Bulletin Services financiers

Le 9 juin 2018, des modifications aux règlements pris en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT) ont été proposées par le ministère des Finances (le projet de règlement). Le projet de règlement est très vaste et comprend un certain nombre de changements de fond ainsi que des modifications techniques. Parmi les changements notables, mentionnons : la réglementation des entreprises qui font le commerce de la monnaie virtuelle, la considération des produits prépayés et l'inclusion des entreprises étrangères de services monétaires (ESM) dans le régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPC-FAT).

Il y a une période de 90 jours durant laquelle les parties intéressées peuvent présenter leurs observations au sujet du projet de règlement. Lorsque le projet de règlement sera finalisé, on prévoit qu'il entrera en vigueur 12 mois après sa publication dans la Gazette du Canada.

Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation indique qu'une fois le projet de règlement approuvé, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) mettra à jour ses directives afin d'établir ses attentes quant à la façon dont les obligations doivent être respectées, en plus d'entreprendre de possibles activités de sensibilisation pour veiller à ce que les entités déclarantes soient au fait des nouvelles obligations.

Le présent bulletin résume les principales modifications du projet de règlement.

Monnaie virtuelle

La monnaie virtuelle a récemment gagné en importance, mais n'était pas spécifiquement visée par le régime canadien de LRPC-FAT. Une modification de l'alinéa 5h) de la LRPCFAT apportée en 2014, mais qui n'est pas encore en vigueur, élargirait la définition d'une ESM afin d'y inclure le « commerce de monnaie virtuelle ». Le CANAFE a fait remarquer qu'avant l'entrée en vigueur de cette modification, des règlements devront être rédigés pour définir ce que signifie se livrer au « commerce de monnaie virtuelle ». C'est justement ce que fait le projet de règlement.

Le projet de règlement définit la « monnaie virtuelle » de la façon suivante :

a) la monnaie numérique qui n'est pas une monnaie fiduciaire et qui peut être facilement échangée contre des fonds ou contre une autre monnaie virtuelle qui peut être facilement échangée contre des fonds;

b) des renseignements permettant à une personne ou entité d'avoir accès à une telle monnaie numérique.

Le projet de règlement définit une « opération de change en monnaie virtuelle » comme étant « l'échange, à la demande d'une autre personne ou entité, d'une monnaie virtuelle contre des fonds, de fonds contre une monnaie virtuelle ou d'une monnaie virtuelle contre une autre ». Il convient de noter que cela inclut les opérations de change entre monnaies virtuelles; il n'est pas nécessaire que l'opération porte sur une monnaie fiduciaire.

Pour les entités financières, cela signifie que pour chaque compte, compte de carte de crédit ou compte de produit de paiement prépayé qu'elles ouvrent et pour toute opération liée à ce compte, une fiche d'opération de change en monnaie virtuelle doit être tenue pour chaque opération de change en monnaie virtuelle liée au compte.

En ce qui concerne les ESM, cela signifie que, pour les opérations de change de devises, la remise de fonds ou la transmission de fonds par tout moyen ou par l'intermédiaire d'une personne, d'une entité ou d'un réseau de télévirement, l'émission ou le rachat de mandats-poste, de chèques de voyage ou d'autres titres négociables semblables, à l'exception des chèques libellés au nom d'une personne ou d'une entité, le commerce de monnaie virtuelle ou tout autre service prévu par règlement, une fiche d'opération de change en monnaie virtuelle doit être tenue pour chaque opération de change en monnaie virtuelle.

Les renseignements qui doivent être consignés dans une fiche d'opération de change en monnaie virtuelle sont nombreux et doivent inclure ce qui suit :

  • la date de l'opération;
  • dans le cas d'une opération de 1 000 $ ou plus, les nom, adresse et numéro de téléphone de la personne ou entité qui demande l'opération de change, la nature de son entreprise principale ou sa profession et, dans le cas d'une personne, sa date de naissance;
  • les types de fonds et de monnaies virtuelles en cause dans le paiement fait et reçu par la personne ou entité qui a demandé l'opération de change;
  • la manière dont le paiement est effectué et reçu;
  • le taux de change utilisé et sa source;
  • le numéro de chaque compte touché par l'opération, le type de compte et le nom de chaque titulaire du compte;
  • les numéros de référence liés à l'opération;
  • tout autre détail connu qui identifie l'opération.

Les entités financières et les ESM doivent déclarer le transfert ou la réception de 10 000 $ ou plus en monnaie virtuelle au cours d'une seule opération au CANAFE. Les renseignements qui doivent être inclus dans le rapport sont prévus à l'annexe 4 (transfert) et à l'annexe 5 (réception) du projet de règlement.

Les entités financières et les ESM doivent désormais prendre des mesures raisonnables pour déterminer si une personne est un étranger politiquement vulnérable, un national politiquement vulnérable, un dirigeant d'une organisation internationale, un membre de la famille de l'un ou l'autre ou une personne qui est étroitement associée à l'un ou l'autre (collectivement, les PPV) lorsqu'elles transfèrent ou reçoivent 100 000 $ ou plus en monnaie virtuelle.

Lorsqu'un transfert de monnaie virtuelle doit être déclaré au CANAFE, le projet de règlement imposera à l'entité déclarante l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour déterminer si la personne ou l'entité qui fait la demande de transfert agit pour le compte d'un tiers. S'il est déterminé que la demande est faite au nom d'un tiers, certains documents doivent être tenus.

Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation indique que les modifications proposées concernant la monnaie virtuelle sont conçues pour atténuer les vulnérabilités de la monnaie virtuelle liées au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes, sans pour autant nuire indûment à l'innovation. Cependant, ce nouveau règlement aura manifestement une incidence importante sur de nombreuses entreprises dans le domaine de la monnaie virtuelle.

Produits de paiement prépayés

Le projet de règlement introduit la notion de « produit de paiement prépayé ». Un « produit de paiement prépayé » sera défini comme étant un « produit émis par une entité financière et permettant à une personne ou entité de prendre part à une opération en lui donnant un accès électronique à des fonds ou à de la monnaie virtuelle versés, avant l'opération, dans un compte de produit de paiement prépayé détenu avec l'entité financière. La présente définition exclut le produit permettant d'avoir accès à un compte de crédit ou de débit et le produit ne pouvant être utilisé qu'auprès d'un commerçant spécifique ». Il est important de noter l'exclusion à la fin de cette définition : ces exigences ne s'appliqueront pas aux émetteurs de cartes à utilisation libre.

Pour les entités financières, cela se traduira par une augmentation considérable de leurs obligations en matière de tenue des documents pour tout compte de produit de paiement prépayé qui s'entend d'un « compte, lié à un produit de paiement prépayé, qui permet d'effectuer une ou plusieurs opérations totalisant 1 000 $ ou plus au cours d'une période de vingt-quatre heures ou de maintenir un solde de fonds ou de monnaies virtuelles disponibles de 1 000 $ ou plus ».

Pour chaque compte de produit de paiement prépayé qui est ouvert par une entité financière et pour les opérations qui sont effectuées, l'entité financière devra tenir des documents similaires à ceux qu'une banque tiendrait lors de l'ouverture d'un compte. Ces nouvelles exigences en matière de tenue de documents comprendront un « relevé de produit de paiement prépayé » où les renseignements suivants doivent être consignés :

  • la date à laquelle un paiement est porté au crédit d'un compte de produit de paiement prépayé;
  • le nom de la personne ou entité qui effectue le paiement;
  • les types de fonds et de monnaies virtuelles liés au paiement et le montant pour chaque type;
  • la manière dont le paiement est effectué;
  • le nom de chaque titulaire du compte de produit de
    paiement prépayé;
  • le numéro du compte et, s'il diffère, le numéro qui identifie le produit de paiement prépayé lié au compte;
  • tout autre détail connu qui identifie le paiement.

De plus, les entités financières devront vérifier l'identité de chaque personne, société ou entité autre qu'une personne morale pour laquelle elles ouvrent un compte de produit de paiement prépayé, ainsi que celle de toute autre personne, société ou entité autre qu'une personne morale qui porte un paiement de 1 000 $ ou plus au crédit d'un compte de produit de paiement prépayé.

Entreprises étrangères de services monétaires

Les modifications apportées à la LRPCFAT en 2014, mais qui ne sont pas encore en vigueur, ajouteront l'alinéa 5h.1) qui inclura les activités des ESM qui n'ont pas de lieu d'affaires au Canada, mais qui fournissent les services d'une ESM à des clients situés au Canada.

Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation indique que les paiements par Internet et les nouvelles méthodes de paiement donnent la possibilité aux entités étrangères qui n'ont pas un lieu d'affaires au Canada d'offrir leurs services monétaires au Canada, ce qui représente une lacune dans le cadre juridique du Canada et des règles du jeu inégales pour les concurrents canadiens qui sont assujettis au régime canadien de LRPC-FAT.

Le projet de règlement imposera aux ESM étrangères des obligations semblables à celles auxquelles sont assujetties les ESM nationales. Cela comprend l'inscription auprès du CANAFE, le devoir de vigilance à l'égard de la clientèle, la déclaration des opérations au CANAFE et les exigences en matière de tenue de documents. Les ESM (étrangères et nationales) devront renouveler leur inscription avec le CANAFE tous les deux ans et fournir des documents pour appuyer le renouvellement.

Télévirements

De nombreuses modifications ont été apportées aux télévirements.

Les exigences de déclaration en matière de télévirements qui sont applicables aux entités financières, aux ESM et aux casinos s'appliquent aux transferts de « fonds », dont la définition a été élargie et comprend désormais ce qui suit :

  • les espèces et autres monnaies fiduciaires et de valeurs mobilières, les titres négociables ou d'autres instruments financiers, qui font foi du titre, d'un intérêt ou d'un droit à l'égard de ceux-ci;
  • les renseignements permettant à une personne ou entité d'avoir accès à une monnaie fiduciaire autre que des espèces.

Lorsqu'un télévirement doit être déclaré au CANAFE, le projet de règlement imposera à l'entité déclarante l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour déterminer si la personne ou l'entité qui fait la demande de télévirement agit pour le compte d'un tiers. S'il est déterminé que la demande est faite au nom d'un tiers, certains documents doivent être tenus.

Les ESM devront désormais prendre des mesures raisonnables pour déterminer si une personne est une PPV lorsque l'ESM amorce ou reçoit un télévirement de 100 000 $ ou plus, que ce soit au Canada ou à l'extérieur des frontières.

Des modifications seront également apportées à la « règle des 24 heures ». Les modifications proposées :

  • clarifieront que les opérations multiples effectuées par une personne à l'intérieur d'une période de 24 heures sont considérées comme une seule opération, aux fins de déclaration, lorsqu'elles totalisent 10 000 $ ou plus et qu'un seul rapport devrait être soumis incluant toutes les opérations au cours de la période qui, collectivement, atteignent ou dépassent ce seuil;
  • assureront que la règle des 24 heures s'applique aussi aux bénéficiaires d'opérations multiples en espèces (c'est-à-dire les cas où une même personne reçoit des dépôts ou des transferts d'argent dont le montant totalise 10 000 $ ou plus, au cours d'une période de 24 heures);
  • clarifieront que toute opération d'une somme en espèce totalisant 10 000 $ ou plus reçue par une entité déclarante, peu importe sa structure organisationnelle, doit être déclarée.

Enfin, les exigences en matière de tenue de documents et de déclaration pour ce qui est des télévirements sont accrues. Pour les télévirements de plus de 1 000 $ qui ont été amorcés, envoyés ou reçus par des entités financières, des ESM ou des casinos, les renseignements devant être consignés sont considérablement accrus. De plus, pour les télévirements de 10 000 $ ou plus qui doivent être déclarés au CARAFE, les renseignements devant être consignés dans les rapports (voir les annexes 2 et 3 du projet de règlement) sont beaucoup plus détaillés.

Assurance-vie

Les sociétés d'assurance-vie et les représentants d'assurance-vie ne sont pas assujettis aux mêmes obligations de tenue de documents, de déclaration et de devoir de vigilance à l'égard de la clientèle que les autres entités financières. Le projet de règlement imposerait aux sociétés d'assurance-vie et aux représentants d'assurance-vie de respecter ces exigences lorsqu'elles offrent au public des prêts (par exemple les exigences de garder des documents de renseignements sur les clients ou liés au devoir de vigilance à l'égard de la clientèle) ou des produits de paiement prépayés ou lorsqu'elles tiennent des comptes à l'égard de ces prêts ou de ces produits de paiement prépayés.

Les sociétés d'assurance-vie ou les représentants d'assurance-vie devront désormais prendre des mesures raisonnables pour établir si une personne est une PPV dans les cas suivants :

  • lorsqu'une personne effectue un versement forfaitaire de 100 000 $ ou plus à l'égard d'une rente immédiate ou différée ou d'une police d'assurance-vie; 
  • lorsqu'une société d'assurance-vie ou le représentant d'assurance-vie effectuera le versement d'une somme de 100 000 $ ou plus pendant la période prévue par une rente immédiate ou différée ou une police d'assurance-vie pour un bénéficiaire.

Le projet de règlement clarifiera également que lorsqu'un représentant d'assurance-vie agit à titre d'agent général gestionnaire (AGG) pour une société d'assurance-vie, l'AGG ne serait pas considéré comme une entité déclarante.

Vérification de l'identité

Les documents actuellement utilisés pour valider l'identité du client doivent être « originaux, valides et à jour » et ne peuvent pas inclure de copies numérisées ou photocopiées. Le projet de règlement modifie cette exigence en demandant plutôt que le document soit « authentique, valide et à jour ». Cela permettra l'utilisation de documents numérisés ou photocopiés, ce qui facilitera l'utilisation de méthodes électroniques pour vérifier l'identité d'une personne.

Les entités déclarantes qui sont tenues de vérifier l'identité d'une personne peuvent se fier à des mesures prises antérieurement par un représentant, une filiale ou une entreprise affiliée. Le projet de règlement permettrait à une entité déclarante de se fier à des mesures prises antérieurement par une autre entité déclarante. Pour se fier à de telles mesures, l'entité déclarante devrait pouvoir demander et obtenir de l'information sur les mesures de vérification de l'identité immédiatement ou dans un délai de trois jours depuis la demande.

Autres modifications proposées

Il y a un certain nombre d'autres modifications notables dans le projet de règlement, dont celles qui suivent :

  • Propriété effective : Lorsqu'une entité souhaite ouvrir un compte, les entités déclarantes sont tenues d'obtenir les renseignements sur la propriété effective, de prendre des mesures raisonnables pour valider l'exactitude des renseignements et de garder les renseignements à jour de façon permanente. Il n'y a toutefois aucune obligation explicite de prendre des mesures pour confirmer l'exactitude des nouveaux renseignements au fur et à mesure qu'ils sont reçus ou mis à jour au fil du temps. Le projet de règlement exigera des entités déclarantes qu'elles prennent des mesures raisonnables pour confirmer l'exactitude des renseignements lors de leur mise à jour dans le cadre du contrôle continu.
  • Prise de « mesures raisonnables » : Il existe de nombreux cas où les entités déclarantes doivent tenir un dossier sur les « mesures raisonnables » qu'elles ont prises dans les cas pour lesquels elles n'ont pu satisfaire à certaines obligations (comme des renseignements sur les administrateurs ou les associés ou sur les personnes qui possèdent ou contrôlent 25 % ou plus d'une société ou d'une autre entité, le fait de savoir si une personne pour laquelle un compte est ouvert est une PPV, etc.). Le résumé de l'étude d'impact de la réglementation indique que les intervenants estimaient que cette mesure était trop exigeante. Elle sera donc abrogée.
  • Déclaration des opérations douteuses : Le projet de règlement prévoit que, lorsqu'une entité déclarante constate qu'il y a des motifs raisonnables de soupçonner une infraction ou la tentative d'une infraction liée au recyclage des produits de la criminalité ou au financement des activités terroristes, l'entité déclarante devra transmettre une déclaration d'opération douteuse au CANAFE à l'intérieur de trois jours. Une entité déclarante dispose actuellement de 30 jours pour transmettre une déclaration d'opération douteuse.
  • Origine de la richesse d'une PPV : Le projet de règlement exigera également des entités déclarantes qu'elles prennent des mesures raisonnables pour déterminer l'origine de la richesse d'une PPV. Selon le résumé de l'étude d'impact de la réglementation, le montant accumulé de fonds ou de richesse d'un client devrait être raisonnable et cohérent avec les renseignements fournis, et tout doute sur l'origine de ces fonds ou de cette richesse devrait être dissipé avant qu'une entité déclarante poursuive la relation ou permette l'opération.
  • Confirmation de l'existence d'une personne morale : Il n'existe actuellement aucune exigence concernant la date de délivrance des documents qui démontrent la constitution de personne morale. Le projet de règlement prévoirait que l'identité d'une personne morale peut être vérifiée en se reportant au certificat de constitution de la personne morale, à un document qu'elle est tenue de déposer annuellement aux termes de la législation provinciale régissant les valeurs mobilières ou à la version la plus récente de tout autre document qui en prouve l'existence. Un certificat de constitution ou un autre document qui prouve l'existence de la personne morale doit avoir été délivré au cours de la dernière année.

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