Dans un arrêt rendu en février 2022 dans l'affaire RallySport Direct LLC, la Cour d'appel fédérale (ci-après « CAF ») réitère et fait sien le principe établi dans l'arrêt Trader de la Cour supérieure de l'Ontario. Cette cour avait déterminé qu'un titulaire de droit d'auteur peut réclamer les dommages-intérêts préétablis prévus par Loi sur le droit d'auteur (ci-après « Loi ») à son l'article 38.1, et ce même en l'absence de dommage monétaire ou de pertes d'occasion d'affaires.

La décision de la CAF est encourageante pour les titulaires de droits d'auteur, car elle distingue clairement deux cas de figure où le demandeur peut arrimer sa réclamation à sa capacité à prouver ses dommages. D'une part, on retrouve la réclamation classique des dommages-intérêts proportionnels ou corrélatifs au dommage réel subi pour ceux capables de prouver de tels dommages. D'autre part, la CAF confirme que les dommages-intérêts préétablis sont disponibles dans les situations où il est difficile pour un titulaire de droits d'auteur de quantifier ou même déterminer la perte économique qui découle directement de la violation de ses droits.

Résumé des faits

RallySport, une société américaine de revente de pièces détachées pour automobile, faisait la promotion de certaines composantes et kits automobiles sur son site Web à l'aide d'Suvres photographiques et de descriptions de produit. 2424508 Ontario Ltd, qui suivant sa faillite deviendra 2590579 Ontario Ltd (ci-après « 242/259 ») ont reproduit ces Suvres ainsi que quelques descriptions de produit sur leur propre site Web. RallySport intente alors une action en justice contre 242/259. Elle demandait, notamment, à la Cour fédérale une injonction à l'encontre de 242/259 pour faire cesser la reproduction de ses Suvres photographiques sur leur site Web. La demande visait également à obtenir des dommages-intérêts en vertu de l'article 38.1 de la Loi.

Décision de la Cour fédérale

En première instance, la Cour fédérale a statué en faveur de RallySport. La juge soutient qu'il y a eu une violation des droits d'auteur et ordonne à 242/259 de payer conjointement et solidairement les dommages-intérêts préétablis d'une somme de 250$ par Suvre pour 1430 Suvres photographiques, pour un montant total de 357 500$, ainsi que des dommages-intérêts punitifs de 50 000$.

242/259 interjettent appel de la décision relative aux dommages-intérêts considérant que la somme octroyée est disproportionnée et excessive.

L'octroi de dommages-intérêts préétablis

En appel, 242/259 invoque que les dommages-intérêts préétablis par la Loi doivent être octroyés uniquement s'il y a une certaine corrélation ou proportionnalité entre les dommages réels et les dommages préétablis. Toutefois, suivant les enseignements d'une décision rendue par la Cour supérieure de l'Ontario dans Trader, la CAF maintient le principe énoncé dans cette affaire que les dommages-intérêts préétablis ne requièrent pas la démonstration d'une perte monétaire ou de pertes d'occasion d'affaires.

La CAF a d'abord noté que l'utilisation des Suvres photographiques permettait d'augmenter les revenus de l'entreprise en offrant une meilleure visibilité des produits. Il s'agit cependant d'une valeur difficile à quantifier quand vient le temps d'évaluer le quantum des dommages-intérêts préétablis. La CAF souligne que même si le préjudice subi par le titulaire du droit d'auteur est difficilement quantifiable, le recours n'est pas voué à l'échec pour autant. Les dommages-intérêts préétablis peuvent être accordés même si aucun dommage monétaire n'est subi et qu'aucune perte d'occasion d'affaires n'est survenue.

La CAF souligne en effet que dans la présente situation, il ne peut y avoir de perte économique directe découlant de la violation du droit d'auteur de RallySport puisque les Suvres étaient créées non pas pour être vendues, mais pour faciliter la vente d'autres produits. La CAF élargit donc les possibilités d'obtenir des dommages-intérêts préétablis, considérant qu'il n'est pas toujours évident de chiffrer les pertes commerciales réelles. Ici, elle utilise plutôt le coût de production des photographies comme assise pour évaluer le quantum des dommages-intérêts préétablis

Il faut toutefois garder en tête, comme le rappelle très récemment la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Equustek, que les dommages-intérêts préétablis sont calculés par Suvre et non par violation. Un titulaire d'une seule Suvre, même si reproduites illégalement en milliers de copies, ne peut réclamer que le maximum prescrit par la loi, soit 60 000$ CAD.  Au contraire, si plusieurs de ses Suvres sont enfreintes, comme dans RallySport, le titulaire peut réclamer une somme substantielle qui dans l'agrégat peut largement dépasser ce seuil.

La réduction des dommages-intérêts préétablis

242/259 contestent également le montant des dommages-intérêts octroyés en première instance, soit 250$ par Suvre. La Cour fédérale avait déjà réduit ces montants, autrement fixés à un minimum de 500$ par Suvre, en application du paragraphe 3 de l'article 38.1 de la Loi. Pour ce faire, elle tient compte notamment (1) de la bonne ou mauvaise foi des défendeurs (2) de la conduite des parties pendant les procédures ainsi que (3) du besoin de dissuader les violations futures. La CAF mentionne que d'autres facteurs peuvent être pris en compte, tel que le coût de production de la création de l'Suvre. Elle conclut toutefois que 242/259 ne l'ont pas convaincu de la présence d'une erreur dans cette détermination et qu'il n'est pas nécessaire de réduire davantage le montant.

L'octroi de dommages-intérêts punitifs

Finalement, la CAF clarifie que même si les dommages-intérêts préétablis dans la Loi prévoient que ceux-ci peuvent avoir un effet de dissuasion, cela n'exclut pas la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts punitifs selon le cas.

En appliquant ce raisonnement, la Cour dans l'affaire RallySport Direct LLC maintient l'octroi de dommages-intérêts punitifs considérant les agissements des défendeurs comme étant empreint de mauvaise foi.

Cette décision de la CAF est intéressante pour les titulaires de droits d'auteurs puisqu'elle souligne que le régime de protection canadien du droit d'auteur est robuste et offre des avenues facilitées pour un titulaire qui désire réclamer des dommages-intérêts même en l'absence d'un dommage réel quantifiable.

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