C'est mon tout premier billet de blogue chez Rubin Tomlinson LLP et c'est avec plaisir que j'ajoute ma plume aux analyses de mes collègues! Je reste en terrain connu avec une publication pour les employeurs de compétence fédérale, et les personnes menant des enquêtes en milieu de travail réglementé par le Code canadien du travail. Avant de me joindre à l'équipe, c'est dans le secteur fédéral que j'ai mené la majorité de mes enquêtes.
Dans les dernières années, j'ai eu la chance d'avoir des discussions passionnantes avec certains collègues sur le cadre juridique entourant les modifications législatives innovatrices ayant été apportées par le projet de loi C-65 et le Règlement sur la prévention du harcèlement et de la violence dans le lieu de travail qui, avouons-le... laissent place à l'interprétation. Je vous ferai donc part dans mes prochains billets de blogues de quelques-unes de mes interprétations et réflexions qui demeurent d'actualité. Comme quoi le législateur fédéral aime bien nous garder sur le qui-vive !
Aujourd'hui, je commence avec la base et curieusement le morceau le plus controversé soit une réflexion sur la définition du harcèlement au sein du Code canadien du travail. Il y a plus de 4 ans, lors de l'entrée en vigueur du projet de loi C-65 et de la nouvelle définition du harcèlement au sein du Code canadien du travail à l'article 122(1), il semblait y avoir un certain consensus à l'effet que le seuil pour atteindre cette définition de harcèlement était plus bas que celui d'autres lois provinciales comme au Québec ou en Ontario, et donc, qu'un comportement allégué aurait plus de chances de rencontrer les critères du harcèlement pour un employeur de compétence fédérale que pour un employeur de compétence provinciale. À tout le moins, ce fut une crainte pour plusieurs employeurs.
Bien que les tribunaux ne se soient pas encore penchés de manière approfondie sur cette définition pour clore le débat, j'oserais avancer qu'il existe d'excellents arguments pour remettre en question cette interprétation initiale. À mon avis, lorsque cette définition est appliquée à un ensemble de faits, les critères sont pratiquement identiques à ceux découlant de la législation ontarienne et québécoise :
Définition de l'article 122(1) du Code canadien du travail (fédéral) :
- Harcèlement et violence Tout acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos ré
Définition de l'article 81.18 de la Loi sur les normes du travail (Québec) :
- Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique de la personne salariée et qui entraîne, pour celle-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu'elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour la personne salariée.
Définition de l'article 1 de la Loi sur la santé et sécurité au travail (Ontario) :
- « harcèlement au travail » s'entend :
a) du fait pour une personne d'adopter une ligne de conduite caractérisée par des remarques ou des gestes vexatoires contre un travailleur dans un lieu de travail, y compris virtuellement par l'usage de la technologie de l'information et des communications, lorsqu'elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns;
En effet, les deux lois provinciales réfèrent à une « conduite vexatoire », alors que le Code canadien du travail réfère à une conduite « offensante » ou « humiliante ». La définition du terme vexatoire est pratiquement synonyme à mon sens de ces termes. Le dictionnaire Larousse définit le terme « offensant » comme quelque chose qui blesse la dignité, l'honneur et le mot « humilier » comme quelque chose qui atteint quelqu'un dans son amour-propre, sa fierté, sa dignité (...). Le terme « vexation » quant à lui réfère à une action, parole ou situation qui inflige une blessure d'amour-propre à quelqu'un.
Une des différences vient cependant du fait que la définition québécoise exige également une atteinte à la dignité ou à l'intégrité physique, alors que dans la définition fédérale, un « ou » rend la blessure physique ou psychologique facultative (si le geste est offensant ou humiliant). Or, dans les faits, est-il fréquent de voir des cas de comportements offensants et humiliants qui n'engendrent aucune atteinte à la dignité dans le cadre d'enquêtes au fédéral ? Cela dépendra de l'interprétation qu'en fera les tribunaux, mais du point de vue de leur définition, les termes offensant et humiliant incluent une atteinte à la dignité.
Pourtant, il y a bien une différence majeure à première vue : Le critère de la répétition. Les définitions québécoises et ontariennes parlent de gestes répétés ou de gestes (au pluriel), alors que la définition fédérale parle d'un acte, comportement, propos (au singulier). Cela pourrait laisser présager que le seuil pour atteindre la définition de harcèlement soit plus bas. Or, au moment d'appliquer les faits au critère (humiliant ou offensant), il me semble qu'un seul comportement devra être suffisamment grave afin d'atteindre le seuil d'un geste offensant ou humiliant, et dans le cas contraire, les comportements devront être suffisamment répétés si leur gravité est moindre. Le résultat est donc le même puisque les législations ontariennes et québécoises prévoient également cette possibilité d'un seul geste suffisamment grave pour constituer du harcèlement, et la définition fédérale n'exclut pas la possibilité de gestes répétés en utilisant le singulier.
Par ailleurs, il y a bel et bien une analyse objective des comportements à effectuer dans le cas de la définition du Code canadien du travail. Dans la définition en français, cela se reflète par le terme « vraisemblablement », alors qu'en anglais le terme utilisé est « reasonably ». À mon sens ces termes indiquent que tout comme dans le cadre de la loi ontarienne et québécoise, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et ayant des caractéristiques similaires devrait également en arriver à la conclusion que ces comportements sont offensants ou humiliants.
Pour revenir à mon argument soulevé précédemment en lien avec le critère de répétition : est-ce qu'une personne raisonnable conclurait à du harcèlement dans le cadre d'un seul acte, comportement ou propos qui n'est pas particulièrement grave ? Je ne crois pas. Le résultat est donc selon moi le même dans le cadre de ces trois définitions, soit que le harcèlement implique toujours une analyse du rapport gravité/répétition des gestes.
La loi québécoise est certes plus explicite sur ces critères et dans ce cas-ci, sur la nécessité que les comportements en question soient suffisamment graves pour constituer du harcèlement. Or, à mon avis ces nuances demeurent superficielles et reflètent peut-être simplement la difficulté liée au fait de décrire le harcèlement au travail en termes et critères juridiques. J'ajouterais que le terme « harcèlement » a une signification qui dépasse le droit et il est établi tant dans le langage courant que dans la jurisprudence que le harcèlement implique un certain niveau de gravité. Dans ce contexte, bien que le législateur ait certes voulu instaurer un certain changement de culture dans les milieux de travail, je ne crois pas qu'il ait eu l'intention de créer un seuil aussi bas qu'on le pensait au départ.
Tant qu'un tribunal ou une cour n'aura pas clarifié l'interprétation de la clause fédérale, une certaine ambiguïté subsistera. Ce que j'ai écrit ci-dessus est mon interprétation, mais il est toujours possible qu'un décideur l'interprète différemment. En attendant des éclaircissements sur la question, il est important que les personnes menant des enquêtes pour le compte d'employeurs sous réglementation fédérale, lorsqu'elles analysent si une partie mise en cause s'est livrée à du harcèlement, examinent attentivement la définition du harcèlement et expliquent dans le rapport d'enquête comment ce terme a été interprété.
Enfin, Il est également prudent pour les enquêteurs, en particulier ceux qui exercent à l'interne, de demander conseil à un avocat s'ils ne sont pas certains de la manière d'appliquer la définition. De la même manière un employeur devrait faire preuve de grande prudence et consulter un avocat avant d'écarter en tout début de processus des allégations soulevées par une personne plaignante, sous prétexte que les faits allégués ne semblent pas à première vue rencontrer la définition de harcèlement au travail. Comme nous le verrons dans mes prochains billets, il peut s'agir d'une erreur coûteuse pour tout employeur de compétence fédérale dans le contexte de ce cadre juridique qui donne désormais les rênes du processus à la personne plaignante.
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