Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_1137/2020 du 17 avril 2023 | Exploitabilité d'une audition d'un témoin décédé sans confrontation par le prévenu (art. 29 al. 2 Cst., art. 32 al. 2 Cst., art. 6 CEDH)

  • Cet arrêt porte sur la question de savoir si l'audition d'un témoin désormais décédé, laquelle n'avait pas été enregistrée par vidéo, peut être utilisée comme une preuve exploitable pour fonder la condamnation d'un prévenu, alors même que celui-ci n'a pas pu exercer son droit à la confrontation.
  • Selon les garanties de procédure des art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst. ainsi que de l'art. 6 CEDH, l'accusé bénéficie du droit d'interroger des témoins à charge en tant que composante du droit à un procès équitable. Un témoignage à charge n'est en principe utilisable que si le prévenu a eu, au moins une fois au cours de la procédure, une possibilité raisonnable et suffisante de mettre en doute le témoignage et de poser des questions au témoin à charge. Pour pouvoir exercer efficacement son droit de poser des questions, le prévenu doit être mis en mesure d'examiner la crédibilité personnelle du témoin et de remettre en question la valeur probante de ses déclarations. On ne peut renoncer à une confrontation directe de l'accusé avec le témoin à charge ou à son interrogatoire complémentaire que dans des circonstances particulières, lorsqu'une confrontation personnelle n'est pas possible ou qu'une limitation du droit à la confrontation est urgente. Les questions posées au témoin à charge ne peuvent pas non plus être déclarées superflues dans le cadre d'une appréciation anticipée des preuves (consid. 1.4.2.1).
  • L'absence de confrontation avec les témoins à charge ne viole pas la garantie de procédure si la nouvelle audition est devenue impossible en raison par exemple du décès des témoins dans l'intervalle. Pour que la déposition initiale soit utilisable, il faut toutefois que le prévenu ait pu prendre suffisamment position sur les déclarations à charge, que celles-ci aient été soigneusement examinées et qu'un verdict de culpabilité ne se fonde pas uniquement sur elles. En outre, l'autorité ne doit pas pouvoir être tenue responsable du fait que le prévenu n'a pas pu faire valoir ses droits (à temps) (consid. 1.4.2.1).
  • Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (« CourEDH »), un témoignage d'importance décisive peut être exploitable sans confrontation s'il existe des facteurs compensatoires suffisants pour garantir le droit de l'accusé à un procès équitable et le contrôle de la fiabilité de la preuve (consid. 1.4.2.1).
  • En respectant ces principes, la CourEDH évalue l'équité de la procédure en trois étapes : 1) elle examine s'il y avait un motif sérieux pour la non-présentation du témoin à charge à l'audience ou pour l'absence de confrontation entre l'accusé et le témoin à charge ; 2) elle évalue l'importance de la preuve dans le procès, c'est-à-dire si elle est la seule preuve ou la preuve déterminante pour la condamnation ; 3) elle identifie s'il existe des éléments compensatoires (garanties procédurales) et dans quelle mesure ils ont suffi à contrebalancer les difficultés causées à la défense et à garantir ainsi l'équité de la procédure dans son ensemble
    (consid. 1.4.2.2).
  • La CourEDH cite comme éléments susceptibles de rétablir l'équilibre de la procédure notamment le fait que la juridiction traite avec prudence les déclarations non confrontées ou qu'elle expose en détail les raisons pour lesquelles elle considère ces déclarations comme fiables, en tenant compte des autres moyens de preuve disponibles. La CourEDH voit une autre possibilité de compensation dans la présentation d'un enregistrement vidéo de l'interrogatoire antérieur du témoin à charge lors du procès (consid. 1.4.2.3).
  • In casu, le Recourant n'a jamais été présent lors des trois auditions du témoin et, par conséquent, il n'a pas eu la possibilité de le questionner. Le Tribunal fédéral a donc considéré que c'était à juste titre que l'instance inférieure avait retenu que le Recourant n'avait pas pu exercer (directement) son droit à la confrontation. L'instance précédente avait néanmoins considéré que les déclarations non confrontées pouvaient être utilisées au détriment du Recourant, étant donné que l'absence de confrontation n'était pas de la responsabilité des autorités, que les déclarations ne constituaient pas la seule preuve pour le verdict de culpabilité et que - même à supposer que les déclarations aient une importance déterminante - il existait suffisamment de facteurs compensatoires (enregistrements vidéo) au sens de la jurisprudence (consid. 1.4.3).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas suivi cette approche. Il a considéré que le témoignage litigieux était décisif pour qualifier le comportement du Recourant et que cet élément ne découlait d'aucun autre moyen preuve. En outre, l'audition (initiale) du témoin, qui était déterminante pour qualifier le comportement du Recourant, n'avait été documentée par aucun enregistrement vidéo. Notre Haute Cour a précisé que les enregistrements des deux auditions ultérieures, non pertinents en tant que tels, avaient tout au plus une importance compensatoire extrêmement limitée, ce d'autant plus que les déclarations et le comportement du témoin lors de la première audition se distinguaient considérablement de ceux des deux premières auditions. D'autres éléments permettant une telle compensation n'étaient pas mentionnés par l'instance précédente et n'apparaissaient pas. En particulier, notre Haute Cour a relevé que le Recourant n'avait pas eu l'occasion de poser indirectement (par écrit) ses propres questions au témoin à charge. Ainsi, contrairement à l'appréciation de l'instance inférieure, le Tribunal fédéral a considéré que des facteurs compensatoires qui pourraient justifier une prise en compte décisive des déclarations du témoin malgré l'absence de confrontation faisaient défaut (consid. 1.4.4 s.).
  • Dans ces circonstances, l'utilisation des déclarations du témoin pour fonder la condamnation du Recourant pour un acte de complicité a été jugée contraire aux art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst. ainsi qu'à l'art. 6 ch. 3 let. d CEDH. Les déclarations n'auraient pas dû être utilisées à cet effet (consid. 1.4.6.).
  • Partant, le recours a été partiellement admis (consid. 2.1).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_816/20221 du 29 mars 2023 | Exception du débiteur en cas de commandement de payer portant sur le versement du salaire brut (art. 81 al. 1 LP)

  • Le Recourant, employeur, a été condamné par le Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève, à verser à l'Intimée, employée, le montant brut de CHF 52'640,10 plus intérêts moratoires moyens à 5% l'an dès le 1erfévrier 2006 (poste 1), le montant brut de CHF 22'107,40 plus intérêts moratoires moyens à 5% l'an dès le 1er septembre 2008 (poste 2) et le montant brut de CHF 85'951,80 plus intérêts moratoires à 5% l'an dès le 31 août 2008 (poste 3) à titre de salaire.
  • L'Office des poursuites de Genève a notifié un commandement de payer au Recourant pour les trois postes susmentionnés. Le Recourant a formé opposition, laquelle a été levée définitivement.
  • Le Recourant s'est plaint d'une violation de l'art. 80 al. 1 LP au motif que le juge du fond aurait dû le condamner au versement d'un salaire net, et non brut, car les cotisations sociales et l'impôt à la source étaient facilement déterminables et auraient ainsi dus être déduits. Il a également avancé que l'art. 81 al. 1 LP avait été enfreint, car la créancière du salaire n'était pas celle des cotisations sociales et qu'elle n'avait pas droit au versement de ces charges étant donné que le débiteur devait les verser aux différentes institutions.
  • S'agissant du premier argument du Recourant, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence, en développant que le salaire alloué judiciairement au travailleur est en principe un salaire brut. Deux solutions s'offrent dans ce cas au juge : soit il alloue un montant brut et opère le calcul des cotisations d'assurances sociales à déduire ; soit il alloue un montant brut et, sans en opérer le calcul, mentionne expressément que ce montant sera réduit des cotisations d'assurances sociales du travailleur (consid. 6.2.1).
  • Notre Haute Cour a relevé que l'argument du Recourant selon lequel l'Intimée n'était pas la créancière du salaire brut ne pouvait pas être suivi. Son argumentation revenait en effet à ce que le juge de la mainlevée revoie le fond de la cause prudhommale, ce qui n'est pas admissible. Au demeurant, le Tribunal des prud'hommes n'est pas autorisé à condamner l'employeur à verser, parallèlement au salaire qui serait déterminé selon la valeur nette, les charges sociales et fiscales aux institutions concernées puisque que celles-ci ne sont pas parties à la procédure prudhommale. Le grief de la violation de l'at. 80 al. 1 LP a dès lors été rejeté (consid. 6.2.3).
  • S'agissant de la violation de l'art. 81 al. 1 LP concernant les exceptions du créancier, le Tribunal fédéral a cette fois donné raison au Recourant. Il a relevé que l'employeur poursuivi en paiement d'une créance de salaire brut peut opposer, à titre de moyen libératoire au sens de l'art. 81 al. 1 LP, son obligation de payer les cotisations sociales aux institutions concernées, dont il est le seul débiteur. Notre Haute Cour a également précisé qu'il suffit de prouver la seule étendue de l'obligation de s'acquitter des cotisations sociales, et non du paiement effectif des cotisations avant celui du salaire net (consid. 6.3.2).
  • En conclusion, le jugement définitif et exécutoire qui condamne un employeur à payer un salaire brut à son employé, sous déduction des charges sociales à la charge de ce dernier, constitue un titre de mainlevée au sens de l'art. 80 al. 1 LP. L'employeur peut toutefois soulever à titre d'exception au sens de l'art. 81 al. 1 LP son obligation de verser ces cotisations. Il lui incombe alors de prouver par titre l'étendue de son obligation, sans qu'il ait toutefois à se prévaloir d'un paiement effectif. A défaut, le juge de la mainlevée lève l'opposition à concurrence du salaire brut ; il ne lui appartient pas de revoir le fond du jugement en déterminant lui-même le salaire net (6.3.3).
  • Partant, le Tribunal fédéral a admis le recours en raison de la violation de l'art. 81 al. 1 LP
    (consid. 7).

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

Footnote

1. Destiné à publication

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