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22 October 2025

Les moyens d'action contre le greenwashing: Portée et efficacité à l'aune du nouvel article 3 let. X LCD, Schweizerische Zeitschrift für Zivilprozess- und Zwangsvollstreckungsrecht, 2025, p.32 - 42

Les consommateurs sont appelés à jouer un rôle crucial dans la transition écologique, et l'impact climatique et écologique des services, produits et activités...
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Résumé

Les consommateurs sont appelés à jouer un rôle crucial dans la transition écologique, et l'impact climatique et écologique des services, produits et activités d'une entreprise est devenu un atout majeur en matière de compétitivité commerciale. Dans ce contexte, la lutte contre l'écoblanchiment, ou greenwashing selon un anglicisme répandu, est un enjeu prioritaire pour garantir une concurrence loyale et protéger les participants au marché. Le présent article passe en revue les développements récents en la matière en droit de l'Union européenne et en droit suisse, notamment la portée du nouvel art. 3 let. x LCD entré en vigueur le 1er janvier 2025. Après avoir présenté la portée matérielle de cette disposition, il rappelle quels sont les moyens d'action à la disposition des consommateurs et des concurrents, ainsi que leurs limites, pour combattre le greenwashing. Face aux faiblesses actuelles de la mise en Suvre judiciaire, la plainte devant la Commission Suisse pour la Loyauté constitue un moyen alternatif efficace pour faire cesser des allégations de greenwashing. En raison des exigences accrues de transparence imposées aux entreprises, le risque réputationnel, mais également le risque d'action pénale contre les dirigeants sont réels et devraient inciter les entreprises et leurs organes à la prudence.

I. Emergence de nouvelles règles contre le greenwashing comme instruments de la transition écologique et de protection de la concurrence loyale

A. Introduction

La lutte contre les changements climatiques et la transition vers une économie plus durable sont des thèmes qui occupent de manière croissante les Etats et tous les acteurs de l'économie. L'Accord de Paris du 12 décembre 20151 et l'Agenda 2030 pour le développement durable du 25 septembre 20152 ont été transposés dans notre pays dans plusieurs lois qui définissent notamment les étapes de la transition vers le net-zéro et imposent aux entreprises des obligations de transparence en matière climatique et environnementale ainsi que des obligations de diligence dans les chaînes d'approvisionnement3.

Par ailleurs, les consommateurs4 manifestent un intérêt croissant pour les produits écologiques et ils sont appelés à contribuer activement au développement durable et à

Les entreprises ont reconnu que la durabilité et la protection du climat sont devenues des facteurs de compétitivité.

la transition écologique en optant pour des produits et services ayant une faible empreinte environnementale5. Les entreprises ont reconnu que la durabilité et la protection du climat sont devenues des facteurs de compétitivité et elles ont largement recours à des méthodes de marketing qui vantent les qualités environnementales et durables de leurs produits et services, par exemple en mettant en avant la « neutralité climatique », le « faible impact climatique » ou encore le caractère « respectueux de l'environnement » de ceux-ci.

Le bon fonctionnement des marchés « verts » et les choix éclairés des consommateurs en faveur de produits et services durables ou respectueux de l'environnement requièrent toutefois que les allégations environnementales soient transparentes, comparables, fiables et vérifiables. Or, des études menées par la Commission européenne en 2020 sur un large échantillon d'allégations environnementales ont démontré qu'une part considérable de celles-ci (53 %) fournissaient des informations vagues, trompeuses ou infondées sur les caractéristiques environnementales des produits dans l'ensemble de l'UE et pour un large éventail de catégories de produits. En outre, 40 % d'entre elles n'étaient pas étayées. Près de la moitié des écolabels environnementaux présentaient une vérification soit faible, soit inexistante6. En Suisse, l'OFEV a constaté dans un rapport du 9 mars 2023 sur la régulation du marché volontaire du carbone que les allégations selon lesquelles des produits sont labellisés par exemple « neutres en carbone » se fondent sur des certificats de compensation des émissions de gaz à effet de serre de qualité insuffisante, ce qui conduit à une tromperie des consommateurs7.

Cette situation crée un risque de greenwashing ou écoblanchiment, dès lors que les consommateurs sont exposés à des allégations trompeuses sur les qualités écologiques des services, produits ou activités d'une organisation, ce qui entrave l'efficacité des décisions d'achat, la transition écologique et la protection de l'environnement.

A l'étranger, un nombre croissant de procédures judiciaires ou prudentielles ont été intentées contre des sociétés en raison d'informations publiques prétendument trompeuses relatives au risque climatique, aux effets du changement climatique, ou encore contre les campagnes publicitaires d'entreprises pétrolières sur leurs prétendues émissions de CO2 net zero8.

En Suisse, la voie judiciaire reste limitée mais la Commission Suisse pour la Loyauté a été saisie de plusieurs plaintes pour des allégations environnementales fallacieuses. Dans une décision de 2023 qui a eu un impact retentissant, elle a constaté que les allégations de la FIFA selon lesquelles la Coupe du monde de football organisée au Qatar en 2022 était climatiquement neutre étaient déloyales, la FIFA n'ayant pas prouvé ses affirmations (voir infra II.A.).

Dans ce contexte, la nécessité de lutter contre le greenwashing est devenue une priorité pour les législateurs européens et suisse.

B. Développements récents en droit de l'Union européenne

En droit européen, la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil sur les pratiques commerciales déloyales9 réglemente les pratiques et omissions trompeuses au moyen de dispositions générales qui peuvent s'appliquer aux allégations environnementales dans les transactions entre entreprises et consommateurs lorsque ces allégations ont une incidence négative sur les décisions commerciales des consommateurs. Elle établit notamment une liste noire des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une évaluation au cas par cas.

En vue de mettre en Suvre le Pacte vert pour l'Europe, de nouvelles règles ont été promulguées récemment afin de lutter expressément contre le greenwashing.

Ainsi, la directive (UE) 2024/825 du 28 février 202410 renforce le droit de l'Union européenne pour donner aux consommateurs les moyens d'agir en faveur de la transition verte grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et grâce à une meilleure information. Elle introduit des règles spécifiques pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales qui empêchent les consommateurs de faire des choix de consommation durable ; sont visées en particulier les allégations environnementales trompeuses, ainsi que les pratiques liées à l'obsolescence programmée des produits et les labels de développement durable non transparents et non crédibles. La nouvelle directive complète l'annexe I de la directive 2005/29/CE, qui liste les pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances (liste noire), en y ajoutant dix pratiques commerciales. Sont ainsi désormais réputés déloyaux en toutes circonstances notamment le fait d'afficher un label de développement durable qui n'est pas fondé sur un système de certification ou qui n'a pas été mis en place par des autorités publiques11, le fait de présenter une allégation environnementale générique au sujet de laquelle le professionnel n'est pas en mesure de démontrer l'excellente performance environnementale reconnue en rapport avec l'allégation12, ou encore le fait d'affirmer, sur la base de la compensation des émissions de gaz à effet de serre, qu'un produit a un impact neutre, réduit ou positif sur l'environnement en termes d'émissions de gaz à effet de serre13.

Cette directive est entrée en vigueur le 27 mars 2024 et accorde aux États membres un délai échéant le 27 mars 2026 pour adopter et publier les dispositions nécessaires pour se conformer à ladite directive, ces dispositions devant être appliquées à partir du 27 septembre 202614.

Parallèlement à l'adoption de la directive (UE) 2024/825, le 22 mars 2023, la Commission européenne a soumis une proposition de directive relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites (directive sur les allégations écologiques, plus connue sous

La portée du nouvel art. 3 let. x LCD est, selon nous, limitée au greenwashing climatique, et ne concerne pas les autres allégations environnementales, qui restent soumises à l'art. 3 let. b LCD si elles sont inexactes et fallacieuses.

sa dénomination anglaise Green Claims Directive). Cette directive prévoit des règles plus spécifiques (lex specialis) et complète les modifications apportées par la directive (UE) 2024/825 (lex generalis)15. Elle vise notamment à permettre aux consommateurs de contribuer à accélérer la transition écologique en prenant des décisions d'achat en connaissance de cause sur la base d'allégations et labels environnementaux crédibles. Elle exige à cette fin que la justification des allégations environnementales explicites soit fondée sur une évaluation respectant des critères minimaux déterminés afin d'éviter que les allégations ne soient trompeuses, n'autorise l'utilisation d'écolabels que s'ils sont développés et contrôlés au niveau de l'UE et prévoit des mesures de mise en Suvre renforcées.

Ainsi, l'art. 17 du projet enjoint aux Etats membres de prévoir des sanctions qui comprennent des amendes privant effectivement les responsables des avantages économiques découlant de leurs infractions ; la confiscation des recettes tirées par le professionnel d'une transaction portant sur les produits concernés; ou encore l'exclusion temporaire, pour une durée maximale de douze mois, des procédures de passation de marchés publics et de l'accès au financement public, y compris les procédures d'appel d'offres, les subventions et les concessions.

Footnotes

1 Entré en vigueur pour la Suisse le 5 novembre 2017, RS 0.814.012.

2 Résolution 70/1 du 25 septembre 2015 de l'Assemblée générale des Nations Unies; le texte en français est disponible sous Internet : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n15/291/90/pdf/n1529190.pdf (consulté le 17.1.2025).

3 Isabelle Romy, Aperçu et portée des exigences légales en matière de durabilité environnementales pour les entreprises suisses (DEP 2024, 747 ss, 755 ss.).

4 Ce terme est utilisé ici de manière générique et inclut le genre féminin.

5 Proposition de la Commission européenne du 22 mars 2023 de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites COM (2023) 166 final (cit. Proposition de directive sur les allégations écologiques), 1.

6 Proposition de directive sur les allégations écologiques (n. 5), 3 s.

7 Rapport de l'OFEV du 9 mars 2023 à l'intention de la CEATE-E sur la régulation du marché volontaire du carbone, 4, Internet : https://www.parlament.ch/centers/documents/fr/10_R%c3%a9gulation%20du%20march%c3%a9%20volontaire%20du%20carbone.%20Rapport%20pour%20la%20CEATEE.%20Mars%202023.pdf (consulté le 17.1.2025).

8 A titre d'exemples, le 25 septembre 2023, au terme d'une procédure d'enforcement, la SEC a condamné DWS Investment Management Americas Inc., une société filiale de Deutsche Bank AG, à une amende de 19 millions de dollars pour greenwashing ; DWS avait fait des déclarations trompeuses concernant l'intégration de facteurs ESG dans la recherche et les recommandations d'investissement : communiqué de presse de la SEC, Internet : https://www.sec.gov/newsroom/press-releases/2023-194 (consulté le 17.1.2025). En novembre 2022, Goldman Sachs Asset Management a accepté de payer une amende de 4 millions de dollars à la SEC pour transiger des accusations de greenwashing en lien avec des investissements présentés comme ESG sans procédures et policies correspondantes : Communiqué de presse de la SEC 2022-209, Internet : https://www.sec.gov/newsroom/press-releases/2022-209 (consulté le 17.1.2025). Cf. également les nombreux exemples de procédures pendantes ou closes sur le site de Columbia Law School et Sabin Center for Climate Change Law, Climate Change Litigation Databases, Internet : https://climatecasechart.com/non-us-case-category/misleading-advertising/ (consulté le 17.1.2025).

9 JO L 149/22 du 11.6.2005.

10 Directive (UE) 2024/825 du 28 février 2024 qui modifie les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d'agir en faveur de la transition verte grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et grâce à une meilleure information (ciaprès : La directive (UE) 2024/825), JO L 2024/825 du 6.3.2024.11 Cf. ch. 2bis Annexe I de la directive 2005/29/CE.

12 Cf. ch. 4bis Annexe I de la directive 2005/29/CE.

13 Cf. ch. 4quater Annexe I de la directive 2005/29/CE.

14 Cf. art. 4 para. 1 directive (UE) 2024/825.

15 Proposition de directive sur les allégations écologiques, 8, Internet : https://environment.ec.europa.eu/publications/proposal-directive-green-claims_en?prefLang=fr (consulté le 17.1.2025).

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