Introduction

En 2015, les tribunaux canadiens ont rendu des décisions et des avis de pratique à la profession qui ont eu des incidences sur la pratique préalable au procès concernant les litiges en propriété intellectuelle, les exigences relatives aux témoignages d’expert, la norme de contrôle de l’interprétation des brevets et les sentences d’emprisonnement pour violation des ordonnances d’un tribunal.

Voici les résumés que nous avons préparés concernant des décisions et des avis clés qui auront des répercussions sur les litiges en propriété intellectuelle au Canada.  

Proportionnalité et interrogatoires préalables

En juin 2015, la Cour fédérale a diffusé un avis aux parties et à la communauté juridique intitulé « La gestion d’instance : assurer la proportionnalité dans les litiges complexes en Cour fédérale ». L’avis exposait dix points à prendre en considération, que les avocats doivent intégrer à leur pratique pour assurer une meilleure gestion des affaires portées devant la Cour fédérale et la participation du juge du procès plus tôt dans le processus. Il portait également sur la rationalisation des interrogatoires préalables, les limites fixées concernant les requêtes et les appels ainsi que les pourparlers permettant de régler le litige plus tôt :

  1. Participation du juge de procès plus tôt dans le processus afin de garantir la résolution plus rapide des affaires interlocutoires de façon que les parties soient prêtes à procéder à la date prévue du procès.  
  2. Établissement d’une liste d’attente à court préavis permettant de tenir le procès plus tôt pour les parties qui le désirent.  
  3. Aucune présentation de preuve matérielle au procès, sauf si les parties ont procédé à un échange de la preuve matérielle en question au moins 60 jours avant le procès et que les éventuelles objections ont été soulevées au moins 45 jours avant le procès.  
  4. Limites relatives à la communication préalable de documents afin d’accroître la proportionnalité, y compris l’utilisation de calendriers d’interrogatoires et la désignation des personnes qui seront interrogées et des documents qui seront examinés.  
  5. Limites relatives aux interrogatoires préalables oraux de façon à autoriser une journée d’interrogatoire préalable par semaine de procès. Les interrogatoires subséquents sont limités à une journée par partie.  
  6. Les requêtes pour faire trancher les objections ne seront pas entendues avant la fin des interrogatoires préalables, et elles seront limitées à une heure par journée d’interrogatoire préalable. Les parties n’ayant pas gain de cause ou les parties présentant des requêtes déraisonnables se verront imposer d’importantes sanctions quant aux dépens. Il ne sera pas permis de réserver les réponses « sous réserves » et d’y répondre ultérieurement, et il faudra répondre aux questions à moins qu’elles soient « manifestement irrégulières ou préjudiciables ».  
  7. Un changement est envisagé pour limiter les appels relatifs aux ordonnances interlocutoires des protonotaires.  
  8. Application de la limite du nombre d’experts par partie (maximum de cinq).  
  9. Il sera possible d’exiger, avant le procès, des guides concernant les aspects scientifiques et technologiques des dossiers afin d’aider la Cour à mieux comprendre ces aspects.  
  10. Envisager le recours à la médiation tôt dans toutes les poursuites.

Les objectifs de l’avis sont également énoncés dans les décisions suivantes de la Cour fédérale :

Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2015 CF 1292 (paragraphes 59-60 et 67-68), Bard Peripheral Vascular, Inc. c. WL Gore & Associates, Inc, 2015 FC 1176 (paragraphes 21 et 22) et MediaTube Corp et al c. Bell Canada et al, 2015 CF 391 (paragraphes 20 et 22).  

Directives données aux experts et témoignages d’expert

Dans l’affaire Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55, la Cour a statué que les avocats et les experts peuvent se consulter les uns les autres et a fait observer que « l'interdiction des discussions non étayées de documents entre les avocats et les témoins experts ou l’obligation de divulguer toutes les communications écrites n’est pas justifiée par les règles actuelles et est même contraire à ces règles » (traduction). La Cour a cité l’arrêt Medimmune Ltd v Novartis Pharmaceuticals UK Ltd & Anor, [2011] EWHC 1669 (Pat) et a fait remarquer que « dans certains domaines très techniques comme le droit des brevets, les avocats exigent des témoins experts qu’ils aient un niveau élevé d'instruction, ce qui peut nécessiter une importante consultation supposant de nombreuses communications entre les parties » (traduction). Cela n’élimine toutefois pas l’obligation primordiale de l’expert d’assister la Cour et de maintenir une attitude impartiale.

Dans l’affaire Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc, 2015 CF 322, la Cour a statué que les experts doivent mener leur propre recherche d’antériorité. Selon la Cour, « un expert qui effectue une analyse de l’évidence en se fondant principalement ou uniquement sur des références d’antériorité qu’ont choisies les avocats qui retiennent ses services s’expose au risque réel de formuler une opinion formée après coup. Un examen minutieux de l’art antérieur comporte nécessairement une recherche de toute la documentation pertinente disponible, qu’elle étaye l’inventivité ou non. Cela oblige à prendre en compte des réalisations antérieures pertinentes dans le contexte plus large d’autres voies pouvant conduire à la solution qu’offre le brevet ou à des idées qui infirment cette solution ». Il semble donc que, dans les affaires de brevets, les experts doivent effectuer leur propre recherche d’antériorité, en plus de compter sur les résultats des recherches de leurs avocats.  

Norme de contrôle

Dans de récents arrêts de la Cour d’appel fédérale, la norme de contrôle que devraient respecter les juges de première instance en interprétant les brevets a fait l’objet d’un examen. Bien que cette norme ait toujours été celle de la décision correcte compte tenu de l’aspect juridique de l’interprétation des brevets, certains juges, y compris le juge Stratas, se posent en défenseurs d’une nouvelle norme, celle de l’erreur manifeste et dominante.

Dans l’affaire Abb Technology AG, ABB Inc. c. Hyundai Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181, le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour, fait observer que, lorsqu’un témoignage d’expert influe sur l’interprétation d’un brevet par le juge de première instance, la norme de contrôle doit être celle de l’erreur manifeste et dominante. Citant ses propres décisions antérieures dans les causes Cobalt Pharmaceuticals Company c. Bayer Inc., 2015 CAF 116 et Whirlpool, le juge Stratas signale que les brevets doivent être interprétés du point de vue du lecteur versé dans l’art, qui a une appréciation des connaissances générales usuelles qui s’appliquent à l’art auquel se rapporte le brevet en question. Comme cela n’est généralement pas du ressort du juge, les parties doivent donc présenter un témoignage d’expert concernant de nombreuses questions factuelles. La Cour a laissé entendre que, lorsque l’interprétation du brevet fait une large place à des témoignages d’expert, la norme de contrôle devrait être celle de l’erreur manifeste et dominante. Malgré cet examen, la Cour a en fin de compte eu recours à la norme de contrôle de la décision correcte.

Par contraste, dans l’affaire Alcon Canada Inc. c. Actavis Pharma Company, 2015 CAF 191, la Cour a retenu la traditionnelle norme de contrôle de la décision correcte pour ce qui est de l’interprétation des brevets. Elle a fait remarquer que l’interprétation d’une promesse de brevet est une question de droit et que cette promesse doit être examinée à l’aune de la norme de la décision correcte.

Ces applications contradictoires de la norme de contrôle applicable à l’interprétation des brevets par la Cour d’appel fédérale semblent préparer le terrain à un examen de la question par la Cour suprême du Canada.  

L’outrage au tribunal peut conduire à une peine d’emprisonnement

Dans une décision rare mais non imprévue, la Cour fédérale a ordonné que le dirigeant et administrateur d’une partie qui n’a pas respecté une ordonnance pour outrage au tribunal soit emprisonné jusqu’à ce que toutes les sommes exigibles en vertu des ordonnances de la Cour soient payées. Dans l’affaire Trans-High Corporation c. Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2015 CF 1104, après avoir donné à la partie en question plusieurs chances de se conformer aux ordonnances de la Cour en payant les dommages-intérêts et les coûts, la Cour a ordonné que soit mise à exécution une ordonnance pour outrage au tribunal, ce qui s’est soldé par l’emprisonnement  du dirigeant et administrateur jusqu’à ce que l’ordonnance soit respectée et que les sommes soient payées.

Faisant observer que l’incarcération d’une personne en raison de son incapacité à payer une dette est une notion digne de l’univers de Charles Dickens, la Cour relève que, selon la Cour suprême du Canada, une personne peut être emprisonnée lorsqu’elle montre son intention de se soustraire à ses engagements, notamment lorsqu’elle a la capacité de payer une dette, mais qu’elle refuse de le faire. La Cour a pris soin de préciser que la peine d’emprisonnement n’était pas le résultat d’une dette non acquittée, mais bien celui d’un refus délibéré de respecter les ordonnances de la Cour malgré la capacité de le faire.

Les sentences d’emprisonnement pour violation des droits de propriété intellectuelle, bien que rares, ont auparavant été prononcées et maintenues par des tribunaux fédéraux (voir Telewizja Polsat SA c. Radiopol Inc, Canadian Copyright Licensing Agency c. U-Compute; Microsoft Corp. c. 9038-3746 Québec Inc.).

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