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17 October 2025

Les dérives de l'IA sur Vinted : photos truquées et arnaques

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Haas Avocats

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Toute avancée technologique s'accompagne inévitablement de dérives. La plateforme Vinted, fleuron de la revente de vêtements de seconde main, illustre aujourd'hui les zones d'ombre que peut générer l'évolution numérique

Un nouveau phénomène y prend de l'ampleur : l'utilisation de l'intelligence artificielle pour retoucher, voire générer des photographies trompeuses de vêtements. L'objectif est clair : embellir artificiellement des articles de faible valeur afin de les revendre à un prix largement supérieur à leur réalité. Si ces manipulations peuvent paraître aisément décelables, elles piègent néanmoins de nombreux consommateurs, notamment les moins aguerris aux subtilités technologiques. À ce jour, plusieurs centaines de victimes ont déjà été recensées. Face à cette recrudescence d'arnaques, la plateforme peine à déployer des dispositifs de contrôle et de détection efficaces, laissant un sentiment d'impunité prospérer. Ce phénomène révèle une réalité préoccupante : l'intelligence artificielle, célébrée pour ses prouesses créatives et sa capacité à faciliter le quotidien, devient également un instrument de fraude et de manipulation économique. Or, le droit, tout comme les acteurs du numérique, semble en retard pour réguler ces pratiques et offrir une protection effective aux utilisateurs.

L'IA, nouvel atout des vendeurs, nouveau risque pour les acheteurs

Sur Vinted, certains vendeurs n'hésitent plus à recourir à l'intelligence artificielle pour maximiser leurs chances de conclure une vente. Finies les photos amateures prises à la va-vite sur un lit défait ou un cintre improvisé : désormais, grâce à l'IA, les articles apparaissent sous leur meilleur jour. Il suffit d'importer une photographie du vêtement, puis de soumettre un prompt pour « améliorer » l'image : suppression des plis, ajout d'accessoires, retouche des couleurs, mise en scène d'un mannequin virtuel, ou encore incrustation d'un décor soigné. Le résultat est bluffant. Les clichés générés, d'une qualité quasi professionnelle, donnent aux vêtements une allure neuve, parfois bien éloignée de leur état réel. Un habit usé, taché ou mal taillé peut ainsi se transformer en pièce élégante, mise en valeur par une présentation impeccable. Pour les vendeurs, l'opération est séduisante : gain de temps, image valorisée, rendement commercial supérieur.

À première vue, l'innovation semble bénéfique : elle facilite la vie des utilisateurs et rend les annonces plus attractives. Mais derrière cette vitrine améliorée, les premières dérives se dessinent. Car si l'IA sublime les produits, elle brouille aussi la frontière entre valorisation et tromperie, soulevant des interrogations juridiques et éthiques majeures sur la loyauté des transactions et la protection des consommateurs.

Quand l'IA devient l'instrument de pratiques commerciales trompeuses

La déception est au rendez-vous pour de nombreux utilisateurs de Vinted. Le vêtement tant convoité, sublimé par des clichés irréprochables, révèle à la réception une tout autre réalité : textures grossières, couleurs ternes, finitions médiocres. Le décalage entre l'image et le produit est tel que certains acheteurs parlent de véritable tromperie. Mais le phénomène va plus loin encore. Certains vendeurs peu scrupuleux acquièrent à bas prix des articles issus de l'ultra fast fashion (Shein, Temu, Aliexpress) pour les revendre, trois à quatre fois plus cher, grâce à des photographies retouchées par l'intelligence artificielle. Les marques sont volontairement passées sous silence, et l'origine des produits dissimulée. Ce qui devait être un canal de distribution dédié à la seconde main et soucieux de l'écologie se transforme ainsi en vitrine parallèle pour des vêtements neufs et bon marché, vendus sous couvert d'authenticité, encourageant l'ultra consommation. Conséquence : les véritables particuliers, vendeurs honnêtes, se retrouvent éclipsés par ces pratiques déloyales et voient leurs ventes s'effondrer. La confiance des consommateurs, pilier de ce type de plateformes, s'effrite à mesure que les expériences trompeuses se multiplient.

Sur le plan juridique, la qualification paraît évidente : induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles d'un produit constitue une pratique commerciale trompeuse, au sens des articles L.121-2 et suivants du Code de la consommation. Vinted n'en est pas à son coup d'essai dans ce domaine (voir article). La DGCCRF, chargée de veiller à la loyauté des transactions, est habilitée à sanctionner de tels agissements. Les sanctions visent non pas la plateforme elle-même, mais directement les vendeurs, responsables du contenu qu'ils publient. À cela s'ajoute une dimension européenne : depuis juillet 2024, l'IA Act impose une obligation de transparence pour tout contenu généré ou manipulé par une intelligence artificielle. Pourtant, sur Vinted, les vendeurs qui recourent à ces pratiques omettent systématiquement de signaler l'intervention de l'IA dans leurs annonces. Preuve que, malgré les avancées réglementaires, la France comme l'Union européenne peinent à encadrer efficacement ces usages détournés.

Les limites de la modération de la plateforme face aux dérives de l'IA

Face à la prolifération d'annonces trompeuses, certains utilisateurs avertis ont développé des techniques de vigilance. Repérer des poses artificiellement répétitives, identifier des décors incohérents, vérifier l'absence d'avis clients ou encore recourir à Google Lens pour comparer les prix d'articles similaires sur d'autres sites : autant de réflexes permettant de déceler un contenu manipulé. L'observation du comportement du vendeur demeure également un indicateur précieux : un véritable particulier accepte généralement la négociation, répond aux questions et fournit des photos complémentaires à la demande. Enfin, le signalement des annonces suspectes reste une arme essentielle pour rétablir un environnement d'achat plus transparent.

Pour autant, du côté de la plateforme, la réaction tarde à se matérialiser. Les utilisateurs trompés n'ont aucun recours contre un vendeur déjà disparu, et les sollicitations en faveur d'un contrôle renforcé demeurent lettre morte. À ce jour, la seule mesure envisagée par Vinted est l'ajout d'une mention explicite « image générée par IA » sur les annonces concernées. La société estime en effet que l'usage de l'intelligence artificielle comme simple outil de mise en valeur n'est pas prohibé, dès lors qu'il respecte les conditions générales de la plateforme et ne travestit pas l'état réel du produit. Dans les faits, Vinted se limite à supprimer certaines annonces ou à bloquer les comptes manifestement frauduleux. Mais le phénomène, massif et diffus, excède largement ses capacités de modération. À défaut de régulation plus stricte, la confiance des utilisateurs continue de s'éroder, tandis que les pratiques trompeuses prospèrent.

Si les escroqueries qui prospèrent sur Vinted ne bouleversent pas à elles seules l'ordre social, elles constituent un révélateur inquiétant des défis soulevés par l'innovation technologique. Aussi révolutionnaires soient-elles, les avancées numériques offrent inévitablement un terrain fertile aux usages malveillants, exploitant les failles du système à des fins frauduleuses. Face à ce constat, le droit tente de s'adapter. L'IA Act traduit l'effort du législateur européen pour encadrer les usages numériques, renforcer la transparence et protéger les consommateurs. Mais la vitesse à laquelle se déploient ces technologies rend la tâche ardue. Le droit, par nature réactif, accuse un retard certain face à la dynamique fulgurante des dérives numériques qui saturent désormais l'espace virtuel.

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