Le Régime d'épargne-actions du Québec est censé prendre fin le 31 décembre 2014 et le Québec ne compte que 7 % des sociétés inscrites à la cote des bourses de valeurs du Groupe TMX, alors que le poids économique de la province au Canada est de 20 %. Par comparaison, 33 % des sociétés qui y sont inscrites proviennent de l'Ontario et 50 % de l'Ouest canadien. En 2013, seulement 5,3 % des nouvelles sociétés inscrites à la cote de ces bourses provenaient du Québec contre 11 % de l'étranger. Cette même année, l'ensemble des sociétés inscrites canadiennes sont allées chercher 43,6 G$, contre seulement 4 G$ pour les sociétés québécoises, et sur les 59 nouvelles inscriptions en bourse de produits structurés, aucune ne provenait du Québec1. Le Québec est donc loin de profiter pleinement des bourses canadiennes, lesquelles ont bonne réputation et sont reconnues comme des bourses vouées aux PME2.

À une certaine époque, le Québec réussissait à mettre en bourse plusieurs de ses PME, dont certaines sont devenues des géants comme CGI, Québécor, Couche-Tard, Jean Coutu, pour n'en citer que quelques-unes. Dans le cadre de leur premier appel public à l'épargne (PAPE), ces PME obtinrent des sommes modestes, mais cet exercice leur a procuré une valorisation supérieure à celle des sociétés fermées, un accès à de nouvelles sources de financement à meilleur coût et surtout, un élément essentiel à leur plan de croissance, soit des actions librement négociables en bourse. Ces sociétés, dirigées par des bâtisseurs, sont devenues d'importants consolidateurs par voie de fusions et d'acquisitions. Or la croissance est la première raison pour laquelle on s'inscrit en bourse3. L'écosystème financier québécois a par ailleurs sûrement changé depuis ce temps.

D'entrée de jeu, rappelons que l'inscription en bourse d'une société junior n'est pas une panacée : elle n'est pas à la portée de toutes les entreprises et ne convient pas nécessairement à la personnalité de tous les dirigeants d'entreprises. Ensuite, lorsque l'inscription est ouverte à une entreprise, celle-ci doit, pour arriver à s'inscrire, bénéficier d'un environnement propice.

Il faut reconnaître qu'il y a eu une baisse des inscriptions en bourse tant au Québec qu'au Canada et aux États-Unis pour différentes raisons, dont certaines sont structurelles4, d'ordre général ou local. Notamment, un accès accru aux financements privés pré-PAPE, la grande aversion au risque réputationnel des institutions financières et l'évolution des courtiers en valeurs mobilières qui, de conseillers en placements pour leurs clients, sont devenus des gestionnaires d'actifs, lesquels proposent un choix de titres souvent préétabli et hautement encadré par les maisons de courtage, laissant ainsi peu de place aux PME ouvertes. L'autre facteur à ne pas sous-estimer est l'absorption des sociétés québécoises de nouvelles technologies par celles de plus grande importance, qui, pour la plupart d'entre elles, sont des sociétés inscrites à la cote d'une bourse. Le Québec a, en outre, des façons de faire qui lui sont propres.

Une mise en bourse est une opération qui doit souvent coïncider avec un cycle boursier favorable à un type d'entreprise. Pour en profiter au moment opportun, il faut être prêt et bien encadré. Malheureusement, les entreprises québécoises ne profitent des cycles boursiers qu'à la fin de ceux-ci, et seulement quelques-unes y parviennent5.

Secteur financier

On vante fréquemment le dynamisme du secteur financier québécois, notamment sa composante achat, soit ses activités de placement et d'investissement. Il est vrai que l'on retrouve au Québec des entreprises Suvrant dans ce domaine qui sont de grande qualité. Toutefois, dans le cadre d'une analyse sur la contribution à la création de richesse, il convient de faire la différence entre les composantes achat et vente du secteur financier (buy side et sell side).

Certes, ces entreprises réussissent très bien à titre d'investisseurs (côté achat / buy side). En revanche, le côté vente dédié aux PME (sell side) du secteur financier n'a pas une grande présence au Québec. Cette situation a des conséquences non négligeables sur notre économie et sur la création de richesse et d'emplois. À titre d'exemple, les principaux établissements bancaires assurent au Québec des services de financement des sociétés par l'intermédiaire de leurs courtiers en valeurs mobilières, soit leurs banquiers d'affaires (investment bankers). Ceux-ci servent principalement des entités d'une certaine taille. En 2010, dans le cadre d'une conférence sur le sujet, Jacques Ménard, président du conseil d'administration de BMO Nesbitt Burns et président de BMO Groupe financier, Québec, démontrait que les mises en bourse de PME au Canada étaient l'apanage des petites maisons de courtage, que l'on surnomme « boutiques »6. On constate que peu de ces boutiques possèdent un établissement au Québec.

Pour réussir une inscription boursière, il faut être prêt, jouir du support d'investisseurs-clés et être bien encadré par le secteur local du financement par appel public à l'épargne. Cette opération requiert donc à la fois une expertise particulière et un environnement local favorable. Force est de constater que ce secteur est tout simplement anémique au Québec.

Ce qui manque au Québec

La globalisation de nos marchés exige de plus en plus de visibilité et un accès aux investisseurs tant canadiens qu'internationaux, ce dont les sociétés inscrites bénéficient souvent. Ces dernières profitent ainsi d'un réseau élargi, de possibilités de fusions et acquisitions et d'un accès à de nouveaux types de financement.

Les bourses canadiennes ont la réputation d'être principalement dédiées à la PME ouverte7. Dans ce contexte, pourquoi le Québec fait-il bande à part? Peu importe la réponse à cette question, cette situation doit changer.

Alors que plusieurs entrevoient une reprise lente et longue8, il convient que le Québec se dote maintenant d'un secteur du financement par appel public à l'épargne de nos PME qui soit permanent, dynamique et ouvert à une économie en mutation, et qui fasse interagir des banquiers d'affaires, des analystes, des courtiers au détail et institutionnels, des teneurs de marchés, des incitatifs fiscaux et autres.

L'absence au Québec de cette composante du secteur financier est la source :

  • d'occasions manquées d'investissement pour les sociétés et les investisseurs québécois;
  • de départs d'entreprises et d'entrepreneurs qui transfèrent leurs sièges sociaux vers des environnements plus propices à leurs activités;
  • de l'absence d'une forme de monétisation des placements pour les entrepreneurs qui se retirent;
  • de ventes de nos sociétés innovantes à des sociétés étrangères – au Canada, et au Québec à un moindre degré, au cours des dix dernières années, les ventes en bloc par les sociétés de capital de risque sont principalement réalisées auprès d'entreprises étrangères;
  • de manques d'occasions de valorisation pour nos fonds d'investissement;
  • de l'absence des effets mobilisateurs et de stimulation à l'entrepreneuriat que provoque la mise en bourse;
  • d'un certain manque d'appariement de nos entreprises avec les marchés hors Québec.

Cette situation a des conséquences sur :

  • l'accès au capital permanent de développement;
  • l'intégration aux capitaux et réseaux internationaux;
  • la pleine valorisation de certaines sociétés québécoises;
  • le rendement du capital investi des incitatifs gouvernementaux;
  • l'accès à de nouvelles sources de financement;
  • la création et le maintien d'emplois;
  • la vulnérabilité de nos entreprises, qui sont trop souvent la proie des sociétés ouvertes plutôt que des prédateurs et consolidateurs;

  • la visibilité que certaines sociétés méritent.

À considérer

Le Québec doit se doter à long terme de mesures structurantes afin que l'inscription et le maintien en bourse, s'il est possible, soit une réelle alternative pour les sociétés québécoises.

Les mesures à considérer pour structurer de façon durable la partie achat de notre secteur financier, sont notamment les suivantes :

  • prévoir des incitatifs à la création d'unités à l'intérieur des sociétés financières québécoises déjà établies et à la venue de nouvelles où on retrouverait des banquiers d'affaires voués aux PME ouvertes. Par exemple, on pourrait considérer leur offrir des incitatifs similaires à ceux accordés aux centres financiers internationaux;
  • simplifier les règles de présentation de l'information financière applicables aux PME ouvertes;
  • avoir recours aux nouvelles technologies de l'information afin de s'adapter aux méthodes du jour et d'accélérer le processus d'inscription à la cote d'une bourse et du maintien à cette cote et d'en diminuer le coût;
  • inciter les maisons de courtage à incorporer dans les processus décisionnels d'investissement de leurs clients l'investissement dans nos sociétés ouvertes juniors;
  • faire en sorte que les universités et associations professionnelles concernées offrent des programmes de formation pertinents;
  • offrir aux fonds d'investissement québécois et autres des incitatifs à l'investissement dans les PME ouvertes;
  • parfaire la connaissance des investisseurs québécois sur le rapport risque et rendement de l'investissement dans la PME ouverte9;
  • revoir le Régime d'Épargne-Actions II afin qu'il soit plus convivial pour nos sociétés et les investisseurs;
  • modifier nos lois de l'impôt sur le revenu afin qu'une mise en bourse d'une PME ne provoque plus la perte d'avantages fiscaux;
  • mettre en place des mesures favorisant l'émergence de gestionnaires voués aux produits structurés inscrits en bourse.

La possibilité pour les PME de s'inscrire à la cote d'une bourse est une composante importante d'une économie en santé. Il suffit de voir la réaction des entrepreneurs, professionnels et du gouvernement américain lorsqu'ils ont réalisé que les mises en bourse de leurs PME étaient en panne. Pour y remédier, on s'est empressé de mettre en place plusieurs mesures de stimulation économique, dont le Jumpstart our Business Startups Act (Jobs Act) des États Unis.

Souhaitons que le Québec prenne la même direction en ajoutant à son coffre à outils de création de richesse un cadre propice à l'inscription en bourse d'un nombre plus grand de ses sociétés grâce à une meilleure convergence des différents incitatifs et politiques.


1 Groupe TMX, décembre 2013.

2 Pandes, J. A., Robinson, M. J., « Is Effective Junior Equity Market Regulation Possible? » (2014) 70:4 Financial Analysts Journal, 42-54.

3 Celikyurt, U., Sevilir, M., & Shivdasani, A., « How an IPO Helps in M&A » (2010) 22:2 Journal of Applied Corporate Finance, 94-99.

4 B.C. Tingle, J.A. Pandes et M.J. Robinson, The IPO Market in Canada : what a comparison with the United-States. Tells US about a global problem, Canadian Business Law Journal, Vol. 54, 2013, p. 321 et ss.

5 PWC & FMC (maintenant Dentons), « Pour une démocratisation du financement de nos entreprises » (2011).

6 Ménard, J., « A Perspective on the Canadian IPO Marketplace » (petit déjeuner du Réseau Capital, 29 avril 2010).

7 Carpentier, C., Suret, J.-M., « The Canadian Public Venture Capital Market » (Autorité des marchés financiers du Québec, 21 janvier 2009), Pandes, J. A., Robinson, M. J., « Is Effective Junior Equity Market Regulation Possible? » (2014) 70:4 Financial Analysts Journal, 42-54.

8 Ragan, C., « What Now? Addressing the Burden of Canada's Slow-Growth Recovery » (2014) 413 C. D. Howe Institute Commentary.

9 Carpentier, C., Suret, J.-M., « Connaissance financière et rationalité des investisseurs : une étude canadienne » (Autorité des marchés financiers du Québec, 1er septembre 2011).

The foregoing provides only an overview and does not constitute legal advice. Readers are cautioned against making any decisions based on this material alone. Rather, specific legal advice should be obtained.

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