rassurer les peuples autochtones en ce qui a trait au respect de leurs droits territoriaux et de la mise en Suvre sérieuse de la DNUDPA.
Consultation ou consentement
Le gouvernement Carney tente de se faire rassurant en promettant que les peuples autochtones seront consultés et impliqués dans les différentes étapes de réalisation de ces grands projets.
Il est pertinent de rappeler que l'obligation de consulter et d'accommoder les peuples autochtones est reconnue depuis plus de 20 ans par la Cour suprême du Canada. L'enjeu, ici, se situe dans la notion de consentement préalable libre et éclairé contenue dans la DNUDPA et dans quelle mesure cette notion se distingue du droit d'être consulté et accommodé.
Dans la même veine, on assiste depuis un certain temps à un débat, surtout médiatique, dans lequel on associe le consentement autochtone à une forme de veto. J'avais d'ailleurs déjà écrit une chronique à ce sujet le 9 juin dernier. Ce sujet continue à être abordé dans plusieurs éditoriaux et chroniques à travers le pays malgré les différences évidentes entre le consentement et un droit de veto. Ce faux débat n'aide en rien l'avancement de la mise en Suvre de la DNUDPA au pays.
Et les provinces?
Mise à part la Colombie-Britannique qui a adopté une loi de mise en Suvre de la DNUDPA en 2019 (soit deux ans avant la loi fédérale), aucune autre province ne lui a emboîté le pas. À noter que les Territoires du Nord-Ouest ont adopté une telle loi l'année dernière. On ignore jusqu'à présent si et quand une autre province adoptera une loi reconnaissant cette Déclaration.
Au pays, ce sont les provinces qui détiennent « la propriété » des terres et des ressources naturelles. Il est évident que les droits autochtones sont directement liés à ces terres et ressources naturelles, sans compter les autres compétences législatives provinciales telles que la santé, l'éducation, la justice et la police, etc.
L'hésitation des provinces à adopter de telles lois semble reliée à l'incertitude entourant le consentement autochtone et les effets que ce droit pourrait avoir sur les capacités des provinces d'autoriser des projets de développement des ressources naturelles.
Je rappelle que la Colombie-Britannique a adopté sa loi il y a plus de six ans. Aux dernières nouvelles, la Colombie-Britannique continue à développer ses ressources naturelles en plus d'être la plus avancée à travers le pays en matière de reconnaissance des droits autochtones. Loin d'être parfaite, elle demeure un exemple à suivre tant pour le gouvernement fédéral que pour les autres ordres de gouvernement.
Triste constat
Bien qu'il soit trop tôt pour tirer des conclusions, je ne peux m'empêcher de me demander s'il s'agira encore d'une autre démarche fédérale à l'endroit des autochtones dont la plupart des recommandations ne seront jamais mises en Suvre.
Je dis cela parce que ça ressemble étrangement au cas de la Commission de vérité et réconciliation présidée par le défunt Murray Sinclair, dont les dernières données indépendantes nous indiquent que seulement 15 des 94 appels à l'action contenus dans le rapport de la commission datant de 2015 ont été complétés.
On parle ici d'une période de 10 ans pour mettre en Suvre 94 recommandations. Quant à l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la majorité des 231 appels à la justice n'ont toujours pas été complétés, bien qu'il se soit écoulé plus de six ans depuis le dépôt du rapport final, en juin 2019.
Le constat qui se dégage de la mise en Suvre de la DNUDPA au pays ne peut être plus clair. Les peuples autochtones devront s'armer de patience et surtout rester aux aguets. Car, une fois de plus, il devient malheureusement évident que l'État canadien n'est pas pressé de reconnaître les droits des peuples autochtones et de réparer les injustices du passé, alors qu'il s'empresse de faire approuver toutes sortes de projets au nom du soi-disant « intérêt national », en prenant des raccourcis qui empiéteront non seulement sur les droits autochtones, mais également sur l'environnement et la santé de toutes et tous.
Originally Published by Espaces Autochtones
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