Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

  1. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_339/2022 du 27 octobre 2022 | Effet suspensif et révision 

  • Si le juge peut partir du principe que le pronostic de l'affaire principale n'est pas clairement en faveur du Recourant, ce dernier doit alléguer des raisons personnelles extraordinaires pour que l'effet suspensif soit accordé à une demande de révision, compte tenu du fait que l'art. 387 CPP en relation avec les art. 410 ss CPP ne confère pas d'effet suspensif à celle-ci (consid. 3.3.3). 

TF 1B_178/2022 du 1e novembre 2022 | Principe de proportionnalité en cas de fouille corporelle (art. 250 CPP)

  • Le Tribunal fédéral a jugé disproportionnée la fouille corporelle exécutée par la police sur le Recourant suite à l'arrestation de ce dernier pour flagrant délit de vol de bouteille d'alcool.

  

  • Le Tribunal fédéral a relevé que le Recourant était accompagné de sa fille au moment des faits, qu'il avait, dès son interpellation, fait preuve de calme et de coopération et qu'il avait été arrêté pour le vol de bouteilles l'alcool, objets difficilement dissimulables dans des orifices et autres cavités du corps. Dans ces circonstances, la double palpation qui avait été exécutée suffisait à s'assurer qu'aucune autre infraction n'avait été commise (consid. 2.7). 
  • La fouille corporelle effectuée a donc violé le principe de proportionnalité.  
  1. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_220/20221 du 31 octobre 2022 | Octroi et acceptation d'avantage (art. 322quinquies et 322sexies CP) –
l'hypothèse du candidat à une fonction d'agent public

  • Le Tribunal de police de la République et canton de Genève a condamné quatre prévenus pour acceptation, respectivement octroi, d'un avantage au sens des art. 322quinquies et 322sexies CP, sur la base des faits qui suivent. Seul l'un deux, en l'occurrence C. ci-après, a été condamné pour complicité. 
  • A., ancien Conseiller d'Etat de la République et canton de Genève, avait accepté l'invitation aux Émirats arabes unis (« EAU») du prince héritier d'Abou Dhabi pour assister au Grand Prix de Formule 1. L'intégralité des frais du voyage et du séjour avaient été pris en charge par les autorités émiraties. B., ancien chef de cabinet de A., avait accepté d'être associé et de bénéficier du voyage aux EAU de A. C., directeur de I SA, société du groupe immobilier genevois J, avait servi d'intermédiaire pour l'organisation et la concrétisation du voyage en question.  D., promoteur immobilier à la tête du groupe J, avait sollicité son oncle L., proche de la Couronne émiratie, pour mettre en place ce voyage. 
  • Le Ministère public genevois a également poursuivi les prévenus susmentionnés pour les mêmes infractions mais en lien avec le financement intégral par C. et D. d'un sondage dans le cadre de la campagne électorale de 2018 de A. 
  • À la suite d'une procédure d'appel, la Cour de justice genevoise a acquitté les prévenus des infractions d'octroi et d'acceptation d'un avantage. Le Ministère public genevois a formé recours au Tribunal fédéral.
  • Ce dernier a tout d'abord rappelé les conditions des art. 322quinquies et 322sexies CP : l'auteur doit (1) offrir, promettre ou octroyer, respectivement solliciter, se faire promettre ou accepter, (2) à/d'un agent public suisse, (3) un avantage indu, (4) pour accomplir les devoirs de sa charge
    (consid. 1.3 et 2.4). 
  • Puis, le Tribunal fédéral a également relevé la différence fondamentale entre les infractions d'acceptation/octroi d'un avantage et celles de corruption (art. 322ter ss CP) : les art. 322quinquies et 322sexies CP répriment une forme atténuée de corruption dans laquelle un rapport d'équivalence peut être plus ténu, voire absent, contrairement à ce qui est exigé pour la corruption (consid. 1.2).
  • Concernant l'infraction d'acceptation d'un avantage (art. 322sexies CP) dont sont soupçonnés A. et B., la qualité d'agent public de ces derniers et le caractère indu du voyage à Abou Dhabi sont confirmés par notre Haute Instance (consid. 1.4.1 et 1.5 ss, en particulier 1.5.5).
  • En premier lieu, était cependant litigieuse la question de savoir si A. et B. avaient accepté cet avantage en vue de l'accomplissement des devoirs de leurs charges respectives. Dans ce cadre, le Tribunal fédéral a mentionné les deux hypothèses dans lesquelles les art. 322quinquies et 322sexies CP étaient susceptibles de s'appliquer. Il s'agit premièrement des « paiements de facilitations  » (l'avantage visant à garantir ou accélérer l'obtention d'une prestation à laquelle le corrupteur a déjà droit) et deuxièmement des manSuvres «d'entretien du climat  » (l'avantage ayant pour but de s'attirer la bienveillance d'un agent public et de l'influencer favorablement de manière générale). Il est là important de relever que le comportement de l'agent souhaité par le corrupteur doit être futur ; excluant ainsi l'application des art. 322quinquies et 322sexies CP aux cadeaux offerts a posterioriIn casu, nous nous trouvions dans la seconde hypothèse (consid. 2.1.1).
  • La cour cantonale avait considéré que cette quatrième condition n'était pas remplie, au motif qu'il n'avait pas été possible de déterminer précisément les intentions des autorités d'Abou Dhabi quant à cette invitation, ni leur connaissance de l'identité des personnes conviées et que le Grand Prix constituait un moyen pour les EAU d'acquérir de la visibilité ce qui impliquant forcément la présence de nombreuses célébrités (consid. 2.3.1).

Selon la cour, comme il n'était pas possible d'établir les motivations de la Couronne d'Abou Dhabi, il n'était pas possible de retenir les infractions d'acceptation d'un avantage (consid. 2.3.1)..  

  • Le Tribunal fédéral a critiqué le raisonnement de la Cour de justice genevoise, car cette dernière s'était attachée à la nécessité d'un lien entre l'octroi et l'acceptation, alors que ces deux infractions sont indépendantes l'une de l'autre. En effet, il peut arriver que seul l'agent public ou le tiers soit punissable, sans qu'il soit nécessaire de retenir l'accomplissement des deux infractions (consid. 1.3 et 2.4).
  • De plus, l'intention de l'octroyant n'est pas décisive dans le cadre de l'art. 322sexies CP, bien qu'elle soit importante pour l'infraction d'octroi d'un avantage (consid. 2.4 s.). 
  • Selon notre Haute Cour, cette condition devait être examinée sous l'angle de deux questions : (i) les personnes impliquées dans l'octroi disposaient-elles d'un intérêt à bénéficier à l'avenir de la bienveillance des agents publics ? Et (ii) les agents en cause étaient-ils conscients ou s'étaient-ils accommodés de l'éventualité que l'avantage indu leur avait été remis en leurs qualités pour les orienter de quelque manière dans l'exercice de leurs fonctions officielles ? (consid. 2.4.2). 
  • In casu, il existait un projet de collaboration entre la police genevoise et celle d'Abou Dhabi. Ce projet était toutefois resté au point mort. Aussi, A. a indiqué avoir ressenti un certain malaise quant à cette invitation (consid. 2.5.1, 2.6.2).
  • Enfin, B. faisant partie du cabinet de A., il exerçait une certaine influence sur les décisions de ce dernier (consid. 2.8).  
  • Selon le Tribunal fédéral, ces éléments ont permis de démontrer que A. et B. avaient conscience du caractère indu de l'avantage octroyé, qu'ils savaient que les autorités émiraties avaient un intérêt à ce que les relations soient favorisées et étaient au courant que cet avantage leur avait été remis en lien avec leurs fonctions officielles respectives
    (consid. 2.7 ss). 
  • Pour ces raisons, le Tribunal fédéral a retenu que A. et B. étaient coupables d'acceptation d'un avantage au sens de l'art. 322sexies CP (consid. 2.9).
  • En deuxième lieu, la Cour de justice genevoise avait acquitté C. et D. d'octroi d'un avantage au sens de l'art. 322quinquies CP, car le rôle d'intermédiaire du premier et les manSuvres en vue d'obtenir une invitation via L. du second, ne constituaient pas un octroi d'un avantage (consid. 3.3.1, 3.3.2). 
  • Le Tribunal fédéral a quant à lui estimé que D., bien qu'il ne fût pas en mesure de garantir le succès de la sollicitation de son oncle L., avait toutefois permis de concrétiser le voyage litigieux et s'était ainsi inscrit dans une relation causale et nécessaire effective à l'obtention de l'invitation en cause (consid. 3.4.1). 
  • Quant à C., notre Haute Cour a estimé qu'il avait bel et bien été complice d'octroi d'un avantage, car sa contribution avait permis l'invitation
    (consid. 3.5.1). 
  • Le Tribunal fédéral a ainsi annulé le jugement de l'instance précédente dans la mesure où il acquittait C. et D.  
  • En troisième lieu, s'agissant du financement du sondage de la campagne électorale de A., notre Haute Instance a ici tranché une question importante, soit celle de savoir si l'agent public « candidat» peut être l'objet des infractions en question. Pour une personne susceptible de revêtir le double statut d'agent public et de candidat, il convient de déterminer si l'avantage octroyé, respectivement accepté, doit prioritairement être mis en lien avec l'une ou l'autre de ces positions (consid. 4.3.3).
  • In casu, le financement par C. et D. avait été fourni exclusivement dans le cadre de la candidature de A. Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré que A. revêtait le statut de candidat, et non pas d'agent public, empêchant ainsi l'application des
    322quinquies et 322sexies CP. Il a donc confirmé l'acquittement des quatre prévenus quant à ce chef d'accusation (consid. 4.4 ss). 
  1. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
  1. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE.

TF 5A_324/2022 du 17 octobre 2022 | Procédure de vente aux enchères – vice de forme (art. 45 ORFI) 

  • Pour rappel, selon la lettre de l'art. 45 de l'Ordonnance du Tribunal fédéral sur la réalisation forcée des immeubles (ORFI), il est incontestable que les conditions de la vente aux enchères doivent indiquer, outre le lieu de la vente et la date, l'heure du début de la vente aux enchères. L'indication d'une heure erronée constitue ainsi un vice de forme. Or, selon la jurisprudence de notre Haute Cour, les Recourants doivent dénoncer ce vice au plus tard juste avant le début de la vente aux enchères proprement dite et, de surcroît, demander le report de celle-ci en invoquant le vice dénoncé. A défaut, ils perdent leur droit de recours concernant ledit vice 
    (consid. 3). 

TF 5A_572/2022 du 19 octobre 2022 | beneficium excussionis realis (art. 41 al. 1bis LP) 

  • L'art. 217 de la loi fribourgeoise sur les impôts cantonaux directs, prévoyant la constitution d'une hypothèque légale pour garantir le paiement de l'impôt cantonal sur le gain immobilier, n'exclut pas la faculté pour le débiteur de renvoyer le créancier à faire valoir d'abord son droit de gage lorsqu'il s'agit d'une créance de droit public.  
  • Dès lors, quand bien même le bien grevé de l'hypothèque légale n'appartient plus au débiteur, ce dernier peut exiger, sur la base de l'art. 41 al. 1bis LP, que le créancier se désintéresse d'abord sur l'objet du bien remis en gage. 
  1. ENTRAIDE INTERNATIONALE

TF 1C_574/2022 du 4 novembre 2022 | Irrecevabilité d'un recours en entraide judiciaire en matière pénale vers la France 

  • Le Recourant s'est opposé à la transmission de ses informations bancaires par la Suisse à la France, demandée dans le cadre d'une enquête pour blanchiment d'argent et fraude fiscale.
  • Le Recourant a notamment avancé que la demande d'entraide se fondait sur des données volées qui avaient ensuite été vendues au gouvernement allemand. A cet argument, le Tribunal fédéral a répondu qu'il n'appartenait pas à l'Etat requis de se déterminer sur la validité des preuves recueillies à l'étranger (consid. 1.2). 
  • Le Recourant a également indiqué qu'une procédure pénale était en cours en France suite à une plainte de sa part contre les auteurs de la demande d'entraide, pour recel, faux et abus d'autorité. Pour cette raison, la bonne foi de l'autorité requérante devait être remise en cause. Notre Haute Cour a également rejeté ce grief au motif que la bonne foi de la France devait être présumée (partie à la CEDH et présomption de respect des garanties qui en découlent) et que les autorités françaises avaient fait preuve de transparence quant à l'obtention des données (consid. 1.3). 
  • Par conséquent, faute de cas particulièrement grave (art. 84 al. 1 LTF), le recours a été déclaré irrecevable. 

Footnote

1 Destiné à publication

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.