ARTICLE
28 October 2024

Nouvelle Directive Produits : Eléments Clés À Retenir

Le 10 octobre 2024, le Conseil de l'Union européenne a adopté la proposition de nouvelle Directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (ci-après « la Nouvelle Directive »).
United Kingdom Consumer Protection

Le 10 octobre 2024, le Conseil de l'Union européenne a adopté la proposition de nouvelle Directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (ci-après « la Nouvelle Directive »).

La fin de la Directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (ci-après « la Directive de 1985 ») est donc proche.

Elle avait fait l'objet de plusieurs questionnements à la veille de souffler ses quarante bougies, si bien qu'elle a fait l'objet d'une procédure d'évaluation initiée par la Commission européenne en 2018. Cette procédure a inclus plusieurs consultations et analyses d'impact et a abouti à la proposition 2022/0302, du 28 septembre 2022, de la Commission européenne pour une nouvelle Directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cet article a pour ambition de proposer une revue exhaustive (ou presque) des principaux changements à anticiper pour les fabricants, et autres opérateurs économiques.

La Nouvelle Directive réalise une importante mise à jour des principes, avec pour objectif général de garantir la sécurité de tous les produits qui circulent sur le marché intérieur et de tous les consommateurs européens.

Tout d'abord, la Nouvelle Directive inscrit le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux dans la continuité des autres grands textes européens en matière de sécurité des produits1 . Elle a pour but d'assurer l'harmonisation et la cohérence des notions à l'échelle européenne, et de garantir la complémentarité des différents régimes. Notamment, il est intéressant de noter que la Nouvelle Directive a été pensée en parallèle du Règlement sur les services numériques (Règlement 2022/2065 du 19 octobre 2022, entré en vigueur progressivement et entièrement à compter du 17 février 2024), réglementant notamment les plateformes en ligne, mais aussi du Règlement sur l'intelligence artificielle (Règlement 2024/1689 du 13 juin 2024) qui régit l'usage de l'intelligence artificielle dans l'Union européenne.

Ainsi, il ressort clairement de la Nouvelle Directive que celle-ci apporte un niveau de sécurité additionnel et complémentaire aux consommateurs européens. Alors que les autres textes européens régissent la sécurité des produits en amont de leur mise sur le marché, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux intervient en aval lorsqu'un produit, bien que mis sur le marché et donc en principe sûr, est défectueux et cause un dommage.

Ensuite, la Nouvelle Directive entend réaliser une harmonisation totale des régimes nationaux applicables, contrairement à la Directive de 1985 qui laissait une certaine marge de manSuvre aux Etats Membres. C'est en effet à la suite du constat que les régimes nationaux n'offraient pas les mêmes garanties de protection des consommateurs, que la Commission a considéré nécessaire de réformer le régime de responsabilité du fait de produits défectueux.

Enfin, la Nouvelle Directive pose trois objectifs principaux :

  • Résoudre le flou juridique concernant la manière d'appliquer des définitions et des concepts « vieux de plusieurs décennies » aux produits de l'économie numérique et de l'économie circulaire (1) ;
  • Rééquilibrer la charge de la preuve entre les parties afin de garantir aux consommateurs un accès facilité à des informations de nature complexe (2) ;
  • Garantir qu'il existe toujours une entreprise établie dans l'Union européenne pouvant être tenue pour responsable en ce qui concerne les produits défectueux achetés directement à des fabricants situés en dehors de l'Union européenne (3).

Afin d'appréhender au mieux ces trois objectifs et de comprendre plus en détails les modifications qui devraient être apportées par la Nouvelle Directive au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, il convient de les envisager un par un.

1. Le champ d'application de la Directive ou le passage à l'ère moderne

Les problématiques et les besoins de 1985 n'étant évidemment plus ceux de 2024, la Nouvelle Directive marque une volonté des autorités européennes d'essayer de moderniser le régime actuel de la responsabilité du fait des produits défectueux.

D'une part, cela passe par une nouvelle définition de la notion de « produit » (1.1) ; mais aussi par une extension du champ des dommages réparables (1.2).

D'autre part, cela se confirme par une mise à jour des critères permettant d'apprécier la défectuosité d'un produit (1.3).

1.1 La notion de « produit » à l'ère du numérique

La première modification apportée par la Nouvelle Directive concerne donc le champ des produits inclus dans le régime de responsabilité du fait de produits défectueux. 

Pour rappel, l'Article 2 de la Directive de 1985 prévoit que : « le terme « produit » désigne tout meuble, même s'il est incorporé dans un autre meuble ou dans un immeuble. Le terme « produit » désigne également l'électricité. »

Cette définition laissait subsister une incertitude quant à l'application de la Directive aux produits issus de la production numérique, comme les logiciels ou les fichiers numériques2. La clarification est donc bienvenue et devrait apporter une plus grande sécurité juridique.

Désormais, la Nouvelle Directive prévoit qu'un « produit » se définit comme « tout meuble, même s'il est incorporé dans un autre meuble ou dans un immeuble ou interconnecté avec celui-ci. Le terme comprend l'électricité, les fichiers de fabrication numériques, les matières premières et les logiciels » (Article 4.1)3 .

La notion de « produit » couvrirait donc tous les biens meubles matériels ainsi qu'une large gamme de biens meubles immatériels.

Parmi les produits immatériels, on retrouve donc les logiciels qui ne sont pas définis dans la Nouvelle Directive. Cependant, le considérant 13 vise, à titre d'exemples, « les systèmes d'exploitation, les micrologiciels, les programmes informatiques, les applications ou les systèmes d'IA ». Il faut d'ailleurs noter que les logiciels seraient qualifiés de « produits » quel que soit leur mode de fourniture ou d'utilisation, et donc indépendamment du fait qu'ils soient installés / incorporés dans ou sur un autre produit, accessibles de manière dématérialisée, ou fournis en tant que service.

En revanche sont exclus du champ d'application de la Nouvelle Directive « les logiciels libres et ouverts qui sont développés ou fournis en dehors du cadre d'une activité commerciale » (Article 2.2)4.

L'objectif de cette exclusion est de ne pas entraver l'innovation ou la recherche en permettant le développement de logiciels ouverts à tous et permettant librement leur copie, leur distribution, leur modification ou encore leur amélioration, sans risque de responsabilité sans faute.

Devraient aussi être exclus du champ d'application de la Nouvelle Directive « les informations » qui pourraient être transmises de manière dématérialisée.

Ainsi, tous les fichiers numériques ne devraient pas être qualifiés de « produits ». Les fichiers numériques qui transmettent une information, comme les fichiers médias, les livres électroniques, ou encore le code source des logiciels ne devraient pas être qualifiés de « produits » au sens de la Nouvelle Directive. Seuls les « fichiers de fabrication numériques » devraient entrer dans le champ de la Directive.

Ces fichiers sont définis comme : « une version numérique, ou un modèle numérique, d'un meuble, qui contient les informations fonctionnelles nécessaires pour produire un élément corporel en permettant le contrôle automatisé de machines ou d'outils » (Article 4.2).

Par exemple, le considérant 16 vise les fichiers numériques qui contiennent les informations fonctionnelles nécessaires au contrôle automatisé de perceuses, fraiseuses ou imprimantes 3D. Ainsi, un fichier de fabrication numérique défectueux utilisé pour créer un bien qui cause un dommage devrait engager la responsabilité du fabricant du fichier au titre de la Nouvelle Directive.

Enfin, la Nouvelle Directive étend aussi son champ d'application aux services dits « connexes », qui sont les services numériques intégrés à ou interconnectés avec un produit, de telle sorte que leur absence empêcherait le produit d'exécuter une ou plusieurs de ses fonctions (Article 4.3). Ces services ne sont pas des produits en tant que tel, mais ils engagent la responsabilité du fabricant du produit auquel ils ont été intégrés ou avec lequel ils sont interconnectés dès lors que leur défaut a conduit le produit a causé un dommage et qu'ils étaient sous le contrôle du fabricant du produit5.

Le considérant 17 fournit quelques exemples de « services connexes » : la fourniture continue de données de trafic au sein d'un système de navigation ; la surveillance de la santé qui s'appuie sur les capteurs d'un produit physique pour suivre l'activité physique ou les mesures de santé d'un utilisateur ; le contrôle de la température dans un appareil intelligent (ex : réfrigérateur) ; l'assistance vocale qui permet de contrôler un ou plusieurs produits à distance. En revanche, sont exclus des « services connexes » les services d'accès à l'internet.

Hormis les nouveaux produits numériques, il reste à noter que la Nouvelle Directive qualifie aussi les « matières premières » de produits à part entière. Au-delà de l'électricité, le gaz, l'eau et toute autre matière qui pourrait entrer dans la composition d'un autre produit seraient qualifiés eux-mêmes de « produit » (considérant 16).

1.2 La notion de « dommage » à l'ère de l'immatériel

Pour les mêmes raisons qui ont justifié la mise à jour de la notion de « produit », la Nouvelle Directive envisage un élargissement des dommages réparables.

Alors que l'Article 9 de la Directive de 1985 limitait les dommages réparables aux dommages corporels et matériels, l'Article 6 de la Nouvelle Directive prévoirait désormais, en plus de ces dommages, la possibilité de demander réparation des dommages psychologiques médicalement reconnus ainsi que de la destruction ou de la corruption de données (biens incorporels).

Bien que l'ensemble de ces dommages fussent déjà réparables dans certains Etats membres, comme en France, il reste que la clarification est à nouveau bienvenue et apporte une certaine prévisibilité.

Cependant, il existe ici une différence importante entre la Nouvelle Directive telle que soumise par la Commission européenne en 2022 et celle adoptée en première lecture par le Parlement européen le 12 mars 2024.

En effet, alors que la proposition de la Commission définit la notion de « dommage » comme « les pertes matérielles », excluant par principe les pertes immatérielles (e.g., les souffrances, la douleur, le préjudice moral, etc.), la Nouvelle Directive rejette cette limitation aux « pertes matérielles » et renvoie aux droits nationaux afin de déterminer la réparabilité des pertes immatérielles résultant des dommages couverts par la Directive (Article 6.2).

Alors que le préjudice moral est aujourd'hui réparable en France au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux, il serait donc toujours possible que les pertes immatérielles soient exclues de la réparation. Il resterait néanmoins probable que les Etats membres maintiennent leurs pratiques, mais il n'est pas exclu que certains pourraient s'en saisir pour réduire le champ de la réparation et laisser la réparation des pertes immatérielles à d'autres postes de responsabilité (e.g., responsabilité extracontractuelle pour faute ou négligence).

En outre, la Nouvelle Directive supprime la franchise de 500 euros jusque-là applicable pour obtenir réparation. Tout dommage, même en-dessous de 500 euros, devrait donc pouvoir être réparé.

Enfin, la Nouvelle Directive maintient l'exclusion de la réparation des dommages causés aux biens utilisés exclusivement à des fins professionnelles. Les biens qui reçoivent un usage mixte devraient quant à eux être couverts par la Directive (considérant 25). Cependant, alors que l'Article 6 semble appliquer cette règle à la destruction et à la corruption de données, le considérant 22 précise qu' « afin de parer à un risque potentiel de contentieux dans un nombre excessif d'affaires, il convient de ne pas réparer [...] la destruction ou la corruption de données qui sont utilisées, même de manière non-exclusive, à des fins professionnelles ».

Ainsi, les données à usage mixte ne devraient pas être couvertes par la Directive contrairement aux autres biens, mais cela serait en contradiction avec l'Article 6. En l'absence de clarification, l'Article 6 devrait recevoir priorité.

1.3 La notion de « défectuosité » à l'ère des nouvelles exigences en matière de sécurité des produits

L'un des apports majeurs de cette Nouvelle Directive concerne la manière dont il faut apprécier la défectuosité d'un produit.

Tout d'abord, la Nouvelle Directive confirme l'appréciation objective qui doit être faite et rappelle le standard applicable : un produit est défectueux « lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle une personne peut légitimement s'attendre » (Article 7).

Cependant, le Parlement a ajouté à ce standard en précisantqu'un produit est aussi considéré comme défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité « requise par le droit de l'Union ou le droit national ». Ainsi, le Parlement semble ici vouloir fermement rapprocher la Nouvelle Directive des autres textes applicables en matière de sécurité des produits, en laissant présupposer que tout manquement aux obligations de sécurité posées par un texte européen ou national ferait présumer la défectuosité du produit. Ce constat est confirmé par l'Article 10 de la Nouvelle Directive sur la charge de la preuve.

Ensuite, contrairement à l'Article 6 de la Directive de 1985 qui n'identifiait que quelques critères d'appréciation de la défectuosité d'un produit, l'Article 7.2 de la Nouvelle Directive se veut plus exhaustif, tout en rappelant que « toutes les circonstances doivent être prises en compte ». C'est à nouveau un apport utile pour plus de sécurité et de prévisibilité juridique.

Il ne sera pas dressé ici la liste de tous les critères qui peuvent être pris en compte. Seuls certains critères seront détaillés ci-dessous.

Concernant le premier critère qui s'intéresse à la présentation et aux caractéristiques du produit, ce dernier n'a rien de novateur. Néanmoins, le considérant 31 vient préciser que « les avertissements ou autres informations fournis avec un produit ne peuvent être considérés comme suffisants pour garantir la sécurité d'un produit défectueux [...]. Par conséquent, la responsabilité découlant de la présent directive ne peut être contournée par la simple énumération de tous les effets secondaires imaginables d'un produit. »

Ainsi, ce commentaire semble venir limiter la portée protectrice da la présentation du produit, qui ne pourrait être utilisée qu'en défaveur du fabricant. Or, la présentation d'un produit possède un rôle important dans l'appréciation de la sécurité à laquelle une personne peut légitimement s'attendre. La portée du considérant 31 restera donc à confirmer et à surveiller, sachant qu'il est issu d'un amendement du Parlement et qu'il pourrait être écarté de la Directive finale.

Et, de surcroît, le considérant 46 précise que l'utilisation raisonnablement prévisible d'un produit, qui est le deuxième critère d'appréciation de la défectuosité, « couvre l'utilisation à laquelle un produit est destiné conformément aux informations fournies par le fabricant ou l'opérateur économique qui le met sur le marché, l'utilisation normale telle que déterminée par la conception et la construction du produit [...]. » Ainsi, les informations fournies par le fabricant sur le produit semblent maintenir un rôle essentiel dans l'appréciation de sa défectuosité, en permettant notamment d'apprécier si l'utilisation du produit était raisonnablement prévisible. 

Concernant justement le deuxième critère, il semble utile à nouveau de s'arrêter sur les considérants ajoutés ou amendés par le Parlement. Le considérant 31 précise que « l'utilisation raisonnablement prévisible englobe [...] la mauvaise utilisation qui n'est pas déraisonnable dans les circonstances, comme le comportement prévisible d'un utilisateur d'une machine résultant d'un manque de concentration ou le comportement prévisible de certains groupes d'utilisateurs tels que les enfants. » Le considérant 46 ajoute que c'est « l'utilisation pouvant être raisonnablement prévue lorsque cette utilisation pourrait résulter d'un comportement humain licite et aisément prévisible ».

Concernant les troisième et quatrième critères, qui visent respectivement « l'effet sur le produit de sa capacité à poursuivre son apprentissage ou à acquérir de nouvelles caractéristiques » et « l'effet raisonnablement prévisible sur le produit d'autres produits dont on peut s'attendre à ce qu'ils soient utilisés en même temps que le produit, notamment au moyen d'interconnexion », ils sont particulièrement novateurs et s'inscrivent dans la volonté de modernisation du régime de responsabilité du fait des produit défectueux.

Le considérant 32 apporte quelques précisions à leur sujet. Ces critères ont pour objectif de garantir qu'un fabricant qui conçoit un produit capable de développer un comportement inattendu, soit par ses capacités d'apprentissage autonome, soit par ses interactions avec d'autres produits ou services connexes, reste responsable de ce comportement. Ainsi, le fabricant d'un produit à apprentissage autonome doit être en mesure de maintenir la sécurité du produit tout au long de son apprentissage ou de son évolution ; et le fabricant d'un produit interconnecté doit être en mesure de maintenir la sécurité de son produit dans les interactions prévisibles qu'il réalise avec d'autres produits.

Enfin, la Nouvelle Directive réaffirme le principe suivant lequel « un produit n'est pas considéré comme défectueux au seul motif qu'un produit plus perfectionné, y compris les mises à jour ou mises à niveau d'un produit, a déjà ou est ultérieurement mis sur le marché ou mis en service ». Il était utile de le rappeler.

La Nouvelle Directive fait donc entrer le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux dans une nouvelle ère sans, pour l'instant, révolutionner la pratique. Les clarifications apportées sont néanmoins enviables et étaient attendues pour les besoins de la prévisibilité et de la sécurité juridique. Il reste cependant quelques points à éclaircir.

To view the full article click here

Footnotes

1. Voir notamment le Règlement (UE) 2023/988 du 10 mai 2023 sur le sécurité générale des produits ; ou encore la décision n°768/2008/CE sur le nouveau cadre législatif en matière de sécurité.

2. A noter que les logiciels étaient déjà identifiés comme des produits au sens de la Directive de 1985 (réponse question écrite n°706/88 de la Commission européenne, 15 novembre 1988, 89/ C1114/76).

3. A noter que les articles cités sont ceux issus de la Nouvelle Directive adoptée par l'Union européenne le 10 octobre 2024.

4.  Ceci est issu d'un amendement du Parlement. 

5. Voir la définition de « contrôle » (Article 4.5).

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

Mondaq uses cookies on this website. By using our website you agree to our use of cookies as set out in our Privacy Policy.

Learn More