Quelques propos introductifs
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Sans prétendre à l'exhaustivité, seront
reproduits ci-après les considérants consacrant le
raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur
les thématiques suivantes : droit de procédure
pénale, droit pénal économique, droit
international privé, droit de la poursuite et de la
faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.
I. PROCÉDURE PÉNALE
TF 6B_1298/2022[1] du 10 juillet 2023 | Obtention de moyens de preuve auprès d'un établissement pénitentiaire – entraide judiciaire nationale (art. 43 ss CPP)
- Dans les faits, le Recourant, un agent pénitentiaire, a
été reconnu coupable d'abus de pouvoir par
l'Obergericht argovien en raison de divers coups
assenés à un détenu en cours de transfert de
bâtiment. Le détenu avait adopté un
comportement violent à l'égard du Recourant
notamment en lui crachant au visage. Suite à cela, un
capuchon crachoir avait été placé sur la
tête du détenu. Malgré l'immobilisation de
ce dernier par cinq autres collègues, le Recourant lui a
infligé plusieurs coups de poing et coups de pied, profitant
ainsi de sa position d'employé de l'administration
pénitentiaire.
- Le Recourant a agi contre cette décision par devant le
Tribunal fédéral en invoquant une violation de
l'art. 197 al. 1 let. a CPP (légalité des mesures
de contrainte), au motif que l'instance inférieure
s'était essentiellement fondée sur des
enregistrements vidéo de l'établissement
pénitentiaire. En raison du statut public de
l'établissement et de sa gestion par le canton, le
Ministère public aurait dû obtenir cet enregistrement
vidéo par la voie de l'entraide judiciaire nationale
selon les art. 43 ss CPP. Le Recourant a argumenté que les
dispositions relatives à la perquisition
d'enregistrements (art. 246 CPP) ainsi qu'à la
perquisition de domicile (art. 244 CPP) ne devaient pas
s'appliquer lorsqu'il s'agissait de locaux et
d'enregistrements d'établissements publics. Il
n'y avait donc pas de base légale pour les mesures de
contrainte ordonnées en l'espèce. Le mandat de
perquisition et de saisie, de même que la perquisition
effectuée sur la base de ce mandat auraient donc
été délivrés en violation de
l'article 197 al. 1 CPP. Enfin, le Recourant a soutenu que les
enregistrements vidéo indument obtenus étaient
inexploitables, car il n'était pas question d'une
infraction grave au sens de l'art. 141 al. 2 CPP (consid.
1.1).
- L'instance inférieure a quant à elle
estimé que la voie de l'entraide judiciaire nationale
était inefficace face aux risques de destruction des
enregistrements par des collaborateurs impliqués ou des
collègues loyaux. Elle a en outre ajouté qu'en
raison des biens juridiques protégés par
l'infraction d'abus de pouvoir (d'une part,
l'intérêt de l'État à exercer
ses fonctions de manière fiable et conforme au devoir et,
d'autre part, l'intérêt des citoyens à
être protégés contre les abus du pouvoir de
l'État), l'intérêt public à la
découverte de la vérité l'emportait de
loin sur l'intérêt du Recourant à ce que
l'enregistrement vidéo ne soit pas exploité. Il
fallait également, selon elle, partir du principe que
l'abus d'autorité constituait une infraction grave
selon l'art. 141 al. 2 CPP (consid. 1.2).
- Le Tribunal fédéral a quant à lui
considéré que le Ministère public aurait
dû passer par la voie de l'entraide judiciaire nationale,
celle-ci étant une lex specialis par rapport aux
règles sur la perquisition prévues par le CPP.
L'autorité de poursuite ne pouvait ainsi pas obtenir
souverainement les enregistrements litigieux auprès de
l'établissement pénitentiaire public. La crainte
d'un conflit d'intérêts ou de collusion
n'y changeait rien, l'entraide judiciaire nationale devant
primer lorsqu'il est question d'obtenir des moyens de
preuve auprès d'une autorité publique (consid.
1.3.2 et 1.4).
- Notre Haute Cour a cependant estimé que
l'enregistrement vidéo illicitement obtenu était
tout de même exploitable au sens de l'art. 141 al. 2 CPP,
au motif que l'abus d'autorité constitue un crime,
qu'il protège des biens juridiques importants et que le
Recourant a infligé des coups violents à un
détenu mis au sol, immobilisé et dont la vue
était de surcroît obstruée par un capuchon
crachoir. Dès lors, il s'agissait bien d'une
infraction grave et l'intérêt à poursuivre
le Recourant devait primer sur le fait de ne pas pouvoir exploiter
un moyen de preuve illicite (consid. 1.5).
- Le recours a par conséquent été
rejeté.
TF 6B_1378/2021 du 2 août 2023 | Répétition d'auditions lors de la procédure d'appel (art. 343 al. 3 CPP)
- La procédure d'appel se fonde sur les preuves
recueillies au cours de la procédure préliminaire et
de la procédure principale de première instance.
L'art. 343 al. 3 CPP consacre, dans les cas qui y sont
mentionnés, une immédiateté (unique) dans la
procédure de première instance, mais en règle
générale pas une telle immédiateté pour
la procédure de recours. Une administration directe des
preuves par la cour d'appel peut être nécessaire
dans les cas visés par l'art. 343 al. 3 CPP, lorsque
celle-ci souhaite s'écarter des constatations de fait de
la première instance. En outre, le principe de la
vérité et de l'instruction s'applique
également en procédure d'appel (consid.
2.3.3).
- In casu, l'instance d'appel a refusé
d'entendre à nouveau l'Intimée et son
époux dans le cadre d'une procédure contre le
Recourant pour menaces et voies de fait à l'encontre de
l'Intimée. Ces témoignages constituaient
cependant les seuls moyens de preuve. En outre, les
procès-verbaux de leur audition lors de la procédure
de première instance contenaient plusieurs
incohérences (consid. 2.4).
- Le Tribunal fédéral a considéré que
l'instance inférieure avait violé le droit
fédéral en refusant de procéder une nouvelle
fois à l'audition de l'Intimée et de son
époux. Il a indiqué qu'au vu de l'importance
de ces témoignages pour la procédure, de la
gravité des infractions reprochées, des
incohérences entre les dires des témoins et le risque
d'un conflit de loyauté entre ces derniers qui
étaient mariés, de nouvelles auditions
s'imposaient (consid. 2.4).
TF 6B_1093/2023 du 2 août 2023 | Demande tardive de restitution de délai– représentant envisagé en cas de maladie pour faire une déclaration d'appel
- Le Recourant s'est plaint du fait que l'instance
précédente exigeait un niveau de preuve trop
élevé quant à la motivation de la demande de
restitution du délai pour faire une déclaration
d'appel. Il s'était prévalu d'un
certificat d'incapacité de travail à 100% que sa
femme avait adressé elle-même à
l'Obergerichtdu canton de Zurich, puis d'un
nouveau certificat d'incapacité de travail à 80%,
l'empêchant de rédiger.
- A l'instar de l'art. 94 al. 1 CPP, l'art. 50 al. 1
LTF, l'art. 13 al. 1 PCF et l'art. 33 al. 4 LP
n'autorisent la restitution d'un délai qu'en
l'absence de toute faute.
- Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral
relative à l'art. 50 al. 1 LTF, la maladie peut
constituer un empêchement non fautif, pour autant qu'elle
soit telle qu'elle empêche le justiciable d'agir dans
un délai ou de faire appel à un représentant
pour ce faire. La maladie doit empêcher le justiciable
d'agir lui-même dans le délai imparti ou de
confier à un tiers l'accomplissement de l'acte de
procédure. Le fait qu'il en soit ainsi doit être
prouvé par des certificats médicaux pertinents, la
simple confirmation d'un état de maladie et, en
règle générale, même d'une
incapacité de travail totale ne suffisant pas à
reconnaître un empêchement au sens de l'art. 50 al.
1 LTF (consid. 1.3).
- Le Tribunal fédéral a confirmé in
casu que malgré son incapacité de travail
partielle due à la maladie, le Recourant n'était
pas dans l'impossibilité - sans approfondir
l'étendue exacte de sa maladie - de déposer une
déclaration d'appel lui-même ou par
l'intermédiaire d'une personne le
représentant auprès de l'instance
inférieure. En effet, la déclaration d'appel ne
devait pas être motivée : il suffisait d'indiquer
s'il contestait le jugement dans son intégralité
ou en partie, quelles modifications du jugement de première
instance il demandait et quelles demandes de preuves il formulait
(art. 399 al. 3 CPP) (consid. 1.4).
- En outre, notre Haute Cour a retenu que le Recourant - alors
que son médecin de famille lui attestait encore une
incapacité de travail de 100 % - avait la possibilité
de mandater son épouse ou un autre représentant
(comme un collègue ou un ami) afin de déposer la
déclaration d'appel (consid. 1.4).
- Partant, le recours a été rejeté.
II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE
-
III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
-
IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE
TF 5A_113/2021 du 12 juillet 2023 | Distinction entre cautionnement et porte-fort en procédure de mainlevée (art. 82 LP, art. 111 et 493 CO)
- Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82
al. 1 LP en particulier l'acte sous seing privé,
signé par le poursuivi - ou son représentant -,
d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant,
sans réserve ni condition, une somme
déterminée, ou aisément déterminable,
et exigible (consid. 2.1).
- La promesse de porte-fort, au sens de l'art. 111 CO, vaut
reconnaissance de dette dans la poursuite introduite contre le
garant si le poursuivant établit par titre l'existence
et le montant que lui a causé l'inexécution de la
prétention garantie (consid. 2.1).
- Le Recourant a fait valoir que son engagement correspondait
à un cautionnement, nul pour vice de forme, faute de
revêtir la forme authentique (art. 493 al. 2 CO).
- Conformément à l'art. 82 al. 2 LP, le
poursuivi peut faire échec à la mainlevée en
rendant immédiatement vraisemblable - en principe par
pièces (art. 254 al. 1 CPC) - sa libération. Lorsque
le juge statue sous l'angle de la (simple) vraisemblance, il
doit, en se fondant sur des éléments objectifs,
acquérir l'impression que les faits
allégués se sont produits, sans exclure pour autant
la possibilité qu'ils se soient déroulés
autrement. Le poursuivi peut invoquer tous les moyens de droit
civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance
de dette, singulièrement le vice de forme qui affecte son
obligation (consid. 2.2).
- La distinction entre cautionnement et porte-fort - ou autre
engagement indépendant - est source de controverses
récurrentes, qui n'épargnent pas la
procédure de mainlevée (consid. 3).
- Pour résoudre cette question, il faut interpréter
le contrat (art. 18 CO), étant rappelé que, en
procédure de mainlevée d'opposition, le juge ne
peut prendre en compte que les éléments
intrinsèques au titre. A cet égard, les termes
utilisés par les contractants ne sont pas
nécessairement déterminants, sous peine
d'éluder la protection dont bénéficie la
caution. En revanche, le fait que le titre ait été
rédigé par le poursuivant est dépourvu de
pertinence aux fins de l'art. 82 al. 1 LP ; il suffit qu'il
comporte la signature du poursuivi (consid. 3).
- In casu, la « Letter of
Indemnity» indiquait que le Recourant avait garanti
« irrévocablement et inconditionnellement tout
engagement de l'Emprunteur envers la Banque dans le cadre de la
relation de crédit susmentionnée [...],
indépendamment de la validité et des effets de
cette relation de crédit », et renoncé
« à toute objection et moyen de défense
découlant de cette relation de crédit »;
cette garantie s'étendait notamment « au
paiement de toute somme due par l'Emprunteur à la
Banque, à concurrence de EUR 9'5000'000 »
en capital, intérêts et tous autres frais compris;
elle est de surcroît « indépendante (et non
un gage ou un « cautionnement ») » et
régie par le droit suisse, en particulier l'art. 111
CO.
- Le Tribunal fédéral a confirmé la décision de l'instance précédente qui a considéré qu'il s'agissait d'un porte-fort, valant reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, rejetant ainsi le recours.
V. ENTRAIDE INTERNATIONALE
-
Footnote
1. Destiné à publication
The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.