La preuve déloyale s'entend de la preuve obtenue à l'insu d'une personne, souvent grâce à une « manœuvre ou à un stratagème ». Il s'agit, par exemple, d'un enregistrement sonore réalisé sans l'accord de la personne concernée.

Un tel enregistrement peut-il être valablement versé à titre de preuve dans le cadre d'un procès ? Alors que les juridictions pénales ont tendance à répondre par la positive, les juridictions civiles se montraient jusque-là réticentes à admettre la recevabilité d'un tel élément, jugeant de manière constante qu'est « irrecevable la production d'une preuve recueillie à l'insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème »1

Si la Cour de cassation a maintenu cette position pendant des années, elle semble, par un arrêt récent en date du 22 décembre 2023, avoir opéré un revirement de jurisprudence, en posant toutefois certaines limites. 

Un principe largement admis en droit pénal

Selon l'article 427 du Code de procédure pénale « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies  par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction  ». 

La recevabilité de la preuve en matière pénale est ainsi soumise à l'appréciation des juridictions répressives qui, depuis le célèbre arrêt Turquin2, admettent la preuve déloyale rapportée par toute personne privée dans le cadre d'un procès pénal. Cela ne s'applique toutefois pas aux agents de l'autorité publique, tenus au principe de loyauté de la preuve3

La chambre criminelle de la Cour de cassation n'a, depuis, cessé de rappeler qu'aucune « disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter  les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du Code de procédure pénale,  d'en apprécier la valeur probante »4.

Ce raisonnement pourrait s'expliquer, en matière pénale, par le fait que la recevabilité de la preuve déloyale, qui permet aux parties de faire valoir leurs droits dans le cadre de leur défense, peut également servir à démontrer l'existence d'une infraction. Les enjeux dépassent ainsi les simples prétentions des parties et intéressent directement l'ordre public. 

En l'absence de ces considérations, la position des juges diffère en matière civile où les règles de recevabilité de la preuve sont plus strictes. Une dichotomie s'est ainsi dégagée du droit prétorien entre les règles applicables à l'administration de la preuve en matière civile et pénale. 

Une jurisprudence antérieure établie

Les juges civils ont, depuis longtemps, consacré à la lumière des principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement de l'article 6-1 de la CEDH5un droit à la preuve.

En vertu du droit à la preuve, la Cour de cassation avait déjà admis la recevabilité d'une preuve illicite à la double condition que (i) sa production soit indispensable  à l'exercice du droit de celui qui l'invoque et que (ii) l'atteinte qui en résulte soit proportionnée  au but poursuivi6

Il convient toutefois d'opérer une distinction entre les preuves illicites, obtenues en violation d'un droit, et les preuves déloyales, qui regroupent plus généralement les preuves obtenues à l'insu de la personne concernée.

Contrairement aux preuves illicites, recevables sous certaines conditions, la Cour de cassation a longuement jugé qu'une preuve obtenue de manière déloyale ne pouvait être prise en compte dans le cadre d'un procès civil. 

Cette position était notamment constante depuis un arrêt en date du 7 janvier 20117 au sein duquel la Haute juridiction ordonnait d'écarter des débats des éléments de preuve obtenus à l'insu des intéressés au motif que « l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ». 

La justice devant être rendue loyalement, la Cour de cassation ne semblait pouvoir admettre des preuves recueillies et produites d'une manière susceptible de porter atteinte à sa dignité et à sa crédibilité. 

Un revirement récent

Dans un arrêt en date du 22 décembre 20238, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en censurant la décision de la cour d'appel qui avait écarté des débats des enregistrements clandestins.

Les juges ont, d'une part, rappelé la jurisprudence européenne, qui n'écarte pas de manière systématique les preuves déloyales, mais considère qu'il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence

D'autre part, les juges ont évoqué la règle appliquée en matière pénale, selon laquelle aucune disposition légale ne permet d'écarter les moyens de preuve au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. 

Considérant que le rejet automatique des preuves déloyales peut priver une partie du moyen de se défendre, la Cour de cassation a fini par conclure : « il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Les juges se rapprochent ainsi des décisions antérieurement rendues en matière de preuves illicites, en considérant que le droit à la preuve peut justifier la production d'une preuve obtenue de manière déloyale à la double condition : 

(i) Que cette preuve soit indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut ; 

(ii) Que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence soit strictement proportionnée au but poursuivi. 

Il appartient dès lors au juge d'apprécier si une preuve déloyale porte atteinte au caractère équitable de la procédure, en mettant en balance le droit à la preuve et le droit auquel il a été porté atteinte afin de s'assurer que cette atteinte n'est pas disproportionnée. 

Une décision à nuancer

Si l'arrêt en date de décembre 2023 admet la recevabilité de la preuve déloyale en matière civile, la Haute juridiction est venue, moins d'un mois plus tard, nuancer son propos. 

Dans un arrêt rendu le 17 janvier 20249, la Cour de cassation, après avoir rappelé que le caractère déloyal de la preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats, souligne l'importance de la condition tenant à son caractère indispensable.  

En l'espèce, la Haute juridiction a considéré que la production d'un enregistrement clandestin n'était pas indispensable au soutien des prétentions du demandeur puisque les autres éléments versés au débat suffisaient à supposer l'existence d'une faute. Dès lors, l'élément obtenu de manière déloyale pouvait être valablement écarté des débats, la condition liée au caractère indispensable n'étant pas satisfaite. 

C'est donc presque concomitamment à la reconnaissance de ce nouveau principe que la Cour de cassation en a rappelé les limites. 

Il convient dès lors pour celui qui entend se prévaloir, en matière civile, d'une preuve obtenue de manière déloyale, de se montrer vigilant puisque la recevabilité d'une telle preuve demeure sujette à débat, au risque d'en être écarté.  

Footnotes

1. Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 janvier 2011, 09-14.316 

2. Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 6 avril 1993, 93-80.184

3. Cour de cassation, 10 novembre 2017, 17-82.028

4. Cour de cassation, 11 juin 2002, 01-85.560

5. Convention européenne des droits de l'homme

6. Cour de cassation, Chambre sociale, 30 septembre 2020, 19-12.058

7. Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 janvier 2011, 09-14.316

8. Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, n° 20-20.648

9. Cour de cassation, Chambre sociale, 17 janvier 2024, 22-17.474

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