La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a récemment accueilli la demande de révision judiciaire1 de Suncor Énergie Inc. et a renversé une sentence arbitrale portant sur la décision de Suncor d'introduire une politique de tests aléatoires de dépistage de drogues et d'alcool pour certains employés2. La cour a ordonné que l'affaire soit renvoyée pour une nouvelle audition devant un nouveau tribunal d'arbitrage; toutefois, le syndicat (Unifor) a également annoncé son intention de porter la décision de la cour en appe
Contexte
En 2012, Suncor a introduit une politique de tests
aléatoires de dépistage d'alcool et de drogues
pour tous les employés occupant des postes à risque
dans ses activités d'exploitation de sables bitumineux
en Alberta. Le syndicat a déposé un grief et a
réussi à obtenir une injonction provisoire
empêchant la mise en oeuvre du dépistage
aléatoire en attendant l'issue de l'arbitrage.
L'injonction a été maintenue par la Cour
d'appel de l'Alberta.
L'arbitrage de Suncor constituait la première affaire en
Alberta portant sur la question des tests aléatoires de
dépistage de drogues et d'alcool depuis que la Cour
suprême du Canada avait rendu sa décision dans
l'affaire Syndicat canadien des communications, de
l'énergie et du papier, section locale 30 c.
Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34
(Irving). Dans l'affaire Irving, la Cour
suprême a indiqué qu'un lieu de travail dangereux
ne justifiait pas automatiquement le recours aux tests
aléatoires de dépistage. Pour établir que le
dépistage aléatoire est justifié ou non, les
cours et les tribunaux d'arbitrage doivent plutôt trouver
un équilibre entre des intérêts opposés
et déterminer si les tests imposés par
l'employeur sont proportionnels à la
préoccupation à laquelle il souhaite
répondre.
La majorité du tribunal d'arbitrage (majorité) a
statué que la politique de tests aléatoires de Suncor
n'était pas justifiée et que le préjudice
aux droits à la vie privée des employés
causé par la politique de tests aléatoires surpasse
l'avantage sur le plan de la sécurité dont
l'employeur pourrait jouir. Pour consulter un
résumé de cette décision, veuillez cliquer ici (en anglais).
La demande de révision judiciaire a été
entendue en octobre 2014.
La décision rendue dans le cadre de la révision judiciaire
Pour parvenir à sa décision, la cour s'est concentrée sur trois questions :
- La majorité a-t-elle porté à un seuil trop élevé le critère énoncé dans Irving concernant le degré de preuve nécessaire pour établir un problème?
- Était-il inapproprié pour la majorité d'examiner seulement la preuve qui démontrait un problème d'alcool et de drogues au sein de l'unité de négociation?
- La majorité a-t-elle examiné la preuve incorrectement?
La majorité a-t-elle porté à un
seuil trop élevé le critère
énoncé dans Irving concernant le
degré de preuve nécessaire pour établir un
problème?
La majorité a indiqué que pour que la politique de
tests aléatoires de dépistage soit justifiée,
Suncor était tenue de fournir la preuve d'un
problème « important » ou « grave »
de drogues et d'alcool en milieu de travail. Cependant, la cour
a souligné que le critère énoncé dans
Irving est intrinsèquement souple et n'exige
que la preuve d'un problème démontré ou
généralisé de drogues ou d'alcool dans un
lieu de travail dangereux, et non d'un problème
important ou grave.
La majorité a également jugé que Suncor devait
démontrer un lien causal entre le problème de drogues
et d'alcool et les accidents et les blessures, réels ou
évités de justesse, en milieu de travail. Toutefois,
la cour a affirmé qu'Irving n'impose pas un
tel critère seuil et a souligné que la
décision majoritaire dans Irving ne fait aucune
mention d'une obligation de montrer un lien causal.
L'employeur doit plutôt démontrer que la politique
de tests aléatoires de dépistage en question
crée un équilibre approprié entre les
intérêts opposés et qu'elle est
proportionnelle au préjudice causé à la vie
privée des employés.
Par conséquent, la cour a fait valoir que la majorité
avait mal interprété le critère
d'Irving en appliquant des critères plus
rigoureux que ceux énoncés par la Cour suprême
du Canada.
Était-il inapproprié pour la majorité
d'examiner seulement la preuve qui démontrait un
problème d'alcool et de drogues au sein de
l'unité de négociation?
La majorité a affirmé qu'elle ne pouvait examiner
que la preuve démontrant un problème de drogues et
d'alcool au sein de l'unité de négociation.
Cependant, la cour a fait valoir qu'il s'agissait d'une
méprise à l'égard du critère
d'Irving. Ce critère exige la preuve d'un
problème généralisé de drogues et
d'alcool « en milieu de travail », et la cour a
indiqué que la Cour suprême avait utilisé le
terme « milieu de travail » plutôt qu'«
unité de négociation » tout au long de sa
décision dans l'affaire Irving. La cour a
affirmé que la sécurité du milieu de travail
est un concept agrégé, particulièrement dans
les milieux dangereux, et qu'un accent plus global sur le
milieu de travail, contrairement à un accent pointu sur
l'unité de négociation, est compatible avec
l'obligation d'un employeur d'assurer la
sécurité de son lieu de travail en entier. Bien que
la décision arbitrale ne liait que les membres de
l'unité de négociation, cela ne signifiait pas
nécessairement que le tribunal ne pouvait examiner que la
preuve liée directement à cette unité de
négociation.
La cour a mentionné qu'il est possible qu'une
approche stricte axée uniquement sur la preuve d'usage
d'alcool et de drogues au sein d'une unité de
négociation soit justifiée lorsque la preuve porte
à croire que l'usage d'alcool et de drogues au sein
de l'unité de négociation diffère de
manière importante de l'usage au sein de la
main-d'oeuvre plus générale.
La majorité a-t-elle examiné la preuve
incorrectement?
La cour a fait valoir que la majorité avait ignoré et
mal compris la preuve d'une manière ayant influé
sur sa décision. D'abord, la majorité a «
simplement ignoré » la preuve concernant le nombre
élevé d'incidents liés à la
sécurité aux lieux de travail visés :
[traduction] Alors que la majorité a reconnu qu'il y
avait un nombre élevé d'incidents liés
à la sécurité, elle a par la suite
analysé l'information en la soumettant à une
approche erronée qui limitait la portée de
l'enquête en ciblant le milieu de travail par opposition
à l'unité de négociation [...] La
pertinence de cette preuve d'« incidents liés
à la sécurité » a été
perdue puisqu'elle a été prise hors contexte en
raison de l'approche analytique trop limitée
appliquée par la majorité.
En se concentrant exclusivement sur l'unité de
négociation, la majorité « a ignoré la
preuve concernant près des deux tiers des personnes
travaillant dans les activités d'exploitation de sables
bitumineux ».
La cour a également mentionné qu'elle
craignait que la majorité ait spéculé de
manière non justifiée et déraisonnable. Elle
était particulièrement préoccupée par
la conclusion de la majorité selon laquelle « il se
pourrait bien » que les employés débutants
soient plus susceptibles d'être à risque
d'usage de drogues et d'alcool touchant le milieu de
travail sans fondement de preuve pour cette conclusion, ainsi que
par la mention par la majorité de méthodes de
dépistage de drogues « alternatives, plus
avancées » alors que le dossier indiquait que le
syndicat n'avait fourni au tribunal aucune preuve de mesures de
dépistage efficaces comme solution de rechange à
l'analyse d'urine.
Enfin, la cour a indiqué que le raisonnement de la
majorité quant au bien-fondé de l'analyse
d'urine était intrinsèquement
incohérent.
Bien qu'elle ait souligné que dans certaines demandes de
révision judiciaire la cour peut substituer sa propre
décision, la cour a ordonné que l'affaire soit
renvoyée devant un nouveau tribunal d'arbitrage.
Quelques heures après la diffusion de la décision de
la cour, Unifor a annoncé son intention de la porter en
appel, laissant les employeurs dans l'attente de la prochaine
manche de cette bataille concernant les tests aléatoires de
dépistage de drogues.
Bien que cette décision ait été rendue en
Alberta, elle revêt une importance considérable pour
les entreprises exerçant leurs activités dans des
contextes critiques sur le plan de la sécurité
partout au Canada. Il est vrai que les tribunaux d'arbitrage en
relations de travail et les tribunaux judiciaires seront
tentés d'interpréter les principes
énoncés dans Irving de manière
limitée, au nom des droits à la vie privée des
employés. Cependant, les employeurs doivent garder à
l'esprit que dans les bonnes circonstances, il sera possible
d'imposer des tests aléatoires de dépistage de
drogues et d'alcool et que leurs préoccupations
sérieuses quant à la sécurité
l'emporteront sur les droits à la vie privée des
employés.
L'auteure désire remercier Sarah Ivany, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.
Notes
1. Suncor Energy Inc v Unifor Local 707A, 2016 ABQB
269.
2. Unifor, Local 707A v Suncor Energy Inc Oil Sands (Random
Testing Grievance), [2014] 242 LAC (4th) 1 (Hodges).
About Norton Rose Fulbright Canada LLP
Norton Rose Fulbright is a global law firm. We provide the world's preeminent corporations and financial institutions with a full business law service. We have 3800 lawyers and other legal staff based in more than 50 cities across Europe, the United States, Canada, Latin America, Asia, Australia, Africa, the Middle East and Central Asia.
Recognized for our industry focus, we are strong across all the key industry sectors: financial institutions; energy; infrastructure, mining and commodities; transport; technology and innovation; and life sciences and healthcare.
Wherever we are, we operate in accordance with our global business principles of quality, unity and integrity. We aim to provide the highest possible standard of legal service in each of our offices and to maintain that level of quality at every point of contact.
For more information about Norton Rose Fulbright, see nortonrosefulbright.com/legal-notices.
Law around the world
nortonrosefulbright.com
The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.