Depuis l'assermentation de Donald Trump comme président des États-Unis nous absorbons l'onde de choc provoquée sur le commerce mondial, les technologies propres et la décarbonation.
- Du côté canadien, les effets de ces bouleversements ne se sont pas fait attendre. Le nouveau chef du parti libéral du Canada et maintenant premier ministre, a aboli dès sa nomination la tarification carbone pour les particuliers1 et a mis de côté l'ancien ministre de l'Environnement et du Changement climatique au profit d'une nouvelle recrue2.
- Au Québec, le ministre de l'Environnement nous annonce, sous prétexte de ne pas vouloir pénaliser l'économie québécoise, que le Plan pour une économie verte de son gouvernement, qui inclut les politiques d'électrification et de lutte contre les changements climatiques du Québec pourrait être révisé en raison des décisions du nouveau président américain3.
Ainsi les politiques plus agressives des États-Unis en faveur de l'exploitation massive des énergies fossiles, l'une des façons trouvées par Trump 2.0 afin de contrer la dominance chinoise en matière de technologie propre, amènent les acteurs politiques et les industriels canadiens vers un ralentissement des objectifs de décarbonation sous couvert de protection de notre compétitivité industrielle et de notre autonomie énergétique.
Cette nouvelle donne plongera-t-elle l'action climatique dans l'incertitude? Aura-t-elle un effet désincitatif sur les ambitions climatiques des gouvernements d'Ottawa et de Québec?
Sortie de l'Accord de Paris
Dès son investiture, la seconde administration Trump nous annonce la sortie des États-Unis de l'Accord de Paris sur le climat et clame haut et fort qu'elle veut permettre le forage des hydrocarbures à tout vent. Prétextant que l'Accord de Paris ne reflète pas les valeurs américaines et que les États-Unis ne doivent pas faire les frais de pays qui ne méritent pas leur assistance financière, elle fait ainsi écho à sa première tentative de 2017 où les États-Unis étaient sortis pour quelques mois de l'Accord de Paris4.
Cette première action sera suivie d'une deuxième salve lancée par l'abolition ou le camouflage dans les arcanes de sites web gouvernementaux américains de certaines informations et données relatives au changement climatique5. La mise sous bâillon et l'interdiction de participer à certaines réunions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat («GIEC»)6 puis le renvoi de la scientifique en chef de la NASA, éminente climatologue de réputation mondiale, et enfin l'abolition de son bureau au sein de la NASA démontrent la mainmise des climatosceptiques sur la nouvelle administration Trump7.
Retrait de la SEC en matière de divulgation climatique
En avril 2024, la Securities and Exchange Commission («SEC») avait suspendu l'application de ses nouvelles normes de divulgation climatique en attendant la résolution par la Cour d'appel des États-Unis (8th Circuit) des contestations judiciaires lancées notamment par certains acteurs du secteur de l'énergie contre ces normes sous prétexte qu'elles constituaient une réglementation environnementale outrepassant le mandat de la SEC.
Le 11 février 2025, le président par intérim de la SEC de façon unilatérale et sans l'apport des autres commissaires a ordonné qu'on informe la Cour d'appel des États-Unis que la SEC désirait reporter la date de sa plaidoirie sous prétexte que le mémoire d'appel qu'elle avait préparé ne reflétait pas les vues actuelles de la SEC sur la question et faisant valoir que le tribunal d'appel devrait être mis au courant de certains changements dans la composition de la commission et d'un récent décret présidentiel requérant qu'aucun règlement ne soit transmis au bureau du registraire fédéral (Federal Register) jusqu'à ce qu'un responsable départemental ou d'agence ayant été nommé par le Président Trump n'ait approuvé celui-ci.
Puis le 27 mars 2025, la SEC a voté pour mettre fin à la défense de ses normes de divulgation climatique pour les sociétés ouvertes. À la suite du vote de la SEC, le personnel de la SEC a transmis une lettre au tribunal d'appel indiquant que la SEC désirait retirer du dossier la défense qu'elle avait préparée et que l'avocat de la SEC «n'était plus autorisé à avancer les arguments» contenus dans le mémoire d'appel déposé par la SEC8.
Par conséquent l'adoption de toute réglementation fédéral américaine portant sur la divulgation climatique est pour ainsi dire morte au feuilleton.
Changement dans le paysage réglementaire américain pour les actionnaires activistes
Le 11 février dernier, la même SEC publiait de nouvelles notes interprétatives (Compliance and Disclosure Interpretations ou CD&I) concernant l'interprétation des règles traitant des exigences de déclarations d'initié à l'égard des émetteurs cotés sur une bourse américaine9. L'une de ces notes interprétatives vise à élargir la portée des activités qui pourraient être considérées comme influençant le contrôle d'un émetteur. L'actionnaire activiste dont les activités seraient ainsi considérées comme influençant le contrôle serait alors forcé d'utiliser un formulaire de déclaration d'initié (Schedule 13D) imposant une charge de divulgation beaucoup plus lourde que le formulaire ordinairement utilisé par un actionnaire non perçu comme ayant une influence sur le contrôle de l'émetteur (Schedule 13G). Rappelons qu'en vertu du droit des valeurs mobilières américain tout détenteur qui exerce une emprise directe ou indirecte sur les titres d'un émetteur, comportant plus de 5% des droits de vote rattachés à l'ensemble des titres avec droit de vote en circulation de cet émetteur doit déposer une déclaration d'initié auprès de la SEC.
Ainsi selon la nouvelle note interprétative, l'objet de l'engagement de l'actionnaire auprès de l'émetteur et le contexte dans lequel cette mission d'engagement est conduite devront dorénavant être considérés afin de déterminer si l'actionnaire détient les titres de l'émetteur dans le but d'«influencer» le contrôle de l'émetteur.
En règle générale, un actionnaire qui discute avec la direction de son point de vue sur un sujet particulier et de la façon dont son point de vue peut éclairer ses décisions de vote, sans plus, ne serait pas empêché d'utiliser le formulaire simplifié 13G. Toutefois, un actionnaire qui irait au-delà d'une telle discussion et exercerait des pressions sur la direction pour qu'elle mette en Suvre des mesures ou des changements précis pourrait être perçu comme influençant le contrôle de l'émetteur.
Par exemple, un actionnaire qui recommanderait à l'émetteur de prendre des mesures précises en matière environnementale et conditionnerait explicitement ou implicitement son appui à l'élection d'un ou plusieurs des candidats au poste d'administrateur de l'émetteur à l'adoption de sa recommandation (cela afin de faire pression sur l'émetteur pour qu'il adopte cette recommandation) pourrait dorénavant être perçu comme exerçant une influence sur le contrôle et devoir être forcé d'utiliser le formulaire 13D ayant une charge de divulgation beaucoup plus lourde.
Ainsi, les actionnaires activistes utilisant le formulaire 13G qui interagissent avec des émetteurs devraient tenir compte de la nouvelle note interprétative afin de déterminer si des tactiques d'engagement historiquement perçues comme dans le cours normal des activités peuvent maintenant faire en sorte que l'actionnaire ne soit plus admissible à déposer une déclaration sur le formulaire simplifié 13G.
Le but caché de la SEC en publiant cette nouvelle note interprétative étant de tempérer les ardeurs de certains actionnaires activistes actifs en matière de politique visant la durabilité des entreprises et leur ambition climatique.
Les conséquences de ces changements au Canada et dans le reste du monde
Ce désengagement des États-Unis envers l'Accord de Paris, les normes de divulgation climatiques et les contraintes imposées à l'engagement actionnarial pourrait avoir des conséquences importantes sur la transition de notre économie vers la carboneutralité et sur le nombre et la vitesse d'adoption par nos gouvernements (fédéral et provinciaux) de certaines politiques publiques visant à favoriser ce basculement vers une économie bas carbone.
Révision nécessaire des engagements du Canada à l'Accord de Paris
Afin de respecter ses engagements en vertu de l'Accord de Paris, le gouvernement du Canada a déposé, le mois dernier, sa contribution déterminée au niveau national pour 2035. Celle-ci a été calculée notamment sur la base de l'existence de la tarification carbone au niveau individuel qui on le sait a maintenant été aboli.
Cela impliquera-t-il pour Le Canada de revoir sa copie et ses ambitions climatiques à la baisse au titre du paragraphe 11 de l'article 4 de l'Accord de Paris10?
- Rappelons que le Canada s'était engagé dans sa contribution déterminée au niveau national pour 2035 à réduire ses émissions de 45 à 50 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici 203511.
- Rappelons également que le premier bilan mondial de la mise en Suvre de l'Accord de Paris (Global Stocktake) publié lors de la Conférence des Parties tenue aux Émirats arabes unis en décembre 2023 (COP 28), soulignait que les moyens de mise en Suvre pris par les Parties à l'Accord de Paris n'étaient pas en passe de réaliser l'objet de l'Accord de Paris soit de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2o C. Ce même bilan mettait en lumière l'écart entre l'ambition en matière d'atténuation et les mesures réellement prises par les pays développés avant 2020 et le fait que selon le GIEC, il aurait fallu que les pays développés (qui inclus le Canada) réduisent leurs émissions de 25 à 40% par rapport au niveau de 1990 d'ici à 202012. À titre d'information seuls deux pays ont à ce jour atteint la carboneutralité (le Suriname et le Bhoutan) et 7 autres pays, dont la Norvège, l'Autriche et la Suède, ont pris des engagements d'atteindre cette carboneutralité avant 205013.
De plus, à la révision de la contribution déterminée au niveau national, il faudra également ajouter une révision des cibles que le ministre de l'Environnement et du Changement climatique doit fixer en vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité.
Le changement d'orientation de la SEC – une excuse parfaite pour les ACVM?
Dans un temps record après sa création en juin 2022 le Conseil canadien des normes d'information sur la durabilité («CCNID») a adopté en décembre dernier la version finale de ses deux premières normes d'information sur la durabilité qui sont des répliques presque parfaites des normes d'information IFRS S1 et IFRS S2 adoptées en juin 2023 par le Conseil international des normes de durabilité. En effet, depuis le 1erjanvier de ce cette année les normes canadiennes d'information sur la durabilité («NCID») 1, Obligations générales en matière d'informations financières liées à la durabilité et NCID 2, Informations à fournir en lien avec les changements climatiques sont maintenant en vigueur et d'application volontaire. Les autorités canadiennes en matière de valeurs mobilières («ACVM»), le conseil formé des autorités provinciales et territoriales en valeurs mobilières du Canada qui coordonne et harmonise la réglementation des marchés des capitaux du Canada, ont à ce jour supporté les travaux du CCNID et poursuivre présentement leurs travaux visant la mise en Suvre d'un règlement révisé sur les obligations d'information liées au changement climatique qui prendra en considération les normes du CCNID.
On se rappellera qu'en octobre 2021 les ACVM avaient publié une première mouture de ce règlement sous la proposition de règlement 51-107 sur l'information liée aux questions climatiques14. Toutefois, les ACVM ont précisé que certains ajustements jugés appropriés pour les marchés des capitaux canadiens pourraient être apportés par rapport aux normes du CCNID. Dans un communiqué de presse15 émis en décembre 2024, les ACVM précisent qu'ils continueront de tendre vers une approche réglementaire équilibrée qui permettra d'évaluer les risques importants liés au changement climatique, de satisfaire aux demandes exprimées pour de l'information sur le changement climatique qui soit uniforme, comparable et utile à la prise de décisions, et de favoriser l'efficience des marchés des capitaux, en prenant en compte les besoins et les capacités des émetteurs selon leur taille.
De plus, les ACVM ajoutent qu'elles observeront l'évolution de la question de l'information sur le changement climatique à l'international et, étant donné l'interdépendance entre les marchés canadiens et américains, elles suivront avec attention la situation au sud de la frontière.
On peut donc sérieusement se demander à la lumière des nouveaux développements survenus au sud de la frontière si le règlement 51‑107 verra le jour et si c'est le cas comment diluées seront les obligations de divulgation par rapport aux normes du CCNID.
Une lueur d'espoir à l'horizon
Les électeurs du Canada ont maintenant été appelés aux urnes pour la fin avril 2025. Selon le résultat des élections, plusieurs initiatives annoncées dans les dernières mises à jour économique pourraient possiblement être remises à l'agenda gouvernemental.
Soulignons, notamment, l'obligation d'informations extra-financières liées au climat qui pourrait être imposée aux grandes sociétés privées constituées sous le régime fédéral ou l'obligation pour les entreprises privées d'utiliser une taxonomie ou une classification canadienne afin de déterminer les activités économiques que le secteur financier pourrait qualifier de «vertes» ou de «transition» et ainsi permettre l'alignement les capitaux du secteur privé au principe de la carboneutralité et aux objectifs du Canada figurant dans l'Accord de Paris tout en accélérant les flux vers ces activités durables.
Par ailleurs, avec la possible fermeture des marchés américains à certains produits canadiens du fait de la guerre commerciale lancée par l'administration Trump, les industriels canadiens voudront vraisemblablement se tourner vers de nouveaux marchés telle l'Europe16. Par l'effet de la mise en Suvre de mécanismes d'ajustements à la frontière récemment mise en place dans l'Union européenne et visant certains produits présentant un risque important de fuite de carbone, tels le fer et l'acier, l'aluminium ou les engrais, il deviendra alors primordial pour eux que leurs produits aient une intensité carbone comparable aux produits européens similaires sous peine de faire l'objet de droits imposés par l'Europe dans le cadre de ce mécanisme d'ajustement à la frontière.
Valeur ajoutée
La collecte et l'analyse par les entreprises d'information sur la durabilité créent de la valeur pour celles-ci de nombreuses façons. Par exemple, ces obligations de divulgation:
- aident à évaluer les externalités et peuvent soutenir l'allocation du capital vers des activités qui favorisent une diminution des émissions de gaz à effet de serre qui se traduira à moyen long terme en une entreprise plus compétitive;
- à améliorer la compréhension d'une entreprise des principaux risques stratégiques (risques physiques liés au changement climatique);
- aident à encourager et à motiver les employés et finalement améliorent les relations avec les parties prenantes externes.
Déclarer que les rapports sur la durabilité et la transparence sur les émissions sont un désavantage concurrentiel peut apaiser les sentiments populistes et révisionnistes, mais ce n'est pas une stratégie gagnante pour l'avenir de nos entreprises. Nous devons aller au-delà du choix artificiel qui nous place entre d'un côté des objectifs et des réglementations ambitieux concernant la durabilité et particulièrement le climat et la biodiversité et de l'autre être compétitif. Ces deux objectifs peuvent très bien se combiner.
Naviguer dans un paysage réglementaire en pleine mutation exige une expertise juridique pointue.Que vous soyez une entreprise cherchant à adapter vos stratégies aux nouvelles réalités du marché ou un investisseur soucieux des implications des réformes américaines et canadiennes, nos avocats spécialisés sont là pour vous guider. Contactez-nous dès aujourd'hui pour mieux comprendre les risques et les opportunités qui se dessinent et pour assurer la conformité et la pérennité de vos activités.
Footnotes
1. https://gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2025/2025-03-15-x2/html/sor-dors107-fra.html
2. https://www.pm.gc.ca/fr/cabinet/lhonorable-terry-duguid
3. https://www.ledroit.com/actualites/politique/2025/01/21/arrivee-de-trump-quebec-pourrait-ajuster-son-plan-climat-7GRRU5XUWRERNEV4WKX6CFIJHQ/
4. https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/putting-america-first-in-international-environmental-agreements/
5. https://climate.law.columbia.edu/content/mentions-climate-change-removed-federal-agencies-websites
6. https://www.scientificamerican.com/article/trump-orders-u-s-scientists-to-skip-key-ipcc-climate-report-meeting/
7. https://www.france24.com/en/live-news/20250312-nasa-fires-chief-scientist-more-trump-cuts-to-come
8. https://www.sec.gov/newsroom/press-releases/2025-58?utm_medium=email&utm_source=govdelivery
9. https://www.sec.gov/rules-regulations/staff-guidance/compliance-disclosure-interpretations/exchange-act-sections-13d-13g-regulation-13d-g-beneficial-ownership-reporting#103.12
10. https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf
11. https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/cible-reduction-emissions-2035.html
12. https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/plan-climatique/cible-reduction-emissions-2035.html(voir rubrique I paragraphe 17)
13. https://rosagalvez.ca/media/4jgi3ojk/galvez-c12-pays-avec-engagements-et-legislation-fr.pdf
14. https://lautorite.qc.ca/fileadmin/lautorite/reglementation/valeurs-mobilieres/51-107/2021-10-18/2021oct18-51-107-cons-fr.pdf
15. https://www.autorites-valeurs-mobilieres.ca/nouvelles/projet-concernant-linformation-fournie-sur-le-changement-climatique-le-point-des-acvm/
16. https://taxation-customs.ec.europa.eu/carbon-border-adjustment-mechanism_en
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