En affaires, la création d'une filiale par une entreprise est une stratégie courante. Les raisons de cette stratégie varient, mais comprennent souvent l'atténuation des risques, l'optimisation fiscale, l'orientation parmi les cadres réglementaires et la séparation d'activités commerciales précises.
L'un des principaux principes juridiques fondant cette approche est la notion de personnalité juridique distincte, élément fondamental du droit des sociétés dans de nombreux territoires, y compris au Canada. En droit canadien des sociétés, ce principe établit qu'une personne morale est une entité indépendante, distincte de ses actionnaires, de ses administrateurs et de ses dirigeants. Par conséquent, chaque filiale fonctionne de façon autonome, conservant ses propres actifs et passifs et sa propre direction, tout en profitant en théorie, sinon en pratique, du soutien et de l'orientation stratégique de sa société mère.
Cependant, cette séparation juridique n'est pas absolue. Lorsqu'une filiale fait l'objet d'un litige, d'une faillite ou d'un examen réglementaire, les tribunaux et les demandeurs peuvent chercher à étendre la responsabilité à la société mère. De tels cas remettent en cause la présomption de personnalité juridique indépendante et soulèvent des questions quant aux limites de la responsabilité des personnes morales.
Quand un tribunal décide en fait qu'une société mère doit être tenue responsable des actes de sa filiale, on parle de « lever » ou de « percer » le « voile de la personnalité morale » ou le « voile social ».
Les tribunaux canadiens ne prennent pas à la légère la décision de lever ou de percer le voile social. Il s'agit d'un recours exceptionnel, invoqué seulement en cas d'atteinte réelle ou possible à l'intégrité de la structure organisationnelle.
En général, les tribunaux canadiens ne lèvent ou ne percent le voile social que si les deux conditions suivantes sont réunies :
- Il est prouvé que la filiale manque d'autonomie et fonctionne seulement comme l'« alter ego » de la société mère;
- Il est prouvé que la structure organisationnelle a été manipulée pour faciliter la fraude, échapper à l'ordre public ou éviter des obligations légales.
Le recours judiciaire visant à lever ou à percer le voile social demeure exceptionnel, s'appliquant généralement aux fins suivantes :
- Prévenir ou faire cesser une fraude ou un abus : Lorsqu'une filiale sert simplement de façade pour dissimuler une inconduite.
- Décourager le manquement à des obligations légales : Si une filiale est créée pour esquiver des obligations fiscales, contractuelles ou réglementaires.
- Reconnaître le contrôle excessif exercé par la société mère : Lorsqu'une société mère exerce un contrôle tellement dominant sur une filiale que celle-ci est privée d'une réelle autonomie.
Le présent article ne vise pas à expliquer quand ces conditions sont remplies, mais plutôt à décrire les facteurs pratiques que le tribunal prend généralement en considération dans le cadre de son analyse en vue de déterminer s'il convient de lever ou de percer le voile social. Ces facteurs s'établissent comme suit :
- Chevauchement de propriété et de personnel : Existe-t-il un chevauchement important entre la propriété, les administrateurs ou les dirigeants de la société mère et ceux de la filiale? La société mère détient-elle, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité des actions de la filiale? Les personnes qui dirigent la filiale ont-elles été nommées par la société mère?
- Exercice d'activités essentiellement identiques : La société mère et la filiale exercent-elles des activités commerciales, ou fournissent-elles des services, essentiellement identiques?
- Sous-capitalisation de la filiale : La filiale dispose-t-elle d'un capital-actions ou d'un financement à long terme insuffisant par rapport à l'étendue de ses activités ou de ses dettes? La filiale dépend-elle fortement de prêts intersociétés?
- Entité unique ou non : La société mère présente-t-elle sa filiale et elle-même comme une entité unique, par exemple en utilisant la même marque distinctive, les mêmes locaux à bureaux et les mêmes voies de communication, de sorte que les tiers peuvent raisonnablement présumer qu'ils font affaire avec une seule entreprise unifiée?
- Autorité apparente : La société mère donne-t-elle l'impression que la filiale a le pouvoir d'agir en son nom? Des cadres ou des représentants communs agissent-ils de façon interchangeable entre les deux entités?
- Pouvoir discrétionnaire d'entreprise indépendant : La filiale exerce-t-elle sa propre appréciation commerciale indépendante, ou la société mère contrôle-t-elle ses processus décisionnels? Les administrateurs ou les dirigeants de la filiale prennent-ils les décisions clés, ou leurs pouvoirs sont-ils révoqués? Les décideurs agissent-ils principalement au nom de la société mère, plutôt que d'exercer un jugement indépendant dans l'intérêt de la filiale?
- Tenue de livres et de documents distincts : La filiale tient-elle ses propres documents financiers et documents d'entreprise indépendamment de la société mère? La filiale tient-elle des réunions officielles et documentées de son conseil d'administration?
- Mise en commun et intégration financières : Y a-t-il eu mélange de fonds ou d'actifs entre la société mère et la filiale? Les bénéfices de la filiale sont-ils traités comme des bénéfices de la société mère? Les bénéfices de la filiale sont-ils tous systématiquement distribués sous forme de dividendes?
- Ressources partagées : La société mère et la filiale partagent-elles des locaux à bureaux, des adresses, des numéros de téléphone ou d'autres biens?
- Documents opérationnels partagés :La société mère et sa filiale partagent-elles des documents opérationnels tels des contrats et des factures ou recourent-elles aux mêmes représentants?
- Acquisition d'équipement et de personnel : La société mère a-t-elle acquis de l'équipement ou payé la rémunération de personnel pour la filiale?
Quels éléments clés devraient guider la structuration et l'exploitation d'une filiale pour aider à préserver son indépendance juridique et à réduire le risque de responsabilité de la société mère?
- Il faut surtout retenir que la simple constitution d'une filiale en personne morale ne suffit pas en soi à garantir la séparation juridique par rapport à la société mère ni à protéger cette dernière contre toute responsabilité à l'égard des actes de sa filiale.
- Les facteurs susmentionnés ne doivent pas nécessairement tous être présents pour que soit levé ou percé le voile social.
- Plus ces facteurs sont présents dans une situation particulière, plus il est probable que le voile social sera levé ou percé.
- Les pratiques suivantes contribuent à renforcer la
séparation entre les deux entités :
- Maintenir des structures juridiques distinctes: Veiller à ce que la filiale soit dûment constituée en personne morale, dotée d'un capital-actions, de règlements administratifs et d'une structure organisationnelle qui lui sont propres. Nommer des administrateurs et des dirigeants indépendants, même s'ils sont affiliés à la société mère.
- Respecter les formalités d'entreprise: Établir des documents financiers, des déclarations et des procès-verbaux des réunions du conseil distincts.
- Assurer l'indépendance financière: Utiliser des comptes bancaires et des systèmes comptables distincts.
- Différencier la marque distinctive et la communication: Utiliser des noms, des logos, des courriels et des sites Web uniques. Veiller à ce que les tiers sachent clairement avec qui ils font affaire dans leurs contrats et leurs factures.
- Équilibrer contrôle et autonomie: Utiliser des ententes officielles (c.-à-d. des conventions d'actionnaires ou des modalités d'établissement de rapports) pour superviser la filiale, mais éviter les directives informelles ou les ingérences quotidiennes de la société mère qui minent l'autonomie et le pouvoir discrétionnaire de la filiale.
- Documenter les opérations intersociétés: Dans la mesure du possible, structurer et documenter les opérations intersociétés en fonction de conditions commercialement raisonnables. Malgré la faible probabilité d'une parité parfaite par rapport au marché, conserver des ententes écrites et des justifications claires à l'appui de l'arrangement.
- Ne pas induire les tiers en erreur: Toutes les déclarations adressées aux créanciers, aux fournisseurs ou aux partenaires commerciaux doivent être exactes et faites de bonne foi.
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