Le 12 décembre 2023, l'Environmental Appeal Board (l'« EAB ») de la Colombie-Britannique a rendu sa décision dans l'affaire Tŝilhqot'in National Government v. Director, Environmental Management Act2023 BCEAB 37 (en anglais). Cette décision découle d'une modification apportée au permis de Gibraltar Mines Ltd en 2019 (la « modification »), laquelle autorisait une augmentation temporaire du volume des rejets d'effluents.

Le gouvernement national des Tŝilhqot'in (le « TNG ») a interjeté appel de la modification en soulevant deux motifs :

  • La Couronne a manqué à son obligation constitutionnelle de consulter adéquatement et raisonnablement la Nation Tŝilhqot'in avant de délivrer le permis modifié;
  • Le permis modifié ne protégeait pas la santé humaine et l'environnement de manière adéquate, comme l'exige le paragraphe 16(1) de la loi britanno-colombienne sur la gestion de l'environnement, l'Environmental Management Act.

L'EAB a rejeté l'appel quant aux deux motifs. L'EAB a conclu que : a) la Couronne s'était acquittée de son obligation de consultation et qu'elle n'était pas tenue de pousser plus loin son enquête ni de tenir d'autres consultations relativement au principe de non-dégradation qui a été soulevé à une étape tardive du processus de consultation; et b) la modification protégeait adéquatement l'environnement considérant que les facteurs pertinents ont été pris en compte. 

Contexte

La modification se rapporte à un permis pour une mine de cuivre et de molybdène exploitée par Gibraltar Mines Ltd (« Gibraltar »). Gibraltar a demandé une modification de son permis de manière à pouvoir augmenter le volume des effluents miniers qu'elle rejette dans le fleuve Fraser (également connu sous le nom de ʔElhdaqox) à partir de son installation de stockage des résidus. Les niveaux d'eau dans l'installation de stockage des résidus de la mine avaient augmenté, et des efforts continus avaient été déployés pour s'assurer que le volume d'eau ne posait aucun risque important de déversement non contrôlé dans le fleuve Fraser. 

Le 18 mars 2019, le directeur (de la gestion des déchets en vertu de l'EAB) a publié la modification visant à augmenter le volume maximal des rejets d'effluents autorisés de cinquante pour cent pour une période de trois ans. 

Avant d'autoriser la modification, le directeur a consulté le TNG. La consultation a été entreprise sur la base des dispositions de l'accord d'intendance conclu entre le TNG et la Colombie-Britannique. Un mandat détaillé a été négocié entre le TNG et le directeur; ce mandat a fourni une structure officielle permettant d'entreprendre la consultation relative aux droits et titres ancestraux du TNG. 

La décision

Premier motif : Consultation et droit des Autochtones à l'autogouvernance

Le TNG a affirmé que le directeur ne l'avait pas consulté et accommodée de manière adéquate concernant le principe de non-dégradation, qui, selon le TNG, constitue un élément de son droit à l'autodétermination. Le TNG a fait valoir que le principe de non-dégradation exige que toute eau déversée par Gibraltar dans le fleuve Fraser soit d'une qualité équivalente ou supérieure à celle de l'eau trouvée en amont du point de déversement.

L'EAB a conclu que, dès 2017, la Couronne avait mené de vastes consultations auprès du TNG à propos de la modification, mais qu'elle ne l'avait pas consulté directement et qu'elle n'avait pas tenté de prendre de mesures d'adaptation à son égard quant au principe de non-dégradation comme élément des revendications du TNG. Les personnes qui ont consulté le TNG n'ont pas compris que le principe de non-dégradation était présenté par le TNG comme une composante d'un droit autochtone revendiqué, autonome et distinct des préoccupations relatives aux incidences sur l'environnement.

L'EAB a conclu que la raison pour laquelle le directeur n'a pas compris que le principe de non-dégradation était invoqué comme un élément d'un droit ancestral est qu'il n'a été explicitement présenté de cette manière qu'à un moment tardif du processus, soit le 23 janvier 2019. L'EAB indique dans ses motifs :

[225] Il est clair en droit que le directeur était tenu de consulter le TNG au sujet de tout droit ancestral susceptible d'être affecté par la modification de 2019. En outre, il aurait dû adopter une approche souple et ne pas conclure la consultation pour prendre une décision à la hâte. La loi est également claire sur le fait que le TNG était tenu de présenter son droit à la non-dégradation en tant que droit autochtone revendiqué et de présenter des preuves à l'appui, et ce, le plus tôt possible au cours du processus de consultation. [Traduction]

Dans ces circonstances, lorsque ce droit a été clairement énoncé à un stade tardif du processus de consultation, l'EAB a conclu que le directeur n'était pas tenu de pousser plus loin son enquête ni de tenir d'autres consultations auprès du TNG quant au principe de non-dégradation en tant qu'élément de droits ancestraux. Le directeur a agi raisonnablement et légalement en mettant fin au processus de consultation et en rendant une décision.

Après avoir fait cette constatation, l'EAB a noté que principe de non-dégradation mis en avant par le TNG aboutirait à deux choix pour les décideurs : 

  • tenir compte du principe en rejetant les demandes pouvant avoir un impact sur l'environnement;
  • ne pas tenir compte du principe et autoriser des demandes dont l'impact sur l'environnement est acceptable, mais pas inexistant.

L'EAB a donc conclu que, dans ces circonstances, toute application du principe de non-dégradation aurait laissé au directeur une seule possibilité : refuser la demande de modification. Au paragraphe 234, l'EAB a souligné le fait que la jurisprudence au Canada ne prévoit [traduction] « aucun droit de véto pour les groupes autochtones sur les décisions du gouvernement, à moins que leurs droits ancestraux soient démontrés ». 

Second motif : Protection de l'environnement

Le second motif soulevé en appel était celui de savoir si la décision du directeur de permettre la modification protégeait adéquatement la santé humaine et l'environnement. 

L'EAB s'est penché sur un nombre important de témoignages d'experts présentés par le TNG et par le directeur. Finalement, l'EAB a conclu que le directeur avait correctement déterminé que la modification protégeait adéquatement l'environnement et la santé humaine. En arrivant à cette conclusion, l'EAB a fait remarquer que le régime applicable aux demandes de permis de rejet de déchets (ou aux demandes de modification de ces permis) ne prévoit pas de principe de « tolérance zéro » à l'égard de la contamination de l'environnement.

L'EAB a convenu qu'il était approprié que le directeur tienne compte du contexte dans lequel il prenait sa décision, notamment en ce qui concernait le risque potentiel de défaillance de l'installation de stockage des résidus, concluant ce qui suit :

[446] [...] La modification de 2019 doit donc être examinée sous cet angle. Le risque pour le milieu récepteur qui subira l'augmentation des rejets d'effluents doit être considéré par rapport à un risque potentiel de rupture de la digue de [l'installation de stockage des résidus]. La preuve présentée en l'espèce a démontré que l'augmentation des rejets d'effluents découlant de la modification de 2019 respecte l'environnement. Comme cette augmentation des rejets n'a pas d'incidence négative sur l'environnement et qu'elle permet de contrer les risques environnementaux associés à l'augmentation du bassin hydrographique à la mine, l'ensemble des facteurs pondérés appuie clairement la conclusion selon laquelle la modification de 2019 était appropriée dans le contexte où elle a été faite. [Traduction]

Implications

La présente décision de l'EAB présente deux points à retenir :

  1. La consultation est une voie à double sens, c'est-à-dire qu'elle impose des obligations : a) à la Couronne, qui doit faire preuve de souplesse et ne pas rendre une décision hâtive; et b) aux groupes autochtones, qui doivent fournir des renseignements sur les droits et titres revendiqués en temps utile au cours du processus de consultation. L'EAB a clairement indiqué que le niveau de consultation auquel on peut s'attendre dans le cas d'un droit ancestral est influencé par le moment où la Couronne prend connaissance de ce droit. Dans la présente affaire, l'EAB a estimé que le principe de non-dégradation avait été formulé, et donc compris, comme droit ancestral à un stade tardif du processus de consultation. Ce délai a eu une incidence sur le niveau de consultation auquel le TNG pouvait s'attendre sur cette question. La décision de l'EAB est conforme au droit canadien actuel en matière de consultation. Il reste à voir les effets qu'aura la législation sur le droit des consultations, notamment la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ainsi que la loi britanno-colombienne relative à cette dernière, la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act.
  2. La délivrance de permis ne s'effectue pas en vase clos. Le contexte entourant le processus de délivrance des permis détermine nécessairement si une décision donnée assure la protection de l'environnement et devrait être rendue. Dans la présente affaire, ce contexte comprenait la prévention d'autres risques, notamment la possibilité d'une défaillance de l'installation de stockage des résidus.

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