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3 September 2025

Interdiction d'opérations liées à une pilule empoisonnée : l'ASC donne des indications sur le régime canadien des OPA et les obligations des administrateurs

L'Alberta Securities Commission (l'« ASC » ou la « Commission ») a rendu une décision importante dans le dossier Re Greenfire Resources Ltd. (en anglais), qui traite : 1)...
Canada Corporate/Commercial Law

L'Alberta Securities Commission (l'« ASC » ou la « Commission ») a rendu une décision importante dans le dossier Re Greenfire Resources Ltd. (en anglais), qui traite : 1) de la dispense pour contrats de gré à gré (la « dispense ») prévue dans le régime des offres publiques d'achat (le « régime des OPA »); et 2) des obligations des administrateurs dans le contexte du droit des valeurs mobilières. Dans ce bulletin, les citations tirées de cette décision sont nos traductions. 

Les motifs écrits détaillés font suite à la décision verbale rendue par l'ASC en novembre 2024, qui a interdit les opérations à l'égard d'un régime de droits des actionnaires (le « RDA » ou la « pilule empoisonnée ») adopté par un émetteur public (l'« émetteur ») après que cinq entités gérées par un fonds de capital-investissement (collectivement, l'« acheteur ») ont convenu d'acquérir (l'« acquisition ») 43,3 % des actions de l'émetteur auprès de trois actionnaires non canadiens (les « actionnaires vendeurs ») dans le cadre d'une opération structurée pour respecter les conditions de la dispense. 

Voici les principaux points à retenir : 

L'ASC souligne que la « stabilité du marché » constitue un « facteur crucial » dans sa décision d'exercer ou non sa compétence en matière d'intérêt public. Les parties averties doivent être en mesure de structurer leurs opérations en toute confiance selon ce qui est prévu dans des dispositions précises des lois sur les valeurs mobilières. La décision fournit des indications rares et instructives concernant :

  • l'application de la dispense (et de la politique qui la sous-tend), y compris le fait qu'elle établit un équilibre entre le traitement égal de tous les actionnaires et la capacité d'un actionnaire vendeur d'obtenir une prime limitée (c.-à-d. plafonnée à 15 %) sur le cours des actions de l'émetteur (sous réserve des exigences de la dispense);
  • l'interaction entre le droit des valeurs mobilières, les obligations fiduciaires et la règle de l'appréciation commerciale, notamment : 1) lorsqu'un administrateur est également actionnaire de l'émetteur; et 2) la « compétence limitée » des commissions des valeurs mobilières pour examiner ces questions. À noter que l'ASC a refusé d'élargir la portée des obligations fiduciaires applicables lorsqu'un administrateur contrôle aussi un actionnaire important. 

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Les faits en bref 

L'acquisition a été conclue le 16 septembre 2024 aux termes de trois conventions d'achat d'actions. Même si l'acquisition n'était pas assujettie au régime des OPA parce qu'aucun des actionnaires vendeurs ne résidait au Canada, l'acheteur a structuré l'acquisition de manière à respecter les paramètres de la dispense, qui exempte du régime des OPA les achats d'actions auprès d'au plus 5 personnes à un cours ne dépassant pas 115 % du cours de clôture moyen des actions pendant les 20 jours précédents. 

Le 18 septembre 2024, l'émetteur, Greenfire Resources Ltd., une société de sables bitumineux dont les actions sont négociées à la TSX et à la NYSE, a adopté le RDA en réponse à l'acquisition. Le RDA interdisait le transfert de 20 % ou plus des actions de l'émetteur, sauf s'il s'agissait d'une « offre autorisée » aux termes du RDA, et était rétroactif en ce sens qu'il considérait expressément l'acheteur comme n'étant pas un propriétaire véritable préexistant des actions de l'émetteur malgré la conclusion de l'acquisition. 

Lorsque le RDA a été adopté, la clôture de l'acquisition n'avait pas encore eu lieu parce qu'une approbation en vertu de la Loi sur la concurrence était requise, mais n'avait pas encore été obtenue. À la réalisation de l'acquisition, le RDA aurait été déclenché, ce qui aurait considérablement dilué la participation de 43,3 % de l'acheteur dans l'émetteur. L'acheteur a demandé à l'ASC de mettre fin aux opérations relatives au RDA le 26 septembre 2024, en faisant valoir que la Commission devrait exercer son autorité en matière d'intérêt public pour ce faire. L'émetteur a présenté une demande reconventionnelle contestant, entre autres, la conduite de deux de ses administrateurs (les « administrateurs »), dont chacun contrôlait un des actionnaires vendeurs. 

Deux séries de faits essentiels ont entouré la conclusion de l'acquisition et l'adoption du RDA :
  • En juillet 2024, le conseil d'administration de l'émetteur (le « conseil ») avait retenu les services de conseillers financiers externes pour mener un processus d'examen d'options stratégiques (le « processus stratégique ») afin d'attirer des offres d'achat visant la totalité des actions de l'émetteur. Selon le calendrier initial du processus stratégique, la communication au marché était prévue pour le début d'octobre 2024, la date limite pour les offres d'achat était à la fin de novembre 2024 et l'annonce de l'opération devait être faite en janvier 2025. Toutefois, en août 2024, ce calendrier a été retardé de plusieurs mois afin que l'émetteur puisse produire un rapport sur les réserves mis à jour (le « rapport sur les réserves »).
  • Les deux actionnaires vendeurs contrôlés par les administrateurs détenaient ensemble la grande majorité de la participation de 43,3 % dans l'émetteur visée par l'acquisition. En août et au début de septembre 2024, les administrateurs ont eu diverses discussions avec l'acheteur au sujet d'une opération éventuelle aux termes de la dispense. Les administrateurs ont fait part de ces discussions à l'ensemble du conseil d'administration et à ses conseillers financiers dans le cadre du processus stratégique. Au départ, les administrateurs ne souhaitent pas vendre à l'acheteur au prix plafonné par la dispense. Après la réception d'une lettre d'intention non contraignante de l'acheteur et la baisse récente du cours des actions de l'émetteur et du prix du pétrole, les administrateurs ont informé l'ensemble du conseil que l'opération avec l'acheteur était maintenant plus intéressante. À la signature des conventions d'acquisition, les administrateurs se sont retirés du conseil, puis ils en ont démissionné après l'adoption du RDA. 

La compétence de l'ASC en matière d'intérêt public

L'ASC a fait une mise en garde : bien que sa compétence en matière d'intérêt public soit « large » compte tenu de son « mandat de protection des investisseurs et de promotion d'un marché financier équitable et efficace », cette compétence devrait être « exercée avec prudence » pour « éviter de causer toute incertitude ou injustice ».

Elle a également répété qu'un « facteur crucial » dans l'examen de l'exercice de sa compétence en matière d'intérêt public était la préservation de la « stabilité du marché ». En effet, elle a expliqué que la prévisibilité est un aspect important de la réglementation des offres publiques d'achat et que les parties averties devraient être en mesure de structurer leurs activités dans le contexte de dispositions particulières des lois sur les valeurs mobilières. 

En ce qui concerne le critère applicable à l'exercice de ses pouvoirs en matière d'intérêt public, l'ASC a fait remarquer qu'il « reste un certain débat concernant l'utilisation d'une norme relative à une “conduite manifestement répréhensible” par opposition à une norme fondée sur des “principes directeurs” ». Elle a précisé que la norme de la conduite manifestement répréhensible est « généralement considérée comme s'appliquant lorsque les lois sur les valeurs mobilières énoncent des “actes précis qui constituent une inconduite” ». En revanche, la norme des principes directeurs, que l'ASC a qualifiée de « moins stricte » des deux, « peut s'appliquer lorsque la conduite reprochée est contraire à certains principes sous-jacents et en cas de silence des lois sur les valeurs mobilières sur la question ». 
L'ASC a appliqué la norme de la conduite manifestement répréhensible à la demande de l'acheteur et à la demande reconventionnelle de l'émetteur. Elle a accueilli la demande de l'acheteur au motif que l'adoption du RDA par l'émetteur était manifestement répréhensible, mais a rejeté la demande reconventionnelle de l'émetteur parce que la conduite des administrateurs n'atteignait pas cette norme. Elle a tout de même expliqué que le résultat aurait été le même si elle avait appliqué la norme des principes directeurs.
L'ASC a reconnu que la décision de novembre 2024 du Tribunal des marchés des capitaux de l'Ontario dans le dossier Riot a élaboré une approche visant à concilier la norme de la conduite répréhensible et celle fondée sur des principes directeurs dans certaines circonstances. Toutefois, étant donné que cette décision a été rendue après les arguments des parties et la décision orale de l'ASC, la Commission a décidé de laisser la nouvelle approche du tribunal ontarien « pour une affaire dans laquelle toutes les parties seront en mesure de s'exprimer sur la question de savoir si les comités de l'ASC devraient adopter l'approche du Tribunal des marchés des capitaux de l'Ontario ».

La dispense pour contrats de gré à gré et le régime de droits

L'ASC a commencé son analyse de l'adoption du RDA par l'émetteur en soulignant deux points. Premièrement, l'acquisition n'était pas une offre publique d'achat puisque les actionnaires vendeurs n'étaient pas situés en Alberta, ni même au Canada. Deuxièmement, l'acquisition a été structurée pour qu'elle soit conforme à la dispense, même si cela n'était pas nécessaire (puisque le régime des OPA ne s'appliquait pas). L'ASC a également noté que les parties avaient toutes convenu que l'acquisition s'inscrivait dans les paramètres de la dispense, même si l'émetteur estimait que l'opération était contraire à l'intérêt public dans les circonstances.

L'essentiel de l'argument de l'émetteur était que « la mise en œuvre du [RDA] était justifiée dans les circonstances pour accorder à ses actionnaires les protections conférées par le régime des OPA et pour permettre au [processus stratégique] de se poursuivre » sans que l'acheteur ne détienne d'actions de l'émetteur. L'émetteur s'est également appuyé sur la règle de l'appréciation commerciale pour justifier l'adoption du RDA, faisant valoir qu'on devait faire preuve d'une grande déférence à l'égard de sa décision de mettre en œuvre le RDA en tant que tactique de défense raisonnable contre ce qui constituait essentiellement une offre publique d'achat. 

L'ASC a examiné la politique publique qui sous-tend la dispense, une « dispense du régime des OPA et de ses principes sous-jacents qui est mûrement réfléchie et en place depuis longtemps ». Elle a expliqué qu'en « permettant le paiement d'une prime, mais en la limitant à 15 % », la dispense visait à « établir un équilibre entre les objectifs de politique concurrents d'un traitement égal des détenteurs de titres de participation et l'opinion en matière de propriété privée selon laquelle ces détenteurs devraient pouvoir disposer librement de leurs titres sans ingérence législative ». 

L'ASC a déclaré que l'émetteur avait ignoré cet historique, présentant plutôt des éléments de preuve, des opinions et des observations qui minimisaient tout sauf l'égalité de traitement. Elle a rejeté l'affirmation selon laquelle l'adhésion à la lettre et à l'esprit de la dispense de longue date et bien soutenue peut saper les objectifs de politiques du régime des OPA. 

Une question cruciale sur laquelle l'ASC devait se pencher était l'effet rétroactif que le RDA aurait eu sur l'acquisition et les répercussions sur l'efficacité de notre marché des capitaux et la confiance en celui-ci qui en auraient découlé. L'ASC a conclu que le maintien du RDA enverrait un message au marché des capitaux selon lequel un émetteur peut mettre en œuvre un RDA après qu'une opération de gré à gré a été signée et pratiquement finalisée, malgré le fait que cette opération respecte la législation et ses principes sous-jacents. Par conséquent, le maintien du RDA irait à l'encontre de l'équité et de la stabilité du marché. 

L'émetteur a tenté de justifier l'adoption du RDA en faisant valoir que l'acquisition constituait une « prise de contrôle rampante ». L'ASC a rejeté cet argument au motif que la participation de l'acheteur passerait de 0 % à 43 % dans une seule opération exonérée. De plus, bien qu'il ne s'agisse pas d'un facteur déterminant, l'ASC a comparé le RDA aux facteurs clés élaborés dans la décision Royal Host avant de conclure qu'il n'était pas étayé par de tels facteurs.

En ce qui concerne l'argument relatif à la règle de l'appréciation commerciale de l'émetteur, l'ASC a répété que l'acquisition ne constituait pas une offre publique d'achat, ce qui signifie que l'adoption du RDA par le conseil d'administration ne faisait pas partie d'une gamme de solutions raisonnables et ne justifiait donc pas la déférence. L'ASC s'est aussi demandé si les actions du conseil respectaient la norme de bonne foi exigée par la règle de l'appréciation commerciale.

Enfin, l'ASC a soupesé la notion d'attentes raisonnables. Un actionnaire important de l'émetteur (qui a obtenu le statut d'intervenant à l'audience) a fait valoir que les actionnaires pouvaient raisonnablement s'attendre à ce que les actionnaires vendeurs conservent leurs actions pendant une plus longue période – jusqu'à ce qu'une entente puisse être conclue pour vendre toutes les actions en même temps. De son côté, l'acheteur a fait valoir que les attentes raisonnables des parties étaient conformes au régime des OPA, y compris à la dispense. L'ASC s'est rangée du côté de l'acheteur, à savoir que les participants au marché « s'attendraient raisonnablement à ce qu'une opération d'achat d'actions quasiment finalisée conforme (bien qu'elle n'avait pas à l'être) à la lettre et à l'esprit du régime des OPA, y compris à la [dispense], soit confirmée par un comité de l'ASC ».
Au final, pour l'ASC, l'adoption du RDA par l'émetteur ne tenait pas la route, compte tenu du régime des OPA et des principes et facteurs pris en compte dans d'autres décisions de comités. Le RDA était plutôt fondé sur le désir de l'émetteur de mettre fin à tout prix à l'acquisition par l'acheteur de ses actions en dehors d'une offre publique d'achat. Sa mise en œuvre était donc manifestement répréhensible. 

Obligations des administrateurs dans le contexte du droit des valeurs mobilières

Compétence de l'ASC pour examiner les obligations des administrateurs

L'émetteur a reconnu qu'une audience devant l'ASC n'est pas la bonne instance pour déterminer officiellement si les administrateurs avaient manqué à leurs obligations fiduciaires. Il a néanmoins fait valoir que l'ASC devait « examiner s'il y avait eu apparence d'inconduite, de sorte que les ordonnances d'intérêt public étaient appropriées ». Bien que l'ASC ait fait remarquer que « le tribunal est généralement l'instance appropriée pour les différends concernant les obligations fiduciaires des administrateurs », elle n'a pas exprimé son désaccord. Elle a statué que :

Les comités de l'ASC ont une compétence limitée pour examiner – dans le contexte de l'émission possible d'une ordonnance d'intérêt public – si certaines actions des administrateurs atteignent le niveau d'une conduite manifestement répréhensible (ou, si la norme moins stricte était justifiée, d'une conduite qui contrevient aux principes directeurs pertinents).

Pas d'élargissement de la portée des obligations fiduciaires des administrateurs qui sont des actionnaires

L'émetteur a fait valoir que la portée des obligations fiduciaires applicables devrait être élargie lorsque les administrateurs sont également des actionnaires détenant une participation importante. Selon lui, il s'agit d'une obligation fiduciaire lorsqu'on considère la politique publique sur les marchés des capitaux. Il a fait valoir qu'une telle obligation fiduciaire élargie surviendrait lorsque l'administrateur porte deux chapeaux : un d'administrateur et un d'actionnaire. Il a soutenu que, dans de telles circonstances, les intérêts des administrateurs en tant qu'actionnaires sont subordonnés à leurs obligations de loyauté, qu'une telle obligation fiduciaire élargie exige que les administrateurs qui sont également actionnaires utilisent leurs fonctions au profit de tous les actionnaires et non à leur avantage personnel et que, s'ils ne le font pas, leur conduite est manifestement répréhensible (ainsi qu'injuste et contraire à l'éthique). 

L'ASC a rejeté la tentative de l'émetteur d'élargir la portée de l'obligation fiduciaire applicable, affirmant que l'émetteur n'avait invoqué aucune autorité à l'appui de son argument. Par contre, la Commission a affirmé qu'il existe un principe de longue date selon lequel il n'est généralement pas interdit à un administrateur qui est également un actionnaire d'agir dans son propre intérêt. Elle a fait référence à une décision antérieure selon laquelle les intérêts des administrateurs en tant qu'actionnaires doivent être subordonnés à leur obligation fiduciaire, mais a souligné que cette même décision indiquait également qu'un manquement à l'obligation fiduciaire ne peut pas être reproché à l'administrateur lorsqu'il agissait en sa qualité d'actionnaire et non d'administrateur. 

L'ASC n'était pas non plus d'accord avec l'affirmation de l'émetteur selon laquelle « il est raisonnable pour les actionnaires de s'attendre à ce que [...] les administrateurs [...] utilisent leurs fonctions au profit de tous les actionnaires et non à leur avantage personnel ». Elle a conclu que les actionnaires ont seulement raisonnablement le droit de s'attendre à ce que les administrateurs agissent dans l'intérêt de la société, et non dans celui de tous les actionnaires, car il serait impossible d'agir dans l'intérêt de tous les actionnaires étant donné qu'ils n'auront pas toujours les mêmes intérêts. L'ASC a ajouté : 

[N]otre système de réglementation autorise, voire encourage, les administrateurs à détenir des actions de la société dont ils sont administrateurs. Il impose également des restrictions à ces actionnaires-administrateurs, notamment l'interdiction de commettre des opérations d'initié illégales et de saisir des occasions d'affaires. En dehors de ces restrictions, les administrateurs, en leur qualité d'actionnaires, sont libres de structurer leurs opérations sur actions pour leur propre bénéfice et non pour celui des autres actionnaires. 

La conduite des administrateurs dans le cadre traditionnel des obligations fiduciaires

Ayant rejeté la tentative de l'émetteur d'élargir les obligations fiduciaires applicables, l'ASC s'est penchée sur la conduite des administrateurs à la lumière de la « portée traditionnelle » de ces obligations. Elle a appliqué cette norme à trois allégations de conduite répréhensible formulées par l'émetteur : 1) l'acquisition aurait entravé de façon inappropriée le processus stratégique et aurait volé une occasion d'affaires à l'émetteur; 2) les administrateurs n'auraient pas tenu l'émetteur adéquatement informé de la possibilité de l'acquisition; et 3) l'acquisition aurait été entreprise de façon inappropriée au moyen de renseignements « confidentiels ou de qualité supérieure ». L'ASC a rejeté chacun de ces arguments. 

Processus stratégique et occasion d'affaires

L'émetteur a fait valoir que, comme le processus stratégique était commencé, les administrateurs ne pouvaient pas disposer de leurs actions tant que ce processus n'était pas terminé. Il a aussi affirmé que l'acquisition « tuerait probablement » le processus stratégique en « décourageant d'autres initiateurs potentiels » de rivaliser entre eux pour l'émetteur, ce qui équivalait à lui « voler une occasion d'affaires » puisque le processus stratégique aurait probablement entraîné un « prix considérablement plus élevé » que l'acquisition. 

L'ASC a rejeté ces arguments, notamment parce que même si le processus stratégique était commencé, il était encore dans une phase préliminaire et, dans les faits, avait été mis sur pause en attendant la réalisation du rapport sur les réserves. Elle a qualifié l'argument de l'émetteur relatif aux occasions d'affaires de « nouveau », mais elle n'a pas eu à trancher la question puisque, selon elle, il n'y avait jamais eu une occasion à voler. Il était tout simplement trop tôt dans un processus où trop de variables entraient en jeu. L'ASC n'a pas trouvé de preuve convaincante démontrant que la liste d'acheteurs potentiels était une « option solide », que l'offre d'achat que l'émetteur espérait était une « possibilité forte ou réaliste » ou que l'acheteur lui-même « refuserait de vendre les 43 % si une offre était faite dans le cadre du [processus stratégique] ». Selon l'ASC, l'acheteur, en tant qu'acteur économique rationnel, envisagerait à tout le moins une offre si on lui en présentait une. 

Communications des administrateurs avec l'ensemble du conseil

Selon l'émetteur, les administrateurs ont conclu l'acquisition sans avoir adéquatement avisé ou consulté le conseil. 

L'ASC a reconnu que les administrateurs ont l'obligation de communiquer certains renseignements à leur conseil, mais a refusé de pousser cette obligation aussi loin que l'émetteur le voulait. Elle a également conclu que les communications des administrateurs au conseil étaient appropriées et que leurs déclarations n'étaient pas trompeuses dans les circonstances. Plus particulièrement, elle a souligné que : 1) le conseil savait que les administrateurs avaient exprimé leur intérêt pour une vente et que le prix de base de leurs actions était très faible; 2) le conseil savait que le cours de l'action de l'émetteur et le prix du pétrole étaient tous deux en baisse, ce qui a eu pour effet de rendre l'offre de l'acheteur plus intéressante; et 3) l'un des administrateurs avait expressément demandé au conseil de ne pas prendre de mesures qui entraveraient la vente de ses actions dans le cadre de la dispense.

Renseignements confidentiels ou supérieurs

L'émetteur a fait valoir que les administrateurs ne pouvaient pas vendre leurs actions au moment où ils l'ont fait parce qu'ils étaient en possession de renseignements confidentiels ou supérieurs – principalement l'existence du processus stratégique et du plan pour le rapport sur les réserves. 

L'ASC a déclaré que les renseignements concernant un processus de vente, les rapports sur les réserves ou les plans généraux de la société seront, à un moment donné, considérés comme des renseignements importants et que, lorsque ce stade est atteint, il est interdit aux initiés de négocier ou d'acheter des titres jusqu'à ce que ces renseignements importants soient divulgués et diffusés. Toutefois, l'ASC a souligné que la décision du conseil de ne pas imposer une interdiction d'opérations signifie qu'il avait conclu que l'existence du processus stratégique et le contexte n'atteignaient pas, à ce moment-là, le statut de renseignements importants, qui aurait empêché les administrateurs de vendre leurs actions. 

Conclusion

Même si la révision du régime des OPA en 2016 a remis en question l'utilité des régimes de droits des actionnaires, leur utilisation continue a été ardemment défendue pour empêcher les offres rampantes et les conventions de dépôt irrévocables entre un acheteur et un actionnaire vendeur. La décision de l'ASC abonde dans le même sens que d'autres décisions récentes en valeurs mobilières : avec le régime des OPA révisé de 2016, les autorités canadiennes en valeurs mobilières se méfient des mesures prises par les sociétés si elles ont l'impression que ces mesures visent à modifier l'application du régime des OPA. L'ASC a souligné que « le marché des capitaux du Canada fonctionne depuis des années avec l'hypothèse que le régime des OPA [...] est un système cohérent et stable régissant les opérations sur actions ». En l'espèce, le respect de la lettre et de l'esprit de la dispense ne nuisait pas au régime des OPA.

Deux derniers points méritent d'être soulevés. Premièrement, l'ASC a précisé qu'il était important que les actionnaires détenant une position minoritaire après l'acquisition par un seul actionnaire d'une position importante dans une société bénéficient des protections prévues par d'autres dispositions des lois sur les valeurs mobilières, y compris le Règlement 61-101. Les actionnaires minoritaires de l'émetteur n'auraient donc pas été sans options et recours si l'acheteur avait augmenté de façon significative sa participation dans l'émetteur au-dessus de 43 %.

Deuxièmement, l'ASC a insisté sur le fait que les commissions des valeurs mobilières ont « une expertise, une expérience et une connaissance des questions relatives aux marchés financiers » qui font en sorte que, même si la preuve d'expert « peut être utile dans certaines circonstances, elle n'est généralement pas nécessaire ». Elle a prévenu que, dans certaines situations, la présentation d'une preuve d'expert excessive peut causer des problèmes d'efficacité importants qui l'emportent sur son utilité potentielle. Elle a considéré que c'était le cas dans cette affaire. 

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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