Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit pénal économique, droit de procédure pénale, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_555/2021 du 1er septembre 2022 | Intérêt juridique (art. 382 al. 1 CPP) de l'avocat nommé d'office dont le mandat est révoqué rétroactivement

  • Lorsque la cour cantonale nomme d'office un défenseur pour le prévenu, puis, suite à la reddition d'un jugement de culpabilité, retire avec effet rétroactif le droit à cette défense d'office, l'avocat nommé possède un intérêt juridique protégé à contester cette décision sur la base de l'art. 382 al. 1 CPP (consid. 2.2).

TF 6F_20/2022 du 24 août 2022 | Demande de restitution d'un délai (art. 50 LTF) ensuite d'un arrêt d'irrecevabilité du Tribunal fédéral

  • Dans les faits, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours déposé au nom de A. par son avocat au motif que ce dernier n'avait pas produit une procuration justifiant de ses pouvoirs dans le délai non prolongeable fixé par ordonnance. Dans sa requête en restitution du délai, le Requérant a allégué que, bien que son conseil se trouvait à l'étranger, celui-ci avait adressé le 20 avril 2022 un courriel à son secrétariat afin de s'assurer que la procuration avait bien été signée, en précisant que celle-ci devait impérativement être transmise au Tribunal fédéral dans le délai imparti. Dans la mesure où la procuration avait été signée le 4 avril 2022, celle-ci avait été adressée à la cour de céans le 20 avril 2022. Le secrétariat du mandataire avait en outre indiqué, dans l'agenda de celui-ci, « déjà envoyé » à côté du délai fixé au 2 mai 2022, date de retour de l'étranger du précité. Ces circonstances permettraient de retenir que le courrier du 20 avril 2022 accompagné de la procuration avait bien été déposé à un office de poste suisse le même jour.
  • Le Tribunal fédéral a tout d'abord rappelé les principes qui régissent la demande de restitution d'un délai au sens de l'art. 50 al. 1 LTF. Elle suppose l'existence d'un empêchement d'agir dans le délai fixé, lequel doit être non fautif. La question de la restitution du délai ne se pose pas dans l'éventualité où la partie ou son mandataire n'ont pas été empêchés d'agir à temps. C'est le cas notamment lorsque l'inaction résulte d'une faute, d'un choix délibéré ou d'une erreur. En d'autres termes, il y a empêchement d'agir dans le délai au sens de l'art. 50 al. 1 LTF lorsqu'aucun reproche ne peut être formulé à l'encontre de la partie ou de son mandataire (consid. 1.1).
  • Pour trancher la question de la restitution du délai, le Tribunal fédéral a considéré qu'une partie doit se laisser imputer la faute de son représentant. De manière générale, une défaillance dans l'organisation interne de l'avocat (problèmes informatiques, auxiliaire en charge du recours, absence du mandataire principal) ne constitue pas un empêchement non fautif justifiant une restitution du délai. Il n'en va pas différemment lorsqu'une partie ou son mandataire délègue une tâche à un représentant ou un auxiliaire. La notion d'auxiliaire doit être interprétée de manière large et s'appliquer non seulement à celui qui est soumis à l'autorité de la partie ou de son mandataire, mais encore à toute personne qui, même sans être dans une relation juridique permanente avec la partie ou son mandataire, lui prête son concours. Une restitution de délai n'entre donc pas en considération quand le retard dans l'accomplissement d'une démarche est le fait d'un auxiliaire qui ne peut pas se prévaloir lui-même d'un empêchement non fautif, quand bien même cet auxiliaire aurait reçu des instructions claires et que la partie ou le mandataire aurait satisfait à son devoir de diligence. Si l'auxiliaire ne parvient pas à effectuer la tâche requise dans le délai fixé, le manquement est ainsi également imputable à la partie recourante (consid. 1.1).
  • En cas de doute, notre Haute Cour a précisé que la preuve du respect du délai devait être apportée par celui qui soutient avoir agi en temps utile au degré de la certitude et non simplement au degré de la vraisemblance prépondérante; elle résulte en général de preuves « préconstituées » (sceau postal, récépissé d'envoi recommandé ou encore accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau); la date d'affranchissement postal ou le code à barres pour lettres, avec justificatif de distribution, imprimés au moyen d'une machine privée ne constituent en revanche pas la preuve de la remise de l'envoi à la poste. D'autres modes de preuves sont toutefois possibles, en particulier l'attestation de la date de l'envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l'enveloppe ; la présence de signatures sur l'enveloppe n'est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires. Il incombe dès lors à l'intéressé d'offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l'identité et l'adresse du ou des témoins (consid. 1.1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a souligné tout d'abord qu'au vu de l'argumentation développée par le Requérant, il apparaissait douteux que son mandataire ou l'un des auxiliaires de celui-ci furent empêchés d'agir dans le délai imparti pour produire la procuration. Cette question pouvait souffrir de rester indécise, puisqu'en tous les cas, un tel empêchement n'en serait pas moins fautif. En effet, la procuration datait du 4 avril 2022, soit le jour où l'avocat a formé un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, objet de l'arrêt d'irrecevabilité querellé. Or, il n'explique aucunement pourquoi cette procuration, alors déjà signée par son mandant, n'a pas été jointe à son recours, conformément à l'art. 40 al. 2 LTF (consid. 1.3).
  • Ensuite, notre Haute juridiction n'a jamais reçu le courrier du 20 avril 2022 produit dans la présente procédure. Il ressort du courrier du 20 avril 2022 que celui-ci a été adressé au Tribunal fédéral par pli simple prioritaire. Le mandataire du Requérant, à qui le fardeau de la preuve de la notification incombait, ne pouvait toutefois ignorer qu'un envoi par courrier simple prioritaire ne permet en règle générale pas de prouver que la communication est bien parvenue au destinataire. Lorsqu'une autorité, en l'occurrence judiciaire, impartit un délai à une partie pour exécuter un acte, un mandataire professionnel serait bien avisé de l'effectuer par l'envoi sous pli recommandé ou tout autre mode permettant d'attester l'exécution de l'acte dans le délai imparti. Celui qui y renonce accepte cependant le risque de voir la date exacte de l'expédition, voire même cette dernière, remise en question par l'autorité destinataire de l'envoi. En conséquence, celui qui ne s'aménage pas les moyens de preuve nécessaires lors de l'expédition de l'envoi, en recourant en particulier à l'envoi recommandé ou n'invoque pas en cours de procédure des moyens propres à établir cet envoi en temps utile, supporte les conséquences de l'absence de la preuve lui incombant (consid. 1.3).
  • A cet égard, que ce soient la copie du courrier du 20 avril 2022, le courriel du même jour adressé par l'avocat du Requérant à son secrétariat ou l'extrait de son agenda en lien avec la date du 2 mai 2022, ces éléments sont impropres à apporter la preuve stricte du dépôt de la procuration à un office de poste suisse dans le délai imparti. (consid. 1.3).
  • Le Requérant doit donc se voir imputer la faute de son mandataire, ou de l'un de ses auxiliaires, faute pour celui-ci d'avoir adressé la procuration selon un mode lui permettant de prouver avoir effectué l'acte demandé dans le délai imparti (consid. 1.3).
  • Partant, le Tribunal fédéral a rejeté la demande de restitution du délai pour produire la procuration au motif de l'absence d'un empêchement non fautif d'agir (consid. 1.4).

TF 1B_41/2022 du 6 septembre 2022 | Absence de préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) pour une décision de nomination d'office avec effet rétroactif limité

  • Dans les faits, une enquête pénale a été ouverte à l'encontre de la Recourante le 15 novembre 2021. Le lendemain, le Ministère public soleurois a effectué une perquisition à son domicile. La Recourante a été arrêtée puis interrogée le jour suivant par le Procureur en présence d'un avocat le 23 novembre 2021. Ce dernier a déposé une requête en visant à ce qu'il soit désigné comme défenseur d'office de la Recourante avec effet rétroactif au 16 novembre 2021. Le Ministère public soleurois l'a désigné défenseur d'office, mais uniquement à compter du 23 novembre 2021. La Recourante conteste cette date en indiquant que cet avocat était présent déjà lors de la perquisition du 16 novembre 2021. Ce dernier s'était d'ailleurs entretenu le jour même avec le Ministère public et avait pu s'entretenir brièvement avec la Recourante le 17 novembre 2021 à 9 heures. Lors de l'interrogatoire ultérieur par le Ministère public, cet avocat avait été présent en tant que défenseur.
  • Le Tribunal fédéral a analysé la recevabilité du recours sous l'angle de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (consid. 2.2).
  • Il a constaté que l'autorité précédente avait conclu que cet avocat avait été présent lors de la première phase de l'enquête, notamment lors de l'audition du 17 novembre 2021 en tant qu'avocat de la première heure. Il a été reconnu par les autorités pénales comme le défenseur de la Recourante dès cette phase et a été associé à la procédure pénale (consid. 2.4).
  • De ce fait, le Tribunal fédéral a considéré que le fait que la Recourante n'aurait pas été efficacement défendue dans un premier temps au cours de la procédure pénale n'était ni démontré ni visible (consid. 2.4).
  • Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral ne voit pas dans quelle mesure elle aurait subi un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF du fait que la défense d'office ne lui a été accordée qu'à partir du 23 novembre 2021. Le recours a donc été jugé irrecevable (consid. 2.4).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

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III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_353/2022 du 31 août 2022 | Conditions d'annulation de l'ouverture d'une faillite (art. 174 al. 2 LP)

  • Une des conditions de l'annulation de l'ouverture de la faillite au sens de l'art. 174 al. 2 LP est que le débiteur rende vraisemblable sa solvabilité. Cela signifie que la solvabilité du débiteur doit être plus probable que son insolvabilité, sans poser d'exigences trop strictes. Il appartient au débiteur de présenter des éléments de preuve susceptibles de rendre sa solvabilité crédible (consid. 2.3).
  • In casu, l'extrait du registre des poursuites produit par le débiteur – sans la créance de faillite déposée – faisait apparaître un total de 21 poursuites encore ouvertes, introduites en moins de 5 ans. Il ressortait également de l'extrait du registre des poursuites que dans 71 des 102 poursuites engagées contre le débiteur par le passé, la créance de poursuite avait finalement été payée à l'office des poursuites. D'une manière générale, l'extrait du registre des poursuites donnait une image défavorable des habitudes de paiement du débiteur, notamment dans la mesure où il ne payait régulièrement pas ses dettes de droit public. Le débiteur ne s'était en outre pas exprimé sur les poursuites qui se trouvaient au stade de l'opposition. Les avoirs bancaires du débiteur ainsi que la propriété de deux immeubles et un appartement ne constituaient pas des justifications suffisantes, car le débiteur n'a pas fourni des indications claires et objectives sur ceux-ci. Il n'était donc pas possible pour le Tribunal fédéral d'avoir une vue d'ensemble, même partielle, des recettes et des dépenses du débiteur (consid. 2.4).
  • Au vu de ce qui précède, la solvabilité du débiteur ne semblait pas plus probable que son insolvabilité, de sorte que les conditions d'annulation de la faillite n'étaient pas remplies et le recours devait par conséquent être rejeté (consid. 3).

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

TF 1C_471/2022 du 15 septembre 2022 | Irrecevabilité du recours (art. 84 LTF) au Tribunal fédéral dans une affaire d'entraide judiciaire internationale en matière pénale au Royaume-Uni

  • Par ordonnance de clôture partielle du 27 août 2019, le Ministère public du canton de Genève a prononcé la transmission, au Serious Fraud Office britannique (« SFO »), de la documentation relative à six comptes bancaires détenus par A. (à Tel Aviv), B. Ltd, C.Ltd (toutes deux aux Iles Vierges Britanniques), D.SA, E. et F. (toutes trois en République Démocratique du Congo). Cette transmission est intervenue en exécution d'une commission rogatoire complétée à plusieurs reprises dans le cadre d'une enquête relative à des actes de corruption et d'escroquerie en rapport avec l'acquisition d'actifs miniers en République Démocratique du Congo par la société G.
  • Les Recourants ont soutenu que le SFO (par son directeur de l'époque) aurait été instrumentalisé par le mandataire de la société G : celui-ci aurait secrètement fourni des données confidentielles pour alimenter les soupçons à l'égard de la société.
  • La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a jugé que la Suisse devait rester tenue d'exécuter la demande d'entraide dès lors que celle-ci n'avait pas été formellement retirée ; en outre, l'Etat requis n'avait pas à vérifier la validité des preuves recueillies par l'Etat requérant, la bonne foi de ce dernier étant présumée.
  • Le Tribunal fédéral s'est penché sur la recevabilité du recours à l'aune de l'art. 84 LTF lequel dispose que le recours en matière de droit public est recevable à l'encontre d'un arrêt du Tribunal pénal fédéral en matière d'entraide judiciaire internationale si celui-ci a pour objet notamment la transmission de renseignements concernant le domaine secret et s'il concerne un cas particulièrement important (al. 1). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2) (consid. 1).
  • In casu, le Tribunal fédéral a relevé que le dossier portait sur la transmission de documents bancaires, soit des renseignements touchant le domaine secret. Toutefois, compte tenu des faits à l'origine de la demande (des infractions dépourvues de caractère politique ou fiscal) et de la nature de la transmission envisagée (limitée à la documentation relative à six comptes bancaires), le cas ne revêtait en soi aucune importance particulière (consid. 1.1).
  • Par ailleurs, notre Haute Cour a jugé que, contrairement à ce qu'ont estimé les Recourants, à savoir que la procédure concernerait une affaire politiquement sensible avec un retentissement médiatique important et que l'une des personnes impliquées serait un proche de l'ancien président congolais, sans toutefois prétendre que ce dernier serait directement impliqué, cela était insuffisant pour faire de la présente cause une affaire particulièrement importante. Le Tribunal fédéral a en outre relevé que les infractions poursuivies étaient des délits de droit commun et qu'il n'était pas prétendu que la procédure pénale ouverte au Royaume-Uni poursuivrait un quelconque but caché de nature politique (consid. 1.2).
  • S'agissant de l'argument principal invoqué par les Recourants, il se fondait sur un jugement rendu le 16 mai 2022 par la High Court of Justice, Business and Property Courts of England and Wales, lequel attestait que lors de rencontres et d'entretiens téléphoniques non autorisés avec le directeur du SFO, le mandataire de G. aurait fourni, en violation de son secret professionnel, des données confidentielles ayant servi à relancer les soupçons à l'encontre de la société (consid. 2.1).
  • Le Tribunal fédéral a considéré que ce motif ne suffisait pas à entacher la demande d'entraide de défauts graves au sens de l'art. 2 let. a et d EIMP (consid. 2.1).
  • En effet, il s'est rallié à la position développée par la Cour des plaintes qui a considéré que l'autorité suisse d'entraide n'avait pas à s'interroger sur la validité des preuves recueillies dans l'Etat requérant. Cette appréciation était conforme à la jurisprudence constante selon laquelle les griefs relatifs à la validité des preuves doivent être soumis au juge du fond et ne peuvent être soulevés sous l'angle de l'art. 2 EIMP, ainsi qu'à la réglementation sur l'entraide qui veut que les preuves en question ne soient ni produites, ni même mentionnées à l'appui de la demande d'entraide. Comme la Cour des plaintes, le Tribunal fédéral a donc réitéré qu'à l'égard d'un Etat partie à la CEDH et bénéficiant d'une présomption de respect des garanties qui en découlent, les Recourants disposaient d'une protection juridictionnelle suffisante devant les instances nationales et internationales, comme en attestait apparemment la décision de justice qu'ils produisaient à l'appui de leurs allégations (consid. 2.1).
  • En l'absence de la réalisation des conditions de l'art. 84 LTF, le recours a donc été déclaré irrecevable (consid. 3).

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