TABLES RONDES COMPLIANCE
Les deux tables-rondes de la matinée ont permis
d'échanger d'abord sur les aspects
règlementaires et législatifs, et notamment sur les
textes émanant de l'OCDE, transposés au sein du
droit français et du droit de l'UE, avant
d'évoquer la dimension internationale à travers
l'analyse, notamment, de la question de
l'extraterritorialité et du rapport déposé
la veille du colloque par Monsieur le député
Raphaël Gauvin.
La première table ronde a été consacrée
aux sources internationales et internes de la compliance, de leur
naissance à la relation avec les autres branches du droit,
en passant par les nouvelles obligations en découlant et les
enjeux pour l'avocat.
Lors de la première intervention, Nicola Bonucci (OCDE) a
distingué deux grandes périodes
d'évolution de l'OCDE sur la question de la
compliance : d'abord une approche classique
intergouvernementale entre les entreprises, entre
indifférence et prudence, dans laquelle l'entreprise
était vue comme le problème, puis une prise de
conscience que les entreprises peuvent jouer un rôle dans la
mise en Suvre de la convention OCDE. Aujourd'hui, la compliance
est une notion totalement acquise, en témoigne par exemple
le manuel de la World Bank et l'OCDE, qui visent à
regrouper tous les standards et à fournir des outils
pratiques aux entreprises. La mise en Suvre, par l'OCDE, de la
convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales
et la réalité du terrain a convaincu l'OCDE que
les entreprises sont l'un des éléments de la
solution. De plus, la coopération internationale dans ce
domaine, à travers la mobilisation de toutes les parties
prenantes, est essentielle. Cela étant, la convention
n'a que 20 ans et changer une culture enracinée est un
challenge même si il est évident que la compliance
joue un rôle clé qui doit être vu par les
entreprises comme une ressource et un investissement, et non comme
une contrainte.
Marie-Emma Boursier (Université Paris-Saclay) a ensuite
traité du couple droit pénal et compliance. Si le
lien entre les deux notions est a priori étroit, les travaux
internationaux en matière d'infraction pénale ont
évolué vers des mécanismes de compliance
motivés par le souhait de trouver un vecteur de lutte contre
la corruption internationale. Cela a changé la vision de
l'anticorruption, qui embrasse désormais un effet
préventif tendant à prévenir la
réalisation d'un risque, à travers sa
détection d'abord, et la mise en place de
réponses adaptées à cette détection
ensuite, que l'on retrouve dans la cartographie des risques.
Ces obligations changent l'aspect de la relation de
l'entreprise avec le droit pénal : il faut
désormais intégrer la conformité comme un
risque pénal.Quoi qu'il en soit, la relation entre
compliance et droit pénal sous l'impulsion des
organisations internationales a pour effet la protection du pacte
social, avec la prévention en amont et la répression
en aval. L'entreprise devient partenaire des autorités
publiques, ce qui change fondamentalement les choses dans un
contexte de droit pénal des affaires internationales.
Ces nouvelles obligations, en plus de changer la relation de
l'entreprise avec le droit pénal, font surtout de
l'entreprise le gendarme de sa propre conformité. Comme
l'a souligné Charles Duchaine (Agence Française
Anticorruption), le dispositif français issu de la loi Sapin
II est à la fois original, en ce qu'il instaure une
obligation de conformité en dehors de toute
répression, et ambitieux, en ce qu'il vise à
améliorer les standards de la lutte anti-corruption et
repose sur une relation de confiance entre les acteurs et les
régulateurs. Il fait de la compliance un mode volontaire de
régulation, mettant en Suvre gouvernance et contrôle
interne pour écarter le risque systémique et
l'impact d'un risque isolé. Néanmoins, si
l'acteur est lui-même le gendarme de sa propre
conformité, l'Etat conserve la charge de mener des
contrôles ponctuels pour veiller au respect des obligations
quant à l'existence et à l'efficacité
des mesures mises en Suvre. Si le dialogue avec les entreprises,
avec les avocats et avec les partenaires est constructif et ce
même au niveau européen, on peut émettre des
réserves sur l'engagement des dirigeants.
L'aspect préventif de la compliance a été
développé par Eliane Houlette (Parquet National
Financier). Lacompliance est ainsi aussi claire, par son objectif
visant à responsabiliser les acteurs économiques en
les incitant à l'autorégulation de leur
activité, que sombre, en raison d'abord de
l'incapacité des pouvoirs publics d'avoir un pouvoir
de régulation à l'échelle mondiale et,
ensuite, parce que le mode de régulation reste
attaché à un type d'économie
libéral et libéralisé (système
juridique anglo-saxon). A l'issue de la loi Sapin II, quatre
enjeux majeurs ont été identifiés sur le plan
judiciaire : l'extraterritorialité, le principe non bis
in idem, la mise en cause des personnes morales et le
problème de la fraude fiscale et du blanchissement.
La problématique des enjeux fondamentaux pour la profession
d'avocat a été soulevée par Pierre-Olivier
Sur (FTMS), qui considère que le premier enjeu est né
de l'intégration, par la loi Sapin II, de la notion de
« vérité » pour l'avocat : le terme
n'est évoqué en procédure pénale
que pour le témoin (serment de ne dire que la
vérité) et le juge d'instruction (participe
à la manifestation de la vérité). N'ayant
aucun devoir de participer à la manifestation de la
vérité, l'avocat n'en connaissait pas. Si
évidemment par son travail il contribue à son
établissement, il va plutôt participer au silence
jusqu'au mensonge lorsqu'il intervient ex-post dans la
défense de son client. On peut considérer que la loi
Sapin II intègrerait la notion de «
vérité » à l'office de l'avocat
en le faisant intervenir ex-ante, ce qui supposerait de modifier
les règles de déontologie. Le deuxième stade
est l'enquête interne, où il faut décliner
le secret professionnel. On peut alors se demander si, au stade de
l'enquête administrative, les avocats peuvent devenir
lanceurs d'alerte – ceci étant contre les
règles de la profession, la réponse serait alors
négative.
La seconde table ronde de la matinée, intitulée
« Vers un droit de la compliance européen ? »
s'intéresse à l'aspect international de la
compliance et l'importance de penser ces sujets à
l'échelle européenne.
Raphaël Gauvain (LREM) a d'abord présenté
trois recommandations is sues du rapport, remis la veille au
Premier Ministre, relatif aux mesures nécessaires à
la protection des entreprises européennes. Celles-ci sont
trèsconfrontées aux procédures initiées
par les autorités européennes et américain es
: sur vingt-six entreprises concernées entre 2000 et 2008,
on compte quatre européennes, cinq françaises et
aucune russe ni chinoise. La première recommandation vise
à renforcer l'efficacité de la loi de blocage et
à rétablir la souveraineté judiciaire en
obligeant les pouvoirs publics américains à passer
par la voie de la coopération internationale, à
travers (i) le signalement, par les entreprises, de toute demande
et (ii) une aggravation des sanctions sur les entreprises. La
deuxième proposition consiste à mettre en place des
sanctions contre les hébergeurs de données
numériques non personnelles des entreprises
françaises, leur interdisant de les transmettre à des
autorités étrangères sans passer par les
canaux d'entraide administrative ou judiciaire. Cela pourrait
se matérialiser par une extension du mécanisme
applicable en matière de RGPD (sanction financière
dissuasive de 4% du chiffre d'affaires mondial) afin de
créer un conflit de loi favorable sur le Cloud Act. La
troisième proposition tend à répondre à
la problématique de la protection des avis juridiques
internes, à travers la transposition du legal privilege,
avec une définition stricte. Cette protection pourrait
être conférée à tous les juristes - mais
un tel legal privilegeaurait peu de chance d'être reconnu
par les américains - soit uniquement aux avocats, par la
création du statut d'avocat d'entreprise.
Reprenant les vulnérabilités mises en lumière
par ce rapport (asymétrie des procédures juridiques
dont disposent les autorités, incertitude des concepts
juridiques utilisés par le droit américain, faiblesse
des instruments de défense et de protection de blocage au
niveau national et européen et déficit de prise de
conscience de ces faiblesses et de volonté politique de les
affronter au niveau national et européen), Pierre Sellal
(August Debouzy) a évoqué en complément quatre
axes d'actions mis en lumière par le rapport. En premier
lieu, la stratégie de contestation des pratiques
extraterritoriales nécessiterait de trouver une
autorité capable de contrer la contrariété
entre les droits, la dénonciation des accords et les
procédures qui contraignent les entreprises
européennes à se soumettre pour conserver un
accès au marché américain. En second lieu, la
stratégie de l'interdiction, qui est l'objectif des
procédés de blocage et de la loi de 1968,
présente aussi des inconvénients : elle expose les
entreprises à un conflit de lois et suppose une
volonté politique forte et une importante unité
d'intérêts. Concernant, en troisième lieu,
la stratégie consistant à empêcher les
Etats-Unis de revendiquer leur compétence en
développant un Cloud souverain qui relèverait du
droit européen, le fait que tous les Etats membres
n'aient pas la même discipline affecte la
crédibilité de l'Europe : il faudrait donc (i)
une directive d'harmonisation pour que les Etats membres
incorporent les principes de l'OCDE, (ii) une coordination
entre les Etats membres, (iii) une extension de compétence
du parquet européen et (iv) la négociation d'un
accord bilatéral entre l'Europe et les Etats-Unis,
fondé sur le principe non bis in idem. La quatrième
stratégie, qui est celle de la coopération, fait la
force de l'Europe depuis sa construction.
La question de la compliance au sein des entreprises a ensuite
été évoquée par Gilles Briatta
(Société Générale), qui a
souligné que celle-ci était essentielle dans le
secteur bancaire, étant considérée (avec
raison) comme le principal risque opérationnel. Si le
contrôle de son application dans le secteur relève des
autorités américaines, la menace la plus importante
reste la menace pénale. Le transfert de la supervision
prudentielle à la Banque Centrale Européenne
opéré fin 2014 a nécessairement donné
une dimension européenne à la question. Or ce
transfert reste inachevé : beaucoup de règles restent
nationales, ce qui crée des confusions qui affaiblissent le
pouvoir normalisateur européen et français. En
revanche, les compétences européennes ne sont pas
mises en Suvre de manière uniforme car les moyens
d'exécution n'ont pas été
transférés, entraînant des divergences entre
autorités nationales (cf. RGPD, sanctions et embargo). Si la
compétence européenne est une solution indispensable,
il faut transférer les moyens nécessaires pour mettre
fin aux incertitudes. Sur la question du respect de la
confidentialité des avis juridiques, il est
incompréhensible qu'en France on ne reconnaisse pas le
droit à une personne sous enquête de les garder
confidentiels. A ce titre, le pays le plus efficace dans les
enquêtes (les Etats-Unis) reconnaît le legal
privilege...
Pour conclure, Bernard Cazeneuve (August Debouzy) expose qu'il
est inconcevable d'avoir un marché intérieur
unique si les dispositifs en matière d'anti-corruption
sont différents dans chaque Etat membre. Afin
d'éviter ce facteur de distorsion de concurrence, il
faut procéder à une homogénéisation des
règles en matière d'anti-corruption, qui
n'existe pas aujourd'hui. A ce titre, une directive
européenne qui intègrerait les principes de
l'OCDE permettrait de cadrer le marché intérieur
et pourrait définir les conditions d'intervention du
juge européen. Sur la question de l'efficacité de
l'application de ces dispositions par les juridictions
nationales et la coordination sur le plan européen, des
actions doivent être conduites concernant les poursuites
internationales et européennes : c'est l'exemple des
normes prudentielles contenues dans la CRD4 ou du RGPD, qui
montrent la capacité des régulateurs nationaux
à parler entre eux. Enfin sur la loi de blocage, les
entreprises sont dans un entre-deux, entre appliquer la loi
française ou avoir affaire au US Department of Justice... La
solution pourrait résider dans la mise en place
d'amendes proportionnelles.
TABLES RONDES ARBITRAGE
Ainsi que l'a indiqué le Professeur Thomas Clay
(Université Paris I Panthéon – Sorbonne), sous
la direction de qui les tables rondes consacrées à
l'arbitrage se sont déroulées, la relation entre
l'arbitrage et la compliance est un sujet neuf ; la
matière est inédite mais importante, car forte
d'une récente actualité législative
(à travers la loi Sapin II et la loi Pacte) et
jurisprudentielle (à travers notamment la décision de
la cour d'appel de Paris du 28 mai 2019 dans l'affaire
Alstom Transport). Compte tenu de ce caractère
inédit, les intervenants des tables rondes relatives
à l'appréhension des questions de compliance par
l'arbitrage ont été invités à poser
des questions plutôt qu'à apporter des
réponses.
La première table ronde a été consacrée
au contrôle de la compliance pendant l'arbitrage,
à travers l'arbitrabilité des litiges de
compliance d'abord, puis le contrôle de la compliance par
les acteurs de l'arbitrage, à savoir l'entreprise,
l'avocat et l'arbitre.
Marie Danis (August Debouzy) a d'abord évoqué
la question de l'arbitrabilité des litiges de
compliance. L'arbitrabilité d'un litige
s'apprécie selon les personnes
considérées, ou selon la matière soumise
à l'arbitrage ; la difficulté tient au fait que
les règles de compliance sont de natures très
différentes, certaines relevant du droit pénal
domestique, d'autres de traités internationaux, ou
encore constituent des règles de bonne conduite
dénuées d'effet contraignant. La jurisprudence ne
considère pas que les litiges de compliance soient par
nature inarbitrables : l'arbitre a compétence pour
décider s'il peut sanctionner les manquements à
des règles relevant de l'ordre public international
(arrêt Gantz de 1991, arrêt Labinal de 1993). En
pratique, si l'arbitre ne peut imposer de sanctions
pénales, il peut tirer les conséquences civiles
d'un comportement illicite, par exemple en matière de
concurrence et de contrôle des concentrations,
matières dans lesquelles l'arbitre peut ordonner le
paiement de dommages-intérêts en cas d'atteintes.
Il en va de même en matière environnementale, qui
connaît des arbitrages en particulier relatifs à des
garanties de passif environnementales. Dans un arbitrage CCI de
2003 où les arbitres ont statué en
équité, il a notamment été fait
application du droit international coutumier pour ordonner la
remise en état d'une plate-forme offshore alors
qu'aucune obligation de dépollution n'était
stipulée dans le contrat d'exploitation
pétrolière. Les multiples textes qui constituent le
droit de la compliance peuvent être appliqués par
l'arbitre, qui s'ouvre ainsi un champ nouveau.
Karl Hennessee (Airbus) a ensuite évoqué la
manière dont l'entreprise appréhendait les
questions de compliance, depuis l'arrêt Metal-Tech de
2013 jusqu'à aujourd'hui avec les arrêts
Alstom. Si les conseils doivent faire preuve de courage face aux
pratiques de leurs clients, qui ne peuvent pas toujours être
changées, et face au nombre relativement faible de sentences
publiques qui peuvent éclairer sur les comportements qui
doivent être sanctionnés, et si les arbitres sont
également confrontés à des décisions
difficiles à prendre seuls et qui ne ressortent pas
seulement du droit, les juristes doivent, de leur
côté, prendre des décisions
systématiques et pas uniquement au cas par cas. Il est
préférable de réfléchir à la
question à l'avance pour établir un
système adapté et qui permet de mettre en Suvre des
réponses cohérentes, compatibles avec la politique de
conformité de l'entreprise et avec l'état du
droit. La jurisprudence arbitrale étant encore à ses
débuts dans cette matière, les arbitres d'abord,
et les juges ensuite, constitueront des guides pour mettre en place
les pratiques à appliquer à l'avenir.
Le rôle de l'avocat dans le contrôle de la
compliance pendant l'arbitrage a été
évoqué par Matthias Fekl (KGA), qui a d'abord
rappelé la multiplicité des enjeux :
nécessité de lutter contre la corruption, opposition
des grands ensembles régionaux sur la scène
internationale, extraterritorialité des règles face
auxquelles il faut assurer la place des règles
françaises et européenne et attractivité de la
place de Paris, à travers la pleine mise en Suvre des
règles de compliance. A ces enjeux, il faut répondre
de manière proactive et sans naïveté,
d'abord en permettant à l'avocat d'être
présent en amont de l'arbitrage, pour s'assurer du
respect, par son client, des normes en vigueur : l'avocat
accompagne la démarche de transparence et de
sécurisation des situations ; il doit pouvoir
échanger avec les autorités compétentes et
alerter son client sur les risques. Avant le déclanchement
de l'arbitrage, il doit conseiller sur le choix d'un
siège sérieux avec des règles robustes, pour
éviter de faire naître des interrogations chez les
autorités. Pendant l'arbitrage, l'avocat peut
potentiellement gérer plusieurs procédures, en
l'absence de coordination internationale et si aucun sursis
à statuer n'a été ordonné. Il devra
également être capable de répondre aux
éventuelles inversions de charges de la preuve, conseiller
son client sur la proportionnalité des informations
transmises, tout en conciliant cette exigence de transparence et de
confiance avec le secret professionnel, afin d'éviter de
se transformer en lanceur d'alerte.
La question du rôle de l'arbitre a, enfin,
été évoquée par Bernard Hanotiau
(Hanotiau & van den Berg) à travers l'étude,
d'abord, de son attitude face à des faits de corruption
tant en arbitrage commercial que d'investissement. Dans ce cas,
l'arbitre doit déterminer si la corruption existe et
doit en tirer les conséquences, en refusant par exemple la
protection du traité bilatéral d'investissement
en cas d'investissement illégal. Enmatière
commerciale, la corruption, qui prend des formes diverses,
relève de l'ordre public international : l'arbitre
doit effectuer des investigations approfondies, non seulement quand
des allégations de corruption sont formées devant
lui, mais également d'office, en s'aidant de
certains «red flags ». Quand de telles
allégations existent, l'enjeu est essentiellement
probatoire, mais la question est plus délicate quand il
n'y a pas de telles allégations : l'arbitre doit
être particulièrement vigilant, également pour
s'assurer que la procédure n'est pas
instrumentalisée par les parties. Il en va de même en
matière de blanchiment : dans l'affaire Belokon, les
arbitres n'avaient pas ignoré les allégations
faites devant eux par les parties mais avaient
considéré qu'elles ne permettaient pas de prouver
le blanchiment allégué, contrairement à ce que
le juge du recours français a retenu. On peut donc
s'interroger sur l'étendue du contrôle et de
l'analyse que peut faire le tribunal arbitral face à une
suspicion de blanchiment, en l'absence ou non
d'allégation par les parties. Concernant les autres
règles de compliance, les décisions sont rares
à ce stade, ce qui rend nécessaire de soulever ces
questions.
La seconde table ronde a été consacrée au
contrôle de la compliance après l'arbitrage,
à travers le contrôle exercé par le juge
pénal, le juge du recours, l'institution d'arbitrage
et, en dernier lieu, le contrôle de l'arbitre
lui-même.
Concernant le contrôle de la compliance par le juge
pénal, le Professeur David Chilstein (Université
Paris I Panthéon-Sorbonne) a rappelé que le juge
pénal n'avait pas vocation à être le juge
de la conformité, dont le respect est assuré par
d'autres instances. En revanche, le juge pénal peut
intervenir dans un second temps, dans l'hypothèse
où les programmes de conformité n'auraient pas
été mis en place, dans les cas les plus graves
où une telle violation des normes de compliance pourrait
constituer un indice de commission d'infractions graves, telles
que la corruption ou le blanchiment. En définitive, le juge
pénal reste relativement en retrait du contrôle de la
compliance.
Le second aspect relatif au contrôle de la compliance par le
juge du recours, évoqué par Marie Valentini (August
Debouzy) pose d'abord la question de l'identification de la
règle de compliance au regard de laquelle le juge
contrôle la sentence. Reprenant le critère retenu par
la jurisprudence pour caractériser une violation de
l'ordre public international, la norme de compliance est prise
en compte si elle matérialise un consensus international.
C'est le cas de certaines lois de police et notamment des
normes relatives à la corruption ou au blanchiment, qui sont
sanctionnées par la Convention de Mérida de 2003. Il
en va autrement des normes de compliance purement étatiques,
dont le contrôle a été exclu par le juge du
recours dans l'arrêt Belokon (21 février 2017) et
des normes de compliance purement contractuelles, également
écartées dans l'arrêt Alstom Transport (10
avril 2018). Quant à la manière dont le juge du
recours contrôle le respect, par la sentence, de ces normes
de compliance qui relèvent de l'ordre public
international, ses prérogatives se renforcent pour lui
permettre d'analyser, en droit et en fait et
indépendamment des constatations réalisées par
les arbitres, si des indices graves, précis et concordants
révèlent l'existence de faits
répréhensibles au titre de normes de compliance
relevant de l'ordre public international. C'est ce
contrôle que le juge du recours a opéré dans
les arrêts Belokon et Alstom Transport, en procédant
même dans ce dernier cas à la réouverture des
débats, lui permettant ainsi de réaliser un
contrôle effectif de la sentence, malgré le
caractère limitatif des cas d'ouverture.
Le troisième aspect du sujet, développé par
Matthieu de Boisséson, était relatif au
contrôle opéré par le centre d'arbitrage.
Celui-ci peut s'opérer d'une part sur la
procédure d'arbitrage elle-même et d'autre
part sur la sentence, lorsque des risques sur
l'exécution sont identifiés ou lorsque la
résolution de certaines questions contractuelles peut
soulever des questions de conformité. Le Règlement
d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale («
CCI ») met ainsi en place, à son article 34, un
système de revue du projet de sentence par la Cour de
l'institution, qui peut «en respectant la liberté
de décision du tribunal arbitral, attirer son attention sur
les points intéressant le fond du litige». Ce
contrôle peut également s'exercer sur le centre
d'arbitrage lui-même, qui est aussi soumis au respect de
certaines normes de compliance dans l'exercice de sa mission :
la CCI a notamment édicté, en septembre 2017, une
note à l'attention des parties et des tribunaux
arbitraux sur la conformité et qui rappelle les
règlementations en matière de sanctions susceptibles
de s'appliquer aux activités de résolution des
différends, ainsi que les mesures administratives qui
peuvent être prises afin d'assurer la conformité
à ces régimes de sanctions. La CCI ayant son
siège en France, elle est soumise à certaines
réglementations nationales, mais également à
d'autres règles relatives à la réception
des paiements, qui soulèvent des questions pratiques avec
les banques.
Le dernier aspect, développé par Smahane Akhouad
(Université Paris – Saclay) était relatif au
contrôle exercé sur l'arbitre, qui est soumis
à un devoir de due diligencepour éviter
l'annulation de sa sentence ou éviter de se rendre
complice de violations de normes de compliance. Ce contrôle
est d'abord judiciaire et passe en premier lieu par sa
responsabilité civile : l'arbitre, qui jouit d'une
immunité de juridiction, doit néanmoins
s'acquitter de sa mission contractuelle en assumant les
responsabilités qui l'accompagnent en cas de faute
personnelle équipollente au dol ou faute lourde, fraude ou
déni de justice (arrêt Raoul Duval de 1995,
arrêt Banque Delubac du 31 mars 2015). Si la
responsabilité civile de l'arbitre est engagée,
seules les conséquences directes de sa faute peuvent
être indemnisées. Ce n'est que dans des
circonstances extrêmes que son immunité peut
être levée et jamais si sa faute ressort du fond de la
décision – mais on peut se demander si cela serait
encore le cas si l'arbitre ne tenait pas compte de la
violation, par les parties, de règles de compliance.
L'arbitre peut également voir sa responsabilité
pénale engagée (faits de faux et usage de faux, de
corruption ou de trafic d'influence ou encore de blanchiment,
en tant qu'auteur principal ou complice). L'existence de
ces sanctions pénales est dissuasive et garantit une
certaine moralité et éthique de l'arbitre et, par
extension, de l'arbitrage. Le dernier aspect est le
contrôle extra-judiciaire, à travers la
responsabilité institutionnelle de l'arbitre
vis-à-vis du centre d'arbitrage qui peut le retirer de
ses listes ou prendre des sanctions disciplinaires. Le meilleur
contrôle restant celui de l'arbitre par lui-même,
pour préserver sa réputation.
Télécharger le discours du
Premier Ministre, Edouard Philippe