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13 March 2025

Incertitude Économique Et Droit Contractuel Québécois : Comment Les Entreprises Peuvent-elles Faire Face À La Hausse Des Coûts Et Des Tarifs ?

MT
McCarthy Tétrault LLP

Contributor

McCarthy Tétrault LLP provides a broad range of legal services, advising on large and complex assignments for Canadian and international interests. The firm has substantial presence in Canada’s major commercial centres and in New York City, US and London, UK.
Cet article fournit un guide stratégique permettant aux entreprises québécoises d'évaluer leurs engagements contractuels en réponse aux tarifs douaniers et à l'augmentation des coûts en utilisant des outils.
Canada Quebec Corporate/Commercial Law

Cet article fournit un guide stratégique permettant aux entreprises québécoises d'évaluer leurs engagements contractuels en réponse aux tarifs douaniers et à l'augmentation des coûts en utilisant des outils du droit québécois. Il explore les considérations clés pour aider les entreprises à comprendre comment leurs contrats et le droit québécois peuvent être utilisés pour naviguer dans un climat commercial de plus en plus incertain et complexe.

Naviguer dans le système de droit civil québécois dans les contrats commerciaux

La plupart des principes qui sous-tendent le système unique de droit civil québécois sont similaires à ceux de la common law. Toutefois, certains concepts clés revêtent une importance particulière en droit contractuel québécois et sont essentiels pour comprendre le cadre juridique plus large dans lequel s'inscrivent les contrats commerciaux. Au Québec, le principe de bonne foi régit toutes les relations contractuelles, ce qui signifie que les parties doivent exercer leurs droits de manière raisonnable, en évitant tout comportement excessif ou déraisonnable1. En vertu du Code civil du QuébecC.c.Q. »), les tribunaux peuvent également lire des obligations implicites dans les contrats, qui sont réputées accompagner les clauses explicites de ceux-ci. Le fait de savoir si les parties concernées opèrent au sein d'un secteur ayant des pratiques ou des normes établies peut aider à interpréter le contrat à la lumière de circonstances changeantes.

Pour bien comprendre leurs obligations contractuelles, les entreprises doivent :

  • Examiner les termes et la durée de leurs contrats pour confirmer leur compréhension de l'étendue de leurs obligations en vertu du droit civil québécois; et
  • Évaluer l'environnement commercial au sens large afin de déterminer comment certains facteurs externes peuvent influencer leurs contrats.

Les questions clés à prendre en compte incluent les suivantes :

  • Le contrat prévoit-il des clauses de résiliation et, dans l'affirmative, quelles en sont les conditions ?
  • Existe-t-il des obligations contractuelles conditionnelles à la performance de l'autre partie ou à la survenance d'un certain événement ?
  • Existe-t-il des documents secondaires (par exemple, des bons de commande ou des modalités générales) qui font partie du contrat ?
  • Comment une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances agirait-elle, compte tenu du secteur et des pratiques antérieures ?

Clauses d'ajustement des prix et des coûts et conditions de livraison

De nombreux contrats commerciaux contiennent des clauses d'ajustement des prix ou des coûts, notamment en cas de changements aux facteurs externes. De même, certains contrats contiennent des clauses préexistantes qui prévoient le partage de responsabilité pour (i) le paiement de certains coûts (par exemple, les taxes d'importation et d'exportation) et (ii) la livraison des marchandises, en particulier pour les parties impliquées dans le commerce transfrontalier qui utiliseront souvent les termes commerciaux internationaux (« Incoterms ») pour régir ce partage de responsabilité. Ces clauses peuvent être déclenchées ou affectées négativement par l'effet des fluctuations du coût des matériaux, des tarifs douaniers ou d'autres facteurs économiques. Par ailleurs, les conditions de livraison, y compris celles prévues par certains Incoterms, exigent souvent du vendeur qu'il livre les marchandises à l'acheteur après avoir acquitté tous les droits de douane. Les entreprises doivent examiner et confirmer si leurs contrats comportent des clauses d'indexation des prix ou des conditions de livraison susceptibles de déclencher l'obligation de renégocier ou d'ajuster automatiquement les conditions de paiement.

Manquement contractuel et recours

Au Québec, le non-respect d'une obligation contractuelle sans justification peut entraîner une faute. La partie non fautive peut rechercher un recours, notamment les suivants :

  1. Exécution spécifique : Une partie non fautive peut demander aux tribunaux de contraindre la partie fautive à exécuter ses obligations. Cette procédure, connue sous le nom de « specific performance » et généralement obtenue par la voie d'une injonction, est la norme en droit civil québécois, contrairement aux juridictions de common law, où elle est généralement considérée comme un recours exceptionnel.
  2. Résolution : En cas de faute grave, la partie non fautive peut opter pour la résolution rétroactive et prospective du contrat. Le contrat résolu est réputé n'avoir jamais existé et chaque partie est replacée dans la position où elle était avant la formation du contrat.
  • Résiliation : Lorsqu'il s'agit d'une faute grave ou de fautes de peu d'importance répétées dans un contrat à exécution successive (c'est-à-dire un contrat dont la nature de l'ouvrage exige que les obligations soient exécutées en plusieurs étapes ou de manière continue), la partie non fautive peut également résilier le contrat à titre prospectif. Le contrat résilié cesse d'exister pour l'avenir seulement.
  1. Réduction des obligations ou exception pour inexécution : En cas de faute de peu d'importance, la partie non fautive peut demander une réduction proportionnelle de ses obligations envers la partie fautive. Toutefois, en cas d'inexécution ou de non-exécution substantielle d'une obligation dans un contrat à exécution successive, la partie non fautive peut être à même de refuser d'exécuter ses obligations dans une mesure proportionnelle à la faute de l'autre partie
  2. Droit de rétention : Si la partie non fautive a en sa possession, de façon consensuelle, des biens de la partie fautive, elle pourrait demander de les retenir en attendant le paiement de la totalité de la créance, si la créance est due et étroitement liée au bien retenu.
  3. Dommages et intérêts : Une partie à un contrat peut également demander des dommages-intérêts en cas de défaillance. Au Québec, les dommages-intérêts sont généralement compensatoires et visent à rétablir une partie non fautive dans la position où elle aurait été si son cocontractant n'avait pas été fautif. Les dommages-intérêts punitifs sont accordés relativement rarement et dans des circonstances plus exceptionnelles, notamment lorsqu'une partie cause intentionnellement un préjudice à son cocontractant.

Selon les circonstances spécifiques, le refus d'un cocontractant de coopérer pour ajuster le contrat à la situation économique actuelle peut donner ouverture à certains de ces recours.

Bonne foi, obligations implicites et obligation de renégocier

Tel que mentionné précédemment, le principe de bonne foi s'applique à toutes les relations contractuelles au Québec. Il empêche une partie d'exercer une clause de résiliation ou de mettre fin à un contrat de manière abusive ou arbitraire. Les tribunaux québécois ont développé le devoir d'information en droit contractuel québécois, qui exige que toutes les parties divulguent les informations pertinentes à leurs cocontractants avant et pendant la formation d'un contrat afin qu'ils puissent faire un choix éclairé quant à la conclusion du contrat et ses conditions. Une partie peut être sanctionnée par les tribunaux québécois si elle dissimule des informations susceptibles d'influencer la décision de son cocontractant. Une telle dissimulation peut également permettre au cocontractant de refuser d'honorer ses obligations.

Dans un arrêt important de 2018, Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, la Cour suprême du Canada a établi que le droit civil québécois ne reconnaît pas une obligation générale de renégocier les conditions d'un contrat à la suite de changements importants survenus sur le marché qui affectent gravement l'une des parties. Elle a établi que la doctrine de l'imprévisibilité (unforeseeability), permettant la renégociation d'un contrat devenu excessivement onéreux en raison d'événements imprévisibles, n'est pas reconnue en droit civil québécois.

Cependant, la Cour suprême a reconnu que, dans certaines circonstances particulières, une obligation de renégociation peut être implicite. La Cour a établi une distinction entre les contrats « transactionnels » et les contrats « relationnels » :

  • Les contrats transactionnels sont ceux comportant des obligations clairement définies et quantifiées, où il n'y a pas d'obligation implicite de collaborer.
  • Les contrats relationnels exigent une collaboration et une coopération permanente. Ils comportent une obligation implicite de renégocier les termes d'un contrat lorsque des circonstances changeantes affectent les obligations de chaque partie.

En outre, la Cour suprême a fixé un seuil élevé pour déterminer quand un contrat peut impliquer une obligation de renégocier. Elle a souligné que, pour que la renégociation des prix convenus soit implicite en raison de changements survenus sur le marché, il faudrait que le contrat soit incompréhensible ou qu'il n'ait pas de fondement ou d'effet significatif en l'absence d'une telle clause implicite.

Force majeure

La doctrine de la force majeure prévue à l'article 1470 du C.c.Q., peut dispenser les parties d'exécuter des obligations contractuelles devenues trop onéreuses si des événements imprévisibles, tels que des tarifs ou des catastrophes naturelles, rendent leur exécution impossible. L'établissement de l'impossibilité d'exécution est une question de fait et fixe un seuil élevé pour les parties qui cherchent à invoquer la force majeure; il ne pas suffit de démontrer que le respect d'une obligation entraînera des difficultés financières.

Certains contrats contiennent également leurs propres clauses de force majeure, qui peuvent établir des critères plus larges ou plus étroits que ceux prévus à l'article 1470 du C.c.Q. pour définir ce qui constitue un événement de force majeure.

Contrats de service et d'entreprise

Le C.c.Q. prévoit des dispositions spécifiques pour les contrats de service ou d'entreprise. Ces contrats comportent souvent des obligations et des droits spécifiques pour les parties. Les éléments suivants doivent notamment être considérés, en notant que chaque contrat et situation peut contenir ses propres particularités, considérant que les dispositions du C.c.Q. sont supplétives.

  • Droit de résiliation du client : Un client peut résilier unilatéralement un contrat à tout moment, y compris après le début des travaux, bien qu'il puisse être tenu responsable de tous les coûts, y compris des dommages-intérêts, encourus par l'entrepreneur ou le prestataire de services.
  • Droit limité du prestataire de services à la résiliation : Un entrepreneur ou un prestataire de services ne peut résilier le contrat que pour des motifs sérieux, qui doivent généralement avoir été imprévisibles au moment de la formation du contrat, et jamais à un moment inopportun pour le client. Dans une affaire récente, la Cour supérieure du Québec a estimé que le fait pour un prestataire de services de se rendre compte que les coûts d'exécution seraient plus élevés que prévu ne constituait pas un motif sérieux permettant la résiliation du contrat2. Dans tous les cas, si le prestataire de services résilie un contrat, il doit prendre des mesures pour minimiser les pertes de l'autre partie.
  • Augmentations de prix et justification : Le C.c.Q. limite la capacité de l'entrepreneur ou du prestataire de services de réclamer des dommages-intérêts ou augmenter les prix en raison d'une augmentation imprévisible des coûts liés à l'approvisionnement du bien ou à la prestation du service. Toute augmentation de prix doit être justifiée et acceptée par le client que si elle est directement liée à des dépenses imprévisibles au moment de la signature du contrat.
  • Contrats à prix fixe : Dans les contrats à prix fixe, le prix ne peut être ajusté même si les coûts d'exécution changent. Le client est tenu de payer le prix convenu, quelle que soit la différence entre les coûts d'exécution estimés et réels. De même, le prestataire de services ne peut pas augmenter les prix en raison de coûts imprévisibles, sauf accord exprès des deux parties.

Conclusion

Alors que les entreprises du Canada et des États-Unis font face à une période d'incertitude importante en raison de l'imposition de tarifs douaniers, elles doivent être prêtes à réviser leurs obligations contractuelles. En ayant une meilleure compréhension des principes du droit contractuel québécois, notamment la bonne foi, la force majeure et les recours en cas d'inexécution, les entreprises québécoises pourront potentiellement être mieux à même de faire face aux défis potentiels et à l'incertitude économique à laquelle elles sont confrontées.

Pour des conseils sur vos obligations contractuelles en vertu du droit civil québécois, nos groupes de droit des affaires et de litige demeurent à votre disposition afin de vous aider à obtenir des résultats qui sont à la fois commercialement solides et respectueux des droits contractuels des parties dans le cadre de transactions ou de litiges commerciaux.

Footnotes

1 Code civil du QuébecC.c.Q. »), art. 6-7.

2 Sintra inc. c. Béton Brunet (Société de services en signalisation SSS), 2023 QCCS 293 au paragraphe 49 (appel rejeté : 2024 QCCA 1217).

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