Dans une décision récente1, le Tribunal administratif du travail du Québec (ci-après le « Tribunal ») a conclu qu'en l'absence de contrepartie reçue en échange de travail effectué, une personne ne devrait pas être reconnue comme « travailleur » au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles2  (ci-après la « Loi »).

Les faits

Dans cette affaire, le frère du travailleur possédait sa propre entreprise de démantèlement et de coupage de pièces automobiles. Le travailleur y œuvrait en tant que travailleur autonome depuis plusieurs années à son propre compte et aidait parfois son frère dans le domaine du démantèlement et de coupage de pièces automobiles. C'est dans ce contexte que le travailleur s'est retrouvé à effectuer une opération sporadique de coupage et de démantèlement pour l'entreprise en cause, opération qui mènera tragiquement à son décès.

Tandis que la succession du travailleur défunt considérait qu'il s'agissait d'un accident de travail lui donnant droit à des prestations en cas de décès, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « CNESST ») était d'avis que le défunt ne possédait pas le statut de « travailleur » au sens de la Loi au moment de son décès puisqu'il n'était pas rémunéré pour le travail qu'il effectuait en tant que travailleur.

La décision du tribunal

Dans son examen de la contestation de la décision de la CNESST logée par la succession du défunt, le Tribunal rappelle d'abord qu'un contrat de travail, lequel exige qu'une personne s'engage à exécuter une prestation de travail en contrepartie d'un salaire, diffère d'un contrat d'entreprise ou de service, en vertu duquel une personne s'engage plutôt à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à payer. Dans les deux cas cependant, une contrepartie est prévue pour l'ouvrage réalisé.

En l'espèce, le Tribunal soulignait qu'il n'existait aucune preuve documentaire attestant qu'une rémunération était prévue ou avait été versée au défunt pour le travail effectué, et qu'ainsi, rien ne démontrait la volonté de l'entreprise d'assurer les risques reliés aux tâches effectuées bénévolement par ce dernier.

Même advenant l'existence d'une rémunération, le Tribunal était d'avis qu'à la lumière des facteurs d'analyse pertinents, le défunt ne pouvait être considéré comme un travailleur au sens de la Loi étant donné son statut de travailleur autonome. La jurisprudence établit que les critères suivants doivent être examinés dans le contexte du travail afin de déterminer la nature du contrat intervenu entre les parties :

  • la propriété des outils;
  • les risques de profits et pertes;
  • la propriété de la clientèle;
  • l'obligation d'effectuer le travail soi-même ou la possibilité de se faire remplacer;
  • l'existence de directives, d'ordres d'une partie à l'autre;
  • l'exercice d'un pouvoir de discipline;
  • l'existence d'évaluation du rendement;
  • le mode de rémunération;
  • le contrôle sur l'horaire de travail et les congés;
  • la présence d'instructions en regard de la prestation de travail et des méthodes à employer; et
  • l'obligation d'assister à des réunions ou séances de formation.

En analysant ces éléments, le Tribunal notait que le défunt possédait sa propre entreprise de démantèlement et agissait à titre de travailleur autonome depuis plusieurs années. Le Tribunal soulignait également que l'entreprise pour laquelle le défunt effectuait les tâches de démantèlement et de coupage au moment de son décès ne lui avait offert aucune directive, formation ou supervision, et ne possédait aucun pouvoir disciplinaire sur ce dernier. Bien que la succession ait indiqué que le défunt avait été payé « au noir », aucune preuve de cela n'a été versée au dossier.

Étant donné l'absence de contrôle évident de l'entreprise sur le travail du défunt, le Tribunal a conclu qu'il est plus probable que ce dernier agissait pour l'entreprise à titre de travailleur autonome. Le défunt n'était donc pas un travailleur au sens de la Loi au moment des évènements. En conséquence, la succession n'avait droit à aucune prestation en cas de décès en vertu de la Loi.

Ce qu'il faut retenir

Alors que nous sommes témoins d'un essor de l'entrepreneuriat qui se traduit par une multiplication des contrats de service ou d'entreprise, cette décision du Tribunal rappelle l'importance des principes applicables à la détermination du statut d'un travailleur en matière de santé et de sécurité au travail. En effet, cette détermination est cruciale afin de déterminer si une personne peut bénéficier du régime d'indemnisation en cas d'accident du travail dans les provinces qui excluent le travailleur autonome de leur régime de santé et de sécurité au travail.

La décision sert également de rappel aux employeurs partout au pays embauchant des travailleurs autonomes de judicieusement établir et délimiter l'étendue de leur relation contractuelle en tenant compte de ces critères, qui sont généralement appliqués par les tribunaux canadiens. Cet exercice permet de diminuer les risques de litiges portant sur la qualification d'un travailleur au terme desquels les entreprises peuvent être contraintes de supporter des risques imprévus et incompatibles avec leur intention initiale.

Si vous avez besoin de conseils à ce sujet, n'hésitez pas à consulter votre avocat(e) attitré(e) chez Fasken.

Footnotes

1 Succession de Croteau et GMC Métal inc., 2023 QCTAT 2803.

2 RLRQ, c. A-3.001 (la « Loi »).

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