La pandémie de COVID-19 nous a démontré que la productivité peut être maintenue en télétravail et que sa flexibilité apporte des avantages indéniables. 

Bien que l'engouement pour cette pratique se soit quelque peu essoufflé, plusieurs employeurs contraints de l'adopter l'ont conservée, de manière complète ou partielle. Il est donc logique que le droit au télétravail fasse maintenant partie des revendications syndicales dans le cadre de la négociation de certaines conventions collectives.

Le principe: le droit de gérance de l'employeur en matière de télétravail

Le télétravail faisant partie des conditions de travail du salarié, son application relève du droit de gestion de l'employeur. Ce dernier se réserve donc le droit de déterminer quel employé peut en bénéficier, selon quelles modalités et à raison de combien de jours par semaine.

Comme le recours au télétravail peut varier en fonction des exigences opérationnelles de l'entreprise, il est dans l'intérêt de l'employeur que ce droit de gestion demeure de son ressort.
 De plus, une présence minimale sur les lieux de travail peut s'avérer essentielle pour former de nouveaux employés, favoriser l'interaction sociale, de même que développer une culture d'entreprise et le sentiment d'appartenance des employés.

Pour bien encadrer la pratique du télétravail dans son entreprise, l'employeur peut envisager l'adoption d'une politique en la matière. Ainsi, il conserve la possibilité de retirer ou de réviser le droit au télétravail en fonction des circonstances et des besoins de l'entreprise.

Cette nouvelle réalité de travail à distance doit toutefois être mise en application dans le respect des droits prévus par une convention collective en vigueur. Par exemple, le télétravail ne doit pas modifier le statut d'emploi, l'horaire de travail, l'ancienneté, la rémunération, les avantages sociaux, ni toute autre condition d'emploi stipulée dans cette convention.

La négociation collective du télétravail dans la fonction publique fédérale

Dans un contexte de rapports collectifs, le syndicat peut avoir un intérêt à demander à l'employeur d'accorder une certaine flexibilité aux salariés pour déterminer la manière dont leur travail peut être le mieux accompli en intégrant le droit au télétravail dans la convention collective.

C'est d'ailleurs ce qui s'est produit dans le cadre de la négociation de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

La question du télétravail avait fait l'objet de négociations soutenues. Faisant suite à une demande de l'employeur de retourner au travail en présentiel à raison de deux jours par semaine, le syndicat a demandé que le droit au télétravail soit officiellement inclus dans la convention collective et que ses modalités soient encadrées par celle-ci.

Le 2 mai 2023, une lettre d'entente sur le télétravail a finalement été signée entre le Conseil du Trésor et le syndicat, qui prévoit que les gestionnaires devront évaluer les demandes de télétravail individuellement, «au cas par cas et en tenant compte des exigences opérationnelles», et y répondre par écrit. Cette lettre d'entente prévoit également la création de comités syndicaux-patronaux sur le télétravail, qui permettront aux deux parties de discuter de l'application de la politique de télétravail et de faire des recommandations aux gestionnaires quant aux différends avec un salarié à ce sujet.

Nul doute que ces revendications syndicales en lien avec le télétravail dans la fonction publique fédérale entraîneront des répercussions sur plusieurs négociations collectives à venir dans les secteurs public et privé.

Les effets du télétravail sur l'interprétation de la convention collective

Outre son impact sur la négociation d'une convention collective, le télétravail entraîne aussi des conséquences par rapport à son interprétation et à son application. De nombreux exemples montrent l'adaptation de dispositions existantes d'une convention collective afin de répondre à cette nouvelle réalité.

À titre d'exemple, une sentence arbitrale de 2023 a confirmé que le droit de gérance de l'employeur lui permet d'exiger que ses salariés, en télétravail depuis le début de la pandémie, soient désormais présents à ses bureaux une journée par semaine.

Dans cette affaire, la convention collective ne prévoyait pas de droit au télétravail en tout temps et ne contenait aucune renonciation du droit de l'employeur de déterminer le lieu d'exécution du travail. L'arbitre a conclu que ce choix demeurait protégé par le droit de gérance de l'employeur.

Dans une autre sentence arbitrale également rendue en 2023, le syndicat avait déposé un grief collectif contestant la décision de l'employeur de ne pas verser une indemnité minimale de cinq heures aux salariés en télétravail lorsqu'ils sont rappelés au travail de façon urgente ou non planifiée. Après avoir interprété les dispositions de la convention collective, l'arbitre avait conclu que le télétravail n'empêchait pas l'application de cette indemnité.

Dans les conventions collectives contenant des dispositions sur le télétravail, il pourrait être plus complexe pour l'employeur d'imposer une politique unilatérale de télétravail sans en négocier les modalités avec le syndicat en soutenant que cela relève de ses droits résiduels de gérance sur le mode d'organisation du travail.

En effet, la présence de telles dispositions dans la convention collective pourrait permettre au syndicat de prétendre que l'employeur cherche à modifier des conditions de travail, modifications qui doivent être négociées avec lui.

Force est de constater qu'à l'heure actuelle, nous n'avons vu que la pointe de l'iceberg en matière de télétravail dans un contexte de rapports collectifs du travail. Les syndicats tenteront probablement de plus en plus de formuler des revendications afin de faire inscrire le droit au télétravail dans les conventions collectives, ce qui aurait pour effet de retirer le droit unilatéral de gérance de l'employeur à cet égard.

Pour cette raison, l'adoption d'une politique de télétravail claire est à privilégier pour permettre à l'employeur de conserver la marge de manœuvre nécessaire en fonction des besoins de l'entreprise, tout en évitant que cette question fasse l'objet de griefs en vertu de la convention collective.

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