La fabrication, l'utilisation et la vente aux États-Unis d'un produit couvert par un brevet américain, sans l'autorisation du breveté, constitue une contrefaçon de ce brevet. Toutefois, certains développements législatifs et des décisions de justice rendues ces dernières années ont montré que la portée d'un brevet américain pouvait être étendue à des activités se produisant en dehors du territoire américain.

The unauthorized making use or sale within the United States of a product covered by a U.S. patent infringes the patent. However, in many cases damages and liability for infringing U.S. patents can extend beyond purely domestic uses to cover activities taking place far outside the United States. U.S. patents may cover activities that have little or nothing to do with the United States. Many companies are unaware of this surprisingly broad geographic reach. This article reviews such activities.

Introduction

Le United States Code ou Code des États-Unis est la codification du droit américain fédéral. Celui-ci dispose d'un Titre 35, lequel est entièrement dédié au droit des brevets et fait l'objet de nombreuses subdivisions en chapitres et sections. L'article 3 U.S. Code §271 encadre la contrefaçon de brevet.

I. La contrefaçon directe

La sous-section (a) du Titre 35 §271 du United States Code (ci-après USC) vise la contrefaçon directe. Le paragraphe §271(a), traditionnellement, imposait la responsabilité pour la fabrication, l'utilisation et la vente d'articles contrefaisants aux États-Unis. En 1996, la section §271(a) fut amendée pour y ajouter la responsabilité pour l'importation et l'offre en vente d'articles contrefaisants aux États-Unis. Après son entrée en vigueur, les sociétés étrangères, sans présence aux États-Unis, pouvaient être coupables de contrefaçon pour importation de produits contrefaisants aux États-Unis, ou pour une offre en vente de ces produits aux États-Unis, même si la vente ne s'était pas réellement matérialisée.

Ainsi, la section §271(a) actuelle dispose : « Sauf disposition contraire du présent Titre, contrefait un brevet quiconque, sans autorisation, fabrique, utilise, offre en vente ou vend l'invention brevetée, aux États-Unis, ou importe l'invention brevetée aux États- Unis pendant la durée de validité du brevet ».

D'une façon générale, les tribunaux américains interprètent largement la portée de la section 271(a). La fabrication, l'utilisation et la vente n'impliquent pas directement la question de l'extraterritorialité, sauf cas très particuliers. Par exemple, dans la fameuse affaire NTP v. Research in Motion (2005)1 impliquant le système BlackBerry, la Court of Appeal for the Federal Circuit (CAFC) trancha que les revendications de système étaient contrefaites dès lors que le système était contrôlé depuis les États-Unis et les bénéfices du système y étaient obtenus. Cette décision pouvait surprendre, car certains composants du système revendiqué se trouvaient hors du territoire américain, en l'occurrence au Canada. Pour la Cour, le système dans son ensemble était utilisé sur le territoire américain malgré le fait que les revendications de procédé n'étaient pas contrefaites sur le territoire américain car une des étapes du procédé était accomplie au Canada.

A. L'offre en vente selon la section 271(a)

L'ajout de l'offre en vente à la section §271 comme acte de contrefaçon souleva de nouvelles questions pour les tribunaux lorsqu'il s'agissait de définir la portée territoriale de la loi américaine. En guise d'illustration, les tribunaux débattirent longtemps sur le point de savoir si une « offre en vente » signifiait une offre faite internationalement pour une vente se produisant aux États-Unis (par exemple deux sociétés en Europe discutent sur une proposition de vente d'un produit visant les États-Unis) ou, inversement, une offre faite aux États-Unis de vente hors des États-Unis.

L'opinion de la Court of Appeal for the Federal Circuit (CACF) de 2010, dans l'affaire Transocean Offshore Deepwater Drilling, Inc. v. Maersk Construction USA, Inc.2 régla cette question. Cette décision impliquait une « offre en vente » selon l'article §271(a). La Société Transocean faisait une offre en vente d'un produit prétendument contrefaisant à une autre société située en Norvège. Le produit devait être livré et utilisé aux États- Unis. La CAFC soutint que cela constituait une offre en vente selon la section §271(a), que l'accent ne devait pas être mis sur le lieu de l'offre, mais plutôt sur le lieu de la future vente. Selon la jurisprudence Transocean, toute offre en vente d'un produit qui contrefait un brevet américain et envisage la vente du produit contrefaisant aux États- Unis constitue un acte de contrefaçon directe. Ainsi, des sociétés étrangères, qui négocient hors du territoire américain des ventes potentielles d'articles contrefaisants aux États-Unis peuvent se rendre coupables de contrefaçon directe sous l'article §271(a).

Pour ce qui est de la réalité de la vente ellemême, la décision Wesley Jessen Corp. v. Bausch& Lomb, Inc.3 peut être évoquée. Dans cette affaire, le tribunal a jugé qu'une offre en vente non autorisée pouvait motiver une action en contrefaçon, même en l'absence de vente effective. En conséquence, un industriel européen qui offrirait en vente ses produits à des américains, par l'intermédiaire d'un agent commercial résidant aux États-Unis, ou sur un site Internet accessible à des clients potentiels américains, ou encore à travers des courriers expédiés à d'éventuels acheteurs américains, pourrait être poursuivi pour contrefaçon, quand bien même la vente n'aurait pas lieu. Un breveté américain peut donc s'opposer à de telles offres émanant d'un concurrent, laquelle stratégie peut se révéler commercialement efficace.

B. L'importation selon les sections 271(a) et (g)

L'importation d'un objet breveté sur le territoire américain est un acte de contrefaçon directe selon le paragraphe (a). L'importation selon §271(a) est considérée comme un acte « domestique », c'est à dire non-extraterritoriale. De plus, elle peut former la contrefaçon directe requise pour une attaque en contrefaçon indirecte, comme l'incitation à la contrefaçon selon §271(b) par des actes commis hors du territoire américain (cf. infra).

En 1988, le Congrès Américain amenda l'article 271 pour y inclure un paragraphe (g). Cette section §271(g) entraîne la responsabilité pour contrefaçon fondée sur l'importation, la vente, ou l'utilisation aux États-Unis d'un produit fabriqué à l'étranger par un procédé breveté aux États-Unis. Selon l'article §271(g), l'importation ou la vente d'un produit qui n'est pas, en soi breveté, mais qui est obtenu à l'étranger par un procédé breveté aux États-Unis, peut constituer une contrefaçon.

Il résulte de ces dispositions que les produits obtenus par des procédés brevetés se trouvent protégés aux États-Unis, sensiblement de la même manière qu'en France. On observera toutefois que la loi américaine ne prévoit pas que le produit soit « directement » obtenu par le procédé breveté.

L'affaire Syngenta Crop v. Willowood (2019)4 illustre une interprétation relativement large de la section 271(g). La question pour la CAFC était de décider si la section 271(g) exigeait que le produit soit fabriqué selon le procédé revendiqué par une, ou sous le contrôle d'une seule entité comme c'est le cas pour les actes de contrefaçon selon la section 271(a). La CAFC décida que cette exigence d'unité d'entité vis-à-vis de la fabrication du produit ne s'appliquait pas à la section 271(g).

II. La contrefaçon indirecte

Les actes de contrefaçon indirecte sont respectivement définis dans les paragraphes b, c et f de l'article 35 USC §271. Il s'agit de l'incitation à contrefaire, de la contrefaçon par contribution et de l'exportation de composants.

A. L'incitation à la contrefaçon

L'article 35 §271 b) de l'USC dispose : « Quiconque incite activement autrui à contrefaire un brevet encourt la responsabilité d'un contrefacteur ». Selon ce paragraphe, l'incitation ne peut constituer un acte de contrefaçon que dans la mesure où elle conduit effectivement à une contrefaçon directe. L'incitation peut prendre des formes diverses, comme, par exemple, la vente de pièces détachées pour la réparation d'un objet contrefait, dans certaines circonstances, la fourniture de plans ou dessins en vue de l'exécution de l'invention brevetée, les instructions données lors de la vente d'un produit pour utiliser ce produit dans un dispositif ou procédé breveté.

Ainsi, une activité développée hors des États- Unis peut constituer une incitation condamnable si l'entité incitée contrefait directement le brevet aux États-Unis selon le §271(a), par exemple à travers l'importation d'un produit sur le territoire américain. Ce point a été illustré par la décision de la Cour Suprême dans l'affaire Global-Tech v. SEB (2011)5, et réaffirmé par la CAFC dans l'affaire Merial v. Cipla de 2012. Dans cette dernière, la Cour déclara explicitement que le §271(b) n'exclut pas la responsabilité de contrefaçon pour des actes extraterritoriaux qui induisent un acte de contrefaçon directe aux États-Unis.

Dans sa décision Suprema v. ITC de 2015, la CAFC a confirmé que l'International Trade Commission (ITC) avait le pouvoir de faire cesser l'importation de produits lorsque le vendeur incitait l'importateur à la contrefaçon directe après importation. Dans cette affaire, le coréen Suprema vendait des scanners pour empreintes digitales à la société Mentalix, qui importait ceux-ci aux États-Unis. La contrefaçon de la revendication de procédé n'existait qu'une fois qu'un logiciel était chargé dans le scanner par Mentalix, après l'importation. Donc, au moment de l'importation, il n'y avait pas contrefaçon directe. La CAFC interpréta la loi gouvernant l'ITC (19 USC §1337) comme suffisamment souple pour couvrir cette situation où la contrefaçon directe existait après l'importation. La Cour a donc jugé que Suprema était un contrefacteur indirect selon 271(b) et que l'ordre de stopper l'importation des scanners était justifié.

B. La contrefaçon par contribution

Le paragraphe c) de l'article 35 USC 271 dispose en partie que : « quiconque offre en vente ou vend aux États-Unis ou importe aux États-Unis un élément d'une machine, d'un article manufacturé, d'une combinaison ou d'une composition brevetée, ou une matière ou un appareil à utiliser dans l'application d'un procédé breveté, et constituant une partie de l'invention, encourt la responsabilité d'un contrefacteur indirect (contributory infringer) ».

La section 271(c) contient donc une restriction territoriale explicite « aux États-Unis » et contraste ainsi avec la section 271(b). De ce fait, la contrefaçon par contribution est rarement soulevée dans les affaires impliquant des activités extraterritoriales.

Historiquement, la loi américaine sur les brevets avait été marquée par une forte présomption à l'encontre de l'extraterritorialité6. Cependant, avec le temps, le Congrès amenda de manière répétée la loi sur la contrefaçon (35 USC §271) et écarta cette présomption. En 1984, par exemple, il introduisit le paragraphe f) de l'article 35 USC 271, qui comprend deux parties touchant à l'exportation de composants à partir des États-Unis :

  1. La première partie exige que les composants en question constituent l'ensemble ou une partie substantielle de l'invention brevetée. En 2017, dans Life Tech. v. Promega7, la Cour Suprême a confirmé qu'il s'agissait d'une évaluation quantitative : un composant unique n'est pas suffisant s'il est en quantité peu importante dans le produit final, même s'il est qualitativement important. Cette disposition exige en outre que le contrefacteur incite activement à la combinaison des composants en dehors des États-Unis, de telle manière qu'il y aurait contrefaçon si cette combinaison était effectuée aux États-Unis. Les composants peuvent être des articles ou des produits courants du commerce pouvant avoir aussi des usages non contrefaisants.
  2. La seconde partie exige que les composants soient spécialement adaptés à l'utilisation de l'invention brevetée et que le contrefacteur connaisse et vise la combinaison de ces composants hors des États-Unis. Dans ce contexte, il n'est pas nécessaire que la combinaison ou l'assemblage des composants ait effectivement eu lieu par la suite (la question n'est pas tranchée pour l'acte de contrefaçon visé dans la première partie). Selon cette seconde partie, les composants ne peuvent pas être des articles ou des produits courants du commerce pouvant avoir aussi des usages non contrefaisants.

Ainsi, en application de ces dispositions, une société peut être poursuivie pour contrefaçon si elle exporte, à partir des États-Unis, un ou des composants d'un produit breveté aux États-Unis, et si elle fabrique puis vend le produit final hors des États-Unis. En outre, dans un tel cas, le breveté américain peut s'opposer à cette exportation et/ou obtenir des dommages intérêts pour les ventes effectuées hors des États-Unis. Ces actions peuvent se révéler commercialement efficaces, en particulier pour les sociétés en concurrence sur des marchés situés hors des États-Unis.

La Cour Suprême, dans sa décision WesternGeco LLC v. ION Geophysical Corp8, illustre la tendance en faveur d'une certaine extension de la portée des brevets américains. Dans cette affaire, une société fabriquait des composants d'un produit breveté aux États- Unis et, ensuite, expédiait à l'étranger ces composants pour les assembler dans le produit breveté. L'article §271(f) élargit la définition de la contrefaçon pour inclure la fourniture, depuis les États-Unis, des composants d'une invention brevetée. Ainsi, la fourniture de composants à un tiers à l'extérieur des États-Unis, lequel ensuite assemble ces composants hors des États-Unis en un produit couvert par un brevet américain, peut constituer la contrefaçon d'un brevet américain.

Traditionnellement, aucun dommage ne pouvait être dû pour l'exploitation d'un brevet américain lorsque cette exploitation avait lieu à l'étranger. Dans l'affaire WesternGeco, le breveté, WesternGeco, tentait d'obtenir des dommages-intérêts de la part de ION en raison d'une perte de profit liée à la vente à l'étranger, par ION, du produit breveté. ION avait négocié des contrats en dehors des États-Unis pour la vente du produit contrefaisant et WesternGeco fit valoir qu'il aurait remporté de tels contrats (avec les produits financiers correspondants) en l'absence de cette action par ION. La Cour Suprême soutint que la perte de profits liée à une vente dans d'autres pays par un tiers était un motif valable pour réclamer des dommages-intérêts. Même si l'acte de contrefaçon se limitait à la fourniture de composants du produit breveté aux États- Unis, sous le paragraphe §271(f), WesternGeco put recevoir une indemnisation pour les ventes à l'étranger du produit fini.

Depuis 2018, les tribunaux ont commencé à déterminer comment interpréter la décision WesternGeco. Rien, dans cette décision, n'excluait son application à d'autres paragraphes de l'article §271. De même, rien ne limitait son application aux profits perdus. Ainsi, certains tribunaux ont déjà tranché entre 2018 et 2020 qu'un breveté pouvait recevoir des dommages-intérêts correspondant à des ventes d'un produit hors des États-Unis si celles-ci sont le résultat d'un acte de contrefaçon (par exemple la fabrication du produit) sur le territoire américain selon le paragraphe §271(a)9.

D'autres affaires devront déterminer si la décision WesternGeco autorise des redevances raisonnables pour l'utilisation à l'étranger d'une invention brevetée. Une interprétation large de WesternGeco pourrait conduire à une augmentation importante des dommages-intérêts pour des activités contrefaisantes à l'étranger. On peut imaginer, par exemple, un industriel européen, sans activité commerciale aux États-Unis, mais en concurrence avec un industriel américain sur le marché asiatique. Si l'industriel européen détient un brevet américain, il pourra poursuivre l'américain pour contrefaçon de brevet et prétendre à des dommages correspondant aux ventes de son concurrent sur le marché asiatique.

Conclusion

Le simple fait de ne pas avoir d'activité sur le territoire américain n'est pas suffisant pour protéger les industriels d'une contrefaçon d'un brevet américain. En particulier, les offres en vente, les importations, les actes incitant à une contrefaçon directe sur le sol américain, et les assemblages de composants venant des États-Unis peuvent, dans certaines circonstances, créer une responsabilité pour la contrefaçon de brevet américain. Dans notre monde interconnecté et globalisé, les acteurs commerciaux doivent donc être prudents sur ces points.

Footnotes

1. NTP, Inc. v. Research in Motion, Ltd [418 F.3d 1282 (Fed. Cir. 2005)], US Court of Appeals, Federal Circuit, 2 August 2005.

2. Transocean Offshore Deepwater Drilling, Inc.v. Maersk Construction USA, Inc, [No. 2009-1556], US Court of Appeals, Federal Circuit, 18 August 2010.

3. Wesley Jessen Corp. v. Bausch & Lomb, Inc., [256 F. Supp. 2d 228 (D. Del. 2003)], US District Court for the District of Delaware, 3 April 2003.

4. Syngenta Crop Protection, LLC v. Willowood, LLC, [No. 18-1614 (Fed. Cir. 2019)], US Court of Appeals, Federal Circuit, 18 December 2019.

5. Global-Tech Appliances, Inc. v. SEB S.A., [563 U.S. 754 (2011)], U.S. Supreme Court, 23 February 2011.

6. Cette présomption incite les juges américains interprétant les articles du Titre 35 à considérer que, sauf indication claire d'une volonté du Congrès de réglementer la conduite à l'étranger, ces articles ne s'appliquent pas.

7. Life Technologies Corp. et al. v. Promega, [580 US_2017], U. S. Court of Appeals for the Federal Circuit, 22 February 2017.

8. WesternGeco LLC v. ION Geophysical Corp, [585 U.S._(2018)], U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit, 22 June 2018.

9. Voir, par exemple, les décisions Power Integrations Inc. v. Fairchild Semicondutor, [C.A. No. 08-309-LPS (D. Del. Jul. 22, 2019)], U.S. District Court of Delaware, 10 April 2018, Wilmington, Delaware ; ou W. H. Wall Family v. CeloNova Biosciences, [CIVIL NO. 1:18-CV-303-LY (W.D. Tex. Apr. 2, 2020)], U.S. District Court for the Western District of Texas, 2 April 2020 et ABS Glob. V. Inguran, U.S. District Court for the Western District of Wisconsin, 12 May 2020.

Originally published by Association Francophone de la Propriete Intellectuelle.

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