Dans une décision rendue le 25 juillet 20141, la Cour suprême casse la décision rendue par la Cour d'appel du Québec et rétablit le courant jusque-là majoritaire : l'employeur, qui demande à l'employé l'ayant avisé de sa démission dans un délai déterminé de cesser de fournir sa prestation de travail immédiatement et qui cesse alors de le rémunérer, rompt immédiatement le contrat de travail et doit donc payer à ce dernier une indemnité tenant lieu d'avis de cessation d'emploi et de délai-congé raisonnable.

Les faits

L'employeur, Asphalte Desjardins Inc., Suvre dans le domaine du pavage de routes dans la région des Basses-Laurentides. Daniel Guay, employé de ce dernier depuis 1994, lui remet une lettre de démission le 15 février 2008, alors qu'il occupe le poste de directeur de projets, dans laquelle il annonce sa démission effective à compter du 7 mars 2008. Le délai entre la remise de la lettre et la date de son départ, soit trois semaines, devait permettre au salarié de terminer les dossiers sur lesquels il travaillait et ainsi faciliter le travail de son successeur.

Considérant notamment le fait que M. Guay allait travailler pour un compétiteur, l'employeur décide de mettre fin au contrat de travail le 19 février 2008, plutôt que d'attendre au 7 mars 2008.

Les décisions des instances inférieures

Accueillant le recours intenté par la Commission des normes du travail (CNT) en vertu des articles 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail (LNT), la Cour du Québec ordonne à l'employeur de payer une indemnité correspondant à la période comprise entre le moment de l'annonce de la démission du salarié et sa prise d'effet ainsi qu'une indemnité correspondant aux congés annuels.

Sous la plume de l'honorable juge Marie-France Bich, la Cour d'appel, dans une décision rendue à deux contre un, accueille le pourvoi interjeté par l'employeur et conclut que celui-ci peut renoncer au préavis de démission donné par un travailleur. Ainsi, l'employeur n'a pas à donner à son tour à son employé démissionnaire de préavis raisonnable ou d'avis de cessation d'emploi ou l'indemnité en tenant lieu. En concluant de la sorte, la Cour d'appel du Québec renverse un courant majoritaire au sein de la Cour du Québec voulant que l'employeur ne peut renoncer au préavis donné par l'employé démissionnaire sans entraîner l'application des articles 82 et 83 de la LNT2.

Le verdict final : la décision de la Cour suprême du canada

Tenant compte des dispositions pertinentes du Code civil du Québec et de la LNT en matière de cessation d'emploi, la Cour suprême précise dans un premier temps qu'il y a lieu d'interpréter les dispositions de ces deux lois de manière concordante. Dans un deuxième temps, rappelant l'objectif de protection des salariés, partie généralement vulnérable au contrat d'emploi, la Cour réitère qu'il y a lieu d'interpréter les articles 82 et 83 de la LNT de manière large et libérale.

Forte de ces principes, la Cour suprême conclut que le préavis de fin d'emploi, que celui-ci soit donné en vertu de l'article 2091 du Code civil du Québec ou encore en vertu de l'article 82 de la LNT, ne met pas un terme immédiatement au contrat d'emploi, ce dernier se terminant plutôt de manière définitive à l'expiration de la période de préavis donnée par l'une ou l'autre des parties.

Dans ce contexte, lorsque l'employeur empêche l'employé démissionnaire de travailler pendant la période de préavis donné par ce dernier et qu'il cesse de le rémunérer, il résilie unilatéralement le contrat de travail et doit, en ce cas, respecter les obligations prévues au Code civil du Québec et à la LNT, à savoir payer l'indemnité tenant lieu d'avis de cessation d'emploi et de préavis de délai-congé raisonnable.

Contrairement au raisonnement retenu par la majorité des juges de la Cour d'appel, la Cour suprême conclut que le préavis de délai-congé prévu par le Code civil du Québec n'est pas au seul bénéfice de celui qui le reçoit mais plutôt au bénéfice des deux parties, qui profitent alors d'une certaine période de transition. Dans ce contexte, il est donc faux d'affirmer que celui qui le reçoit peut y renoncer unilatéralement, sans avoir lui-même à donner un préavis.

La Cour souligne cependant qu'une distinction doit être établie entre l'employé qui avise de son départ à une date future et l'employé qui démissionne sur-le-champ tout en offrant à l'employeur de demeurer en poste quelque temps. En ce cas, puisqu'il y a fin d'emploi immédiate, l'employeur peut accepter le départ immédiat sans devoir payer l'indemnité tenant lieu d'avis de cessation d'emploi prévue à la LNT non plus que celle prévue au Code civil du Québec.

Conclusions

Par cette décision, la Cour suprême met un terme à la controverse soulevée par la décision rendue par la Cour d'appel du Québec dans cette même affaire. L'employeur qui, pour des raisons qui lui sont propres, préfère se priver de la prestation de travail de l'employé pendant la durée du préavis de démission que lui a donné celui-ci a en réalité deux choix, lesquels seront tributaires de la durée de l'avis donné par l'employé :

  • continuer à payer le salarié pendant le préavis de démission tout en renonçant à sa prestation de travail ou, si le préavis donné par l'employé est trop long;
  • rompre lui-même la relation d'emploi en donnant un préavis ou une indemnité en tenant lieu, laquelle devra respecter, en principe, les dispositions de la LNT et du Code civil du Québec.  

Ainsi la Cour suprême écrit :

Bien sûr, on ne peut « imposer » à l'employeur le délai de congé décidé unilatéralement par le salarié. Un employeur peut refuser qu'un salarié se présente sur les lieux de travail pour la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans la mesure où le délai congé fourni par le salarié est raisonnable. L'employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à l'art. 2091 C.c.Q. et en vertu des art. 82 et 83 de la Loi sur les normes du travail [...].

Il est toutefois important de souligner que, dans cette affaire, le CNT n'avait réclamé que le salaire correspondant au reliquat de l'avis de trois (3) semaines donné par l'employé et non pas la valeur de l'avis que l'employeur aurait dû lui donner afin de mettre un terme au contrat de travail, à savoir quatre (4) semaines. Considérant l'absence de représentations à cet égard par les parties, la Cour suprême a donc refusé de se prononcer sur le caractère d'ordre public de protection ou de direction de l'avis de cessation d'emploi prévu à la LNT, soit une question remise de l'avant depuis la décision rendue dans l'affaire Commission des normes du travail c 7050020 Canada inc.3.

Or, dans la mesure où le préavis de démission donné par l'employé est moindre que celui auquel il aurait droit en vertu de la LNT, l'employeur souhaitera simplement payer le reliquat de cette période. Mais qu'en sera-t-il lorsque le préavis de démission sera supérieur à ce qui est prévu à la LNT? À notre avis, le décideur devra nécessairement considérer le préavis de démission afin d'évaluer le caractère raisonnable du préavis de fin d'emploi ou de l'indemnité en tenant lieu donné par la suite.

Il sera des plus intéressants de suivre l'application que feront les tribunaux des enseignements de la Cour suprême dans cette affaire.

Footnotes

1 Québec (Commission des normes du travail) c Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51.

2 Voir certaines décisions de la Cour du Québec : Commission des normes du travail c 9063-1003 Québec inc., 2009 QCCQ 2969 (CanLII); Commission des normes du travail c S2I inc., [2005] RJDT 200 (CQ); Commission des normes du travail c Compogest inc., 2003 CanLII 39374 (CQ)).

3 2013 QCCQ 10004.

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