Newsletter du 16 au 20 septembre 2024 | n° 90

MB
Monfrini Bitton Klein

Contributor

Based in Geneva, but borderless in its reach, Monfrini Bitton Klein is a litigation-only Swiss law firm, internationally recognised for asset recovery, business crime and cross-border litigation. We are representatives for Switzerland of ICC-FraudNet, the leading global network of fraud and asset recovery lawyers.
Conséquences sur le délai pour former opposition à une ordonnance pénale de la désignation d'une autorité de poursuite pénale comme domicile...
Switzerland Criminal Law

I. ProcÉdure pÉnale

TF 6B_171/2024

Conséquences sur le délai pour former opposition à une ordonnance pénale de la désignation d'une autorité de poursuite pénale comme domicile de notification par le biais d'un formulaire de police [p. 2] 

TF 7B_235/2024

Absence d'effet rétroactif de la nomination d'office et conséquences sur le droit à l'indemnité [p. 4] 

II.Droit pÉnal Économique

-

III. Droit international privÉ

-

IV. Droit de la poursuite et de la faillite

TF 4A_151/2024*

Refus d'accorder la mainlevée
définitive sur la base d'un contrat de contribution d'entretien dont la durée est indéterminée [p. 5] 

V. entraide internationale

TF 7B_69/2022

Indemnisation en cas de délégation de la poursuite pénale aux autorités
françaises [p. 7] 

Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_171/2024 du 4 septembre 2024 | Conséquences sur le délai pour former opposition à une
ordonnance pénale de la désignation d'une autorité de poursuite pénale comme domicile de notification par le biais d'un
formulaire de police (art. 87 CPP, art. 335 CPP)

  • (« Recourant»), alors domicilié au Kosovo, a été entendu par la police le 15 juillet 2020 en qualité de prévenu et a, au moyen d'un formulaire remis par la police, signé une déclaration par laquelle il indiquait faire une élection de domicile à l'adresse du Ministère public jurassien. Le 15 octobre 2020, le Ministère public de la République et canton du Jura (« Ministère public ») a déclaré le Recourant coupable d'infractions à la LEI par ordonnance pénale. Celle-ci a été envoyée par courrier recommandé à l'adresse de domicile au Kosovo.
  • Le 29 septembre 2022, le mandataire du Recourant a, par son secrétariat, consulté et levé une copie du dossier du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois relatif à son client. Par courrier du 13 octobre 2022, le Recourant a, par son mandataire, formé opposition à l'ordonnance du 15 octobre 2020, en indiquant ne l'avoir jamais reçue. Le 14 octobre 2022, le Ministère public a fait parvenir au mandataire une copie de l'ordonnance pénale du 15 octobre 2020. Le 17 octobre 2022, le mandataire a confirmé et motivé l'opposition à l'ordonnance pénale.
  • Par ordonnance du 27 novembre 2023, la Juge pénale du Tribunal de première instance jurassien a déclaré irrecevable l'opposition formée par le Recourant pour cause de tardivité, constatant que l'ordonnance pénale était entrée en force.
  • Par décision du 23 janvier 2024, la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura a confirmé l'ordonnance de première instance.
  • Sur recours, le Tribunal fédéral a (i) examiné la validité de l'élection de domicile et (ii) les conséquences de la notification irrégulière de l'ordonnance pénale.
  • (i) Le Recourant a contesté la validité de la notification de l'ordonnance pénale au siège de l'autorité pénale. Il a fait valoir la violation de ses droits fondamentaux, en invoquant en particulier n'avoir pas été informé de sa condamnation à une peine privative de liberté (art. 6 CEDH, art. 29 Cst.), n'avoir pas été informé en temps utile de ses droits d'opposition (art. 31 Cst.), avoir été privé du droit de soumettre son cas à une autorité judiciaire (art. 29a et 30 Cst.) et s'être vu refuser le droit de former un recours contre sa condamnation (art. 13 CEDH et 32 Cst.) (consid. 1).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que l'ordonnance pénale doit être immédiatement notifiée par écrit, au domicile (notamment) des personnes qui ont qualité pour faire opposition (art. 353 al. 3 CPP et art. 87 al. 1 CPP). Les parties et leur conseil qui ont leur domicile à l'étranger sont tenus de désigner un domicile de notification en Suisse (art. 87 al. 2 CPP). En outre, le prévenu peut former opposition contre l'ordonnance dans les 10 jours suivant le jour de la notification (art. 354 al. 1 let. a CPP et art. 90 al. 1 CPP) (consid. 1.1 ss).
  • Une renonciation aux garanties de procédure judiciaire est possible mais uniquement si le prévenu, est dûment informé (consid. 1.4.3).
  • Toutefois, notre Haute Cour a rappelé que la pratique cantonale qui consiste, pour le prévenu domicilié l'étranger, à désigner le Ministère public comme domicile de notification par le biais d'un formulaire de police, n'est pas constitutive d'une renonciation admissible à faire opposition, puisque l'intéressé ne peut de facto pas prendre connaissance de l'ordonnance pénale (consid. 1.5).
  • In casu, le Recourant avait élu domicile auprès du Ministère public jurassien au moyen d'un formulaire de police remis lors de son audition. Celui-ci indiquait que « la personne est rendue expressément attentive au fait qu'elle doit se renseigner auprès du Ministère public», et qu'« un éventuel délai commence à courir dès la notification/signification de l'acte auprès de la personne ou autorité désignée par elle » (consid. 1.6).
  • Notre Haute Cour a considéré que la prise de contact que supposait l'élection de domicile auprès du Ministère public jurassien aurait requis du Recourant des efforts démesurés pour être en mesure de prendre connaissance de l'ordonnance pénale rendue, de se positionner sur celle-ci, et de former, le cas échéant, opposition dans le bref délai de dix jours prévus par la loi. Notre Haute Cour a ajouté que dans les faits, une telle élection de domicile devait être assimilée à une renonciation par le Recourant à former opposition, créant une « fiction de notification» auprès du Ministère public. Or, une telle « fiction de notification » a précisément été jugée inadmissible par la jurisprudence (consid. 1.8).
  • Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré que l'élection de domicile intervenue dans le cas d'espèce n'était pas conforme au droit fédéral et international
    (consid. 1.9).
  • (ii) Les juges de Mon-Repos ont ensuite examiné les conséquences de la notification irrégulière de l'ordonnance pénale (consid. 2).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que la notification irrégulière d'une décision avait généralement pour seule conséquence qu'elle ne devait entraîner aucun préjudice pour son destinataire (art. 49 LTF). Le délai d'opposition pour attaquer une ordonnance notifiée irrégulièrement court par conséquent dès le jour où son destinataire a pu en prendre connaissance, dans son dispositif et ses motifs (consid. 2.1).
  • In casu, notre Haute Cour a considéré que la réception de la copie de l'ordonnance pénale par courrier du Ministère public daté du 14 octobre 2022 était déterminante pour l'examen du respect du délai d'opposition. Elle a ajouté que la lecture d'une inscription figurant au casier judiciaire n'était pas suffisante à cet égard. Ainsi, elle a conclu qu'aucun retard ne pouvait être reproché au Recourant, car le mandataire avait, par courrier du 17 octobre 2022, confirmé l'opposition à l'ordonnance pénale formée le 13 octobre 2022 (consid. 2.4).
  • Partant, le recours a été admis.

TF 7B_235/2024 du 23 août 2024 | Absence d'effet rétroactif de la nomination d'office et conséquences sur le droit à l'indemnité (art. 429 al. 1 let. a CPP)

  • Le 22 juin 2021, le Ministère public genevois (« Ministère public») a informé A. (« Recourante ») qu'une instruction avait été ouverte contre elle, notamment pour l'hébergement de tiers recherchés par la police et la mise à leur disposition de son véhicule qui n'avait pas d'assurance RC.
  • Le 1er août 2021, le Ministère public a tenu une audience à laquelle la Recourante a assisté, accompagnée de Me D. qui excusait Me J.
  • Par ordonnance du 30 septembre 2021, le Ministère public a ordonné la défense d'office de la Recourante par Me J.
  • Le 23 décembre 2022, le Ministère public a avisé les parties qu'il comptait rendre une ordonnance pénale contre la Recourante et a invité son conseil à fournir son état des frais. Ce dernier a transmis le détail de l'activité déployée depuis le 16 juillet 2021.
  • Le 29 août 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il prononcerait un classement pour les faits reprochés à la Recourante. Il a invité cette dernière à chiffrer ses prétentions en indemnisation en précisant que « les avocats plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire» devaient produire leur état de frais.
  • Me J. a sollicité une indemnité sur la base de l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour la période allant du 16 juillet au 29 septembre 2021 et une indemnité en qualité de défenseur d'office dès le 30 septembre 2021.
  • Par ordonnance de classement du 25 octobre 2023, le Ministère public a fixé l'indemnisation due à Me J. en qualité de défenseur d'office à partir du 16 juillet 2021. Aucune indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP n'a été accordée. Cette ordonnance a été confirmée sur recours.
  • La Recourante a interjeté un recours auprès du Tribunal fédéral en contestant le refus de lui octroyer une indemnité en application de l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour la période du 16 juillet au 22 septembre 2021 (consid. 3.1).
  • Au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a le droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. Cette indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix. Le prévenu acquitté qui est au bénéfice de l'assistance judiciaire ne saurait prétendre à une indemnité pour frais de défense (consid. 3.2.1).
  • L'art. 132 CPP prévoit les cas dans lesquels une défense d'office est ordonnée par la direction de la procédure. La désignation a, en principe, un effet rétroactif à la date du dépôt de la demande
    (consid. 3.2.2).
  • In casu, notre Haute Cour a constaté que le Ministère public avait ordonné la défense d'office de la Recourante le 30 septembre 2021. Cette ordonnance n'avait pas été assortie de l'effet rétroactif. Dès lors, la désignation d'un défenseur d'office avec effet rétroactif, pour la période précédant le 23 septembre 2021 (date du dépôt de la requête), n'était pas justifiée (consid. 3.4).
  • Le Tribunal fédéral a retenu que c'était à tort que la cour cantonale avait confirmé l'indemnisation du conseil de la Recourante au tarif de l'assistance judiciaire pour la période du 16 juillet au 22 septembre 2021, puisqu'à cette période il n'était pas encore nommé défenseur d'office (consid. 3.4).
  • Dès lors, les juges de Mon-Repos ont considéré que l'arrêt attaqué devait être annulé et la cause devait être renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue sur l'éventuel octroi d'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour la période du 16 juillet au 22 septembre 2021 et sur l'indemnisation au tarif de l'assistance judiciaire à partir du 23 septembre 2021 (consid. 3.4).
  • Partant, le recours a été admis.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

-

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

-

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 4A_151/20241 du 22 août 2024 | Refus d'accorder la mainlevée définitive sur la base d'un contrat de contribution d'entretien dont la durée est indéterminée (art. 80 ss LP)

  • Par commandement de payer, B. (« Intimé») a poursuivi son père, A. (« Recourant »), en paiement de contributions d'entretien découlant d'un contrat d'entretien du 28 août 2006 approuvé par la Vormundschaftsbehörde du canton de Glaris, pour un montant de CHF 20'770.-, avec intérêts à 5% dès le 22 mai 2022, pour la période allant d'octobre 2021 à mi-janvier 2023. Le Recourant a formé opposition.
  • Le 26 août 2023, l'Intimé a demandé la mainlevée définitive. Par ordonnance du 27 novembre 2023, le Kantonsgerichtspräsident de Glaris a rejeté cette requête en considérant que l'Intimé était devenu majeur le 3 mai 2019 et avait terminé sa formation en été 2021. Le contrat ne prévoyant pas le versement d'une pension alimentaire au-delà de la fin de la formation (la référence habituelle à l'art. 277 al. 2 CC faisant défaut), le contrat d'entretien ne pouvait donc pas être considéré comme un titre de mainlevée définitive pour les prétentions d'entretien à partir d'octobre 2021 jusqu'à mi-janvier 2023.
  • L'Intimé a recouru auprès de l'Obergericht du canton de Glaris. Ce dernier a admis le recours et il a accordé la mainlevée définitive pour la poursuite de CHF 20'770.-.
  • Le Recourant a formé un recours au Tribunal fédéral.
  • Sur la question de la recevabilité (art. 74 al. 1 let. b LTF), notre Haute Cour a retenu que la valeur litigieuse de CHF 30'000.- n'était pas atteinte. Contrairement à ce qu'a soutenu le Recourant, seul le montant des contributions d'entretien échues dans la procédure de mainlevée étaient pertinentes, et non les contributions futures. Une capitalisation selon l'art. 51 al. 4 LTF était exclue. Le Recourant n'ayant pas réussi à démontrer l'existence d'une question juridique de principe, le recours a été traité comme un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF) (consid. 1.2.3).
  • Le Recourant a notamment argué que l'instance inférieure avait fait une application arbitraire de l'art. 80 LP en outrepassant son pouvoir de cognition en tant que juge de mainlevée et en accordant la mainlevée définitive alors que le titre de mainlevée déposé ne portait pas pour la période couverte par la poursuite (consid. 2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a considéré que le reproche d'arbitraire était justifié, car la décision méconnaissait des principes établis par la jurisprudence, était en contradiction avec la nature de la procédure de mainlevée et était insoutenable dans son résultat (consid. 2.2).
  • En particulier, notre Haute Cour a affirmé que le contrat d'entretien du 28 août 2006, sur lequel se fondait la requête de mainlevée, entre en ligne de compte comme titre de mainlevée définitive (art. 80 al. 2 ch. 2 LP) pour les contributions d'entretien mises en poursuite. Elle a aussi relevé que le contrat d'entretien prévoit que l'obligation d'entretien « dure du 1eroctobre 2006 jusqu'à la majorité de l'enfant. Si un enfant est encore en formation à ce moment-là, l'obligation d'entretien se poursuit à la même hauteur en ce qui concerne cet enfant jusqu'au moment où cette formation peut être achevée normalement ou est terminée de manière anticipée» (consid. 3.2).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé qu'un jugement qui ordonne expressément le paiement d'une pension alimentaire au-delà de la majorité est un titre de mainlevée définitive, s'il fixe le montant des contributions d'entretien dues et en détermine la durée. Il en va de même pour un contrat d'entretien approuvé par les autorités, comme c'était le cas en l'espèce (consid. 3.3).
  • Il a ajouté que conformément à l'art. 81 al. 1 LP, le débiteur qui est face à une créance assortie d'une condition résolutoire, peut contester la réalisation de la condition résolutoire. En outre, il a rappelé qu'est une condition résolutoire une rente d'entretien pour enfant qui devait être versée au-delà de la majorité et jusqu'à la fin de la formation professionnelle. De plus, si l'obligation de prestation du débiteur est soumise à une condition résolutoire selon le titre de mainlevée définitive, la mainlevée doit être en principe accordée. Toutefois, cette dernière doit être refusée si le débiteur prouve la réalisation de la condition résolutoire par des documents (consid. 3.4).
  • In casu, notre Haute Cour a considéré que l'instance inférieure était partie du principe que la durée de l'obligation d'entretien était conditionnée de manière résolutoire par la fin de « sa formation ». Elle avait ainsi interprété plus largement la condition résolutoire du contrat d'entretien en interprétant quelle formation était appropriée pour l'Intimé (consid. 3.6).
  • En agissant de la sorte, le Tribunal fédéral a considéré que l'instance précédente avait méconnu la jurisprudence et était allée au-delà de son pouvoir de cognition. En effet, il ne lui appartenait pas de déterminer quelle formation était appropriée. Ainsi, en accordant la mainlevée définitive malgré l'incertitude quant au maintien de l'obligation d'entretien, l'instance précédente a poussé le Recourant dans le rôle de demandeur et lui a fait supporter le risque de défaillance si, le cas échéant, les contributions d'entretien indûment recouvrées n'étaient pas remboursées (consid. 3.6).
  • Le Tribunal fédéral a ajouté que si, comme en l'espèce, le contenu de la condition résolutoire était indéterminé et ne pouvait pas être délimité avec certitude, la mainlevée devait être refusée (consid. 3.7).
  • De même, notre Haute Cour a affirmé que si une transaction judiciaire servant de titre de mainlevée définitive nécessitait une interprétation, selon l'art. 18 CO, pour déterminer son contenu, la mainlevée définitive devait être refusée (consid. 3.8).
  • Ainsi, les juges de Mon-Repos ont conclu que puisque le contrat entrainait des doutes sur l'obligation du Recourant de s'acquitter de sa dette, la mainlevée définitive devait être refusée (consid. 3.11).
  • Partant, le recours a été admis.

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

TF 7B_69/2022 du 28 août 2024 | Indemnisation en cas de délégation de la poursuite pénale aux autorités françaises (art. 429 CPP, art. 55 EIMP)

  • En 2012, le Ministère public genevois (« Ministère public») a ouvert contre A. (« Recourant ») des procédures pénales relatives à deux brigandages commis à Genève le 25 janvier et 30 mai 2012 au détriment de B. SA, active dans l'horlogerie.
  • Le Recourant, employé comme horloger auprès de B. SA, a été arrêté le 31 mai 2012 et mis en prévention pour brigandage, complicité de brigandage et recel. Il a ensuite été placé en détention provisoire du 3 juin au 11 juillet 2012. Sa libération, intervenue le 12 juillet 2012, a été assortie de diverses mesures de substitution, dont le versement de sûretés à hauteur de CHF 3'000.- et EUR 1'902.- et l'obligation de se présenter à toute convocation du Ministère public.
  • Le 24 octobre 2012, le Recourant a nouvellement été placé en détention provisoire et sa libération, qui est intervenue le 3 juin 2013, a été mise au bénéfice de nouvelles mesures de substitution impliquant notamment la fourniture de sûretés à hauteur de CHF 15'000.- supplémentaires.
  • Dûment convoqué aux audiences du 7 octobre 2014 et 31 mars 2015, le Recourant n'a pas comparu devant le Ministère public. La délivrance d'un sauf-conduit lui a été refusée.
  • À la suite de ces absences, le Ministère public a prononcé, par ordonnance du 29 juillet 2015, la dévolution à l'Etat des sûretés fournies par ce dernier. Aucun recours n'a été formé contre cette ordonnance.
  • Le 13 août 2015, l'Office fédéral de la justice a sollicité les autorités françaises en vue d'une délégation de la poursuite pénale. Par courrier du 30 août 2016, celles-ci ont confirmé qu'une information avait été ouverte contre le Recourant le 7 avril 2016 pour complicité de vol avec arme et recel et que celui-ci avait été placé sous contrôle judiciaire.
  • Par avis de prochaine clôture du 15 septembre 2016, le Ministère public a informé le Recourant de son intention de rendre une ordonnance de classement et lui a imparti un délai au 15 octobre 2016 pour formuler ses prétentions en indemnisation. Son défenseur s'est exécuté dans les délais.
  • Par ordonnance du 23 novembre 2016, le Ministère public a classé la procédure et a laissé les frais à la charge de l'Etat. Aucun recours n'a été interjeté contre cette ordonnance.
  • Par ordonnance du 12 septembre 2019 du juge d'instruction français, le Recourant a bénéficié d'un non-lieu partiel pour le second brigandage, en raison de l'insuffisance des charges. Par jugement du 4 novembre 2020, le Tribunal correctionnel de Strasbourg a acquitté le Recourant du chef d'accusation de recel de bien et de complicité de vol aggravé (premier brigandage).
  • Le 16 novembre 2021, le Recourant a présenté une requête d'indemnisation auprès de l'Office fédéral de la justice, qui l'a transmise au Ministère public genevois le 1er février 2022.
  • Le Recourant a conclu, notamment, au paiement de CHF 52'400.- avec intérêts à 5 % dès le 31 mai 2013 pour tort moral et de CHF 18'000.- ainsi que EUR 1'902.- avec intérêts de 5% dès le 15 août 2014 à titre de dommages-intérêts pour des sûretés non restituées.
  • Par ordonnance du 9 août 2022, le Ministère public a rejeté cette requête dans la mesure de sa recevabilité, a constaté que les sûretés à hauteur de CHF 15'000.- avaient été dévolues à l'Etat et a ordonné la restitution du solde des sûretés au Recourant. Par ailleurs, le Ministère public a considéré que la requête d'indemnisation était tardive et qu'en tout état, elle devait être rejetée dans la mesure où l'intéressé avait contribué à l'ouverture de la procédure pénale et l'avait ensuite compliquée inutilement.
  • Par arrêt du 7 novembre 2022, la Chambre pénale de recours genevoise (« Chambre pénale de recours») a très partiellement admis le recours du Recourant et l'a reformé en libérant le solde des sûretés versées à hauteur de CHF 2'081,70 et EUR 1'902.-.
  • Le Recourant a formé un recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours du 7 novembre 2022.
  • En premier lieu, le Recourant a fait valoir que le fait que les autorités cantonales aient déclaré tardive sa requête en indemnisation du 16 novembre 2021 serait contraire au droit au sens des art. 8 al. 3 et 4 CPP, 429 aCPP, et 15 al. 1 et 88 ss EIMP. Il a soutenu en substance qu'en raison de la délégation de la poursuite pénale à la France, le Ministère public aurait dû s'abstenir de classer la procédure en Suisse (par ordonnance du 23 novembre 2016) ou du moins n'aurait pas dû être en mesure de se prononcer sur le sort de l'indemnité du fait que la procédure française n'était pas encore arrivée à son terme (consid. 3.1).
  • Le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que lorsque les traités internationaux ne règlent pas définitivement certaines questions, le droit interne suisse s'applique. C'est le cas pour les questions en lien avec l'indemnisation (consid. 3.2.1).
  • Les art. 88 ss EIMP règlent la délégation de la poursuite pénale de la Suisse à l'étranger. Au sens de l'art. 55 al. 1 CPP, le Ministère public peut demander à un autre Etat, sur la base de l'art. 88 let. a EIMP, d'assumer la poursuite pénale d'une infraction soumise à la juridiction suisse, si la législation de cet Etat permet la poursuite et la répression judiciaire de l'infraction et si la personne poursuivie s'y trouve et que son extradition vers la Suisse est inopportune ou inadmissible (consid. 3.2.2).
  • Dès l'entrée en force de la décision de délégation, les autorités chargées de la poursuite pénale s'en trouvent dessaisies, au profit des autorités de l'Etat requis. Toute mesure d'instruction est suspendue en Suisse, aussi longtemps que l'Etat requis n'a pas fait savoir que ses autorités se trouvent dans l'impossibilité de mener la procédure à chef (art. 89 al. 1 let. a EIMP) ou que l'autorité de jugement saisie au fond a rendu une décision d'acquittement ou de non-lieu (art. 89 al. 1 let. b cum 5 al. 1 let. a ch. 1 EIMP), qu'elle a renoncé à infliger une sanction ou s'est abstenue provisoirement de la prononcer (art. 89 al. 1 let. b cum art. 5 al. 1 let. a ch. 2 EIMP), voire que la sanction infligée a été exécutée ou ne peut plus l'être (art. 89 al. 1 let. b cum art. 5 al. 1 let. b EIMP). Tout ceci, afin de respecter le principe ne bis in idem (consid. 3.2.2).
  • Aux termes de l'art. 8 al. 3 CPP, si l'infraction est déjà poursuivie par une autorité étrangère ou si la poursuite est confiée à une telle autorité, le Ministère public et les tribunaux peuvent renoncer à la poursuite pénale, à moins que des intérêts prépondérants de la partie plaignante ne s'y opposent.
  • In fine, selon l'art. 429 al. 1 let. c CPP cum 430 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a le droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulière à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté. L'autorité pénale peut réduire ou refuser d'accorder l'indemnité lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci.
  • In casu, notre Haute Cour a retenu que l'ordonnance de classement du 23 novembre 2016 du Ministère public, dans laquelle les frais de procédure étaient laissés à la charge de l'Etat, ne constituait pas une décision en matière d'entraide judiciaire. Le Ministère public avait alors agi en qualité d'autorité compétente au sens de l'art. 8 al. 3 CPP. De ce fait, il n'avait pas violé le droit en classant la procédure (consid. 3.5).
  • Toutefois, notre Haute Cour a retenu que la requête d'indemnisation du 16 novembre 2021 du Recourant reposait sur le résultat (acquittement, respectivement non-lieu) de la procédure déléguée aux autorités françaises. Le Ministère public, qui avait opposé au Recourant le classement de la procédure intervenu le 23 novembre 2016, avait déclaré cette requête comme étant tardive. Or, le Tribunal fédéral a souligné que s'il était vrai que le Recourant devait connaître les conséquences économiques d'une détention préventive effectuée, il ne pouvait pas être attendu de ce dernier qu'il puisse articuler des prétentions en indemnisation sur la base d'un acquittement futur dépendant d'une procédure, au surplus, étrangère (consid. 3.5).
  • Dès lors, opposer au Recourant la tardivité de ses prétentions revenait à exiger de lui qu'il ait formulé des prétentions alors qu'il en ignorait encore le fondement même. Sur la base de ce qui précède, le Tribunal fédéral a donc considéré que les autorités précédentes avaient violé le droit sur ce point (consid. 3.5).
  • Partant, le recours a été partiellement admis.

Footnote

1. Arrêt destiné à publication.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

Mondaq uses cookies on this website. By using our website you agree to our use of cookies as set out in our Privacy Policy.

Learn More