La Loi de finances pour 2024 a été publiée au Journal Officiel le 30 décembre 2023 à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel du 28 décembre 2023. Dans la droite ligne des annonces de Gabriel Attal dans le cadre du plan de lutte contre les fraudes de juin 2023, l'article 116 de la Loi de finances pour 2024 renforce les obligations documentaires des contribuables, en alourdit les sanctions et renforce les moyens de contrôle de l'administration fiscale sur les incorporels. Une mauvaise nouvelle pour les PME et ETI notamment qui n'ont pas les ressources des grands groupes pour y faire face.

Abaissement du seuil de l'obligation documentaire

  1. L'article L.13 AA du Livre des Procédures Fiscales (« LPF »), qui impose l'obligation de tenir à la disposition de l'administration fiscale une documentation sur les prix de transfert au premier jour du contrôle fiscal, est modifié.
  2. Actuellement, cette obligation s'applique aux entreprises dont le chiffre d'affaires ou l'actif brut est supérieur ou égal à 400 millions d'euros  (ou qui détiennent ou sont détenues, directement ou indirectement, majoritairement par une entité juridique remplissant ce seuil ou sont membres d'une intégration fiscale dont une entreprise excède ce seuil).
  3. Le seuil est désormais abaissé à 150 millions d'euros,  afin d'élargir le champ des entreprises concernées et d'accroître la transparence sur les politiques de prix de transfert.
  4. Ce nouveau seuil est applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.

Opposabilité de la documentation prix de transfert

  1. L'article 57 du Code Général des Impôts (« CGI ») est modifié via l'ajout un alinéa visant à rendre opposable la documentation au contribuable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.
  2. Cet ajout crée une présomption simple  de transfert indirect de bénéfices à l'étranger lorsque la méthode de détermination des prix de transfert s'écarte de celle prévue par la documentation mise à la disposition de l'administration.
  3. Le contribuable pourra combattre cette présomption en démontrant, par tous moyens, l'absence de transfert par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente.
  4. Le contribuable devra donc s'efforcer d'appliquer exactement la politique  qu'il documente ou de justifier des écarts entre la politique appliquée et la politique documentée. Rappelons qu'il a déjà l'obligation de réconcilier, dans sa documentation, ses prix de transfert avec les données de la comptabilité sociale.

Augmentation du plancher des sanctions pour non-présentation de la documentation

  1. L'article 1735 ter du CGI, afférent aux sanctions applicables  en cas de défaut ou d'insuffisance concernant la disponibilité de la documentation sur les prix de transfert au premier jour du contrôle fiscal est également modifié.
  2. L'amende minimale  est portée à 50 000 euros par exercice vérifié,  contre 10 000€ auparavant. Il s'agit d'un minimum et l'amende peut atteindre le plus élevé des montants suivants: 0,5% du montant des transactions non documentées ou 5% du montant des rectifications fondées sur l'article 57 du CGI.
  3. La jurisprudence récente, notamment celle de la Cour Administrative d'Appel de Lyon du 25 mai 2023 (n° 21LY03690) « SAS WEG France  » illustre que les sanctions  prévues à l'article 1735 ter du CGI ne sont pas hypothétiques mais effectivement appliquées par l'administration.
  4. L'objectif du texte est de renforcer les sanctions contre les groupes multinationaux  qui ne documentent pas ou documentent de manière partielle leurs prix de transfert.

Contrôle des transferts d'actifs et droits incorporels difficiles à valoriser

  1. Un nouvel article 238 bis-0 I ter du CGI qui concerne les transferts d'actifs et droits incorporels difficiles à évaluer  entre des entités d'un même groupe multinational est créé.
  2. Reprenant les Principes Directeurs de l'OCDE concernant les « Hard-to-Value intangibles  » ou « HTVI  », il vise à vérifier que la valeur retenue lors du transfert d'un HTVI correspond à sa valeur réelle.
  3. Pour cela, l'administration fiscale pourra, sous certaines conditions, utiliser des informations postérieures au transfert, comme les flux financiers générés par l'actif, pour procéder à une rectification. Des exceptions sont toutefois prévues.
  4. L'administration bénéficiera par ailleurs d'un droit de reprise étendu jusqu'à la fin de la 6ème année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due  pour contrôler ces opérations (article L. 171 B nouveau du LPF) ainsi que d'une nouvelle exception à la garantie de non renouvellement d'une vérification de comptabilité  (article L. 51, 8° nouveau du LPF).

Nos commentaires

Après des années sans nouveauté législative, la réglementation applicable en matière de prix de transfert est largement modifiée par la Loi de finances pour 2024.  Ces modifications ne vont pas dans le sens d'un allègement des contraintes pour les entreprises avec une extension des obligations documentaires  à de nouveaux contribuables du fait de l'abaissement du seuil de déclenchement de cette obligation. Cette extension est accompagnée d'une opposabilité de la documentation, (renversement de la charge de la preuve sur le contribuable), d'un alourdissement très important des sanctions  applicables (multiplication par 5 de l'amende minimale), et d'un renforcement des outils de contrôle  à la disposition de l'administration pour les actifs et droits incorporels difficiles à évaluer (possibilité d'évaluation sur la base de résultats postérieurs à l'exercice de la transaction, extension du délai de reprise de 3 à 6 ans et possibilité de renouveler une vérification de comptabilité).

La fin des années COVID a marqué une augmentation significative de l'attention portée par l'administration fiscale aux prix de transfert. Nul doute que les services vérificateurs sauront s'emparer des nouvelles armes mises à leur disposition afin d'accroître la pression sur les groupes multinationaux notamment à travers l'application plus systématique de pénalités documentaires accrues. Par ailleurs, l'opposabilité de la documentation risque de changer la donne dans les contentieux futurs souvent axés sur la charge de la preuve du caractère anormal des prix de transfert.

Notre équipe est à votre disposition afin d'évaluer l'impact de ces évolutions sur votre stratégie documentaire et vos opérations de réorganisation interne.

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