_L'Accord de Commerce et de Coopération1 (l'Accord) conclu entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne (UE) est entré en vigueur le 1er mai 2020. Cet Accord, on se souvient, est applicable au commerce de marchandises et à certains services tels que la propriété intellectuelle, les transports, la pêche ou l'énergie, mais il reste très laconique sur les services financiers.

> Protocole décevant d'un point de vue assurantiel

Comme le prévoyait l'Accord, la Commission européenne et le gouvernement britannique sont toutefois parvenus à un protocole d'accord sur les services financiers (le Protocole). Le Protocole qui n'a toutefois pas été formellement approuvé à la date du présent article et dont les détails n'ont toujours pas été publiés, a pour objet de favoriser un dialogue régulier sur la réglementation des services financiers entre les deux parties, y compris l'assurance. Nous sommes bien loin des décisions d'équivalence réglementaires espérées de part et d'autre de la Manche depuis le début de cette année, prolongeant un sentiment de frustration et d'insécurité pour les acteurs concernés, depuis la perte du Passeport Européen pour les entreprises britanniques d'assurances tout comme celles de l'UE, pour les services prestés au Royaume-Uni.

Il se pourrait bien que cet inconfort soit appelé à durer encore un certain temps.

Pour parer à cette éventualité d'une absence d'accord, plusieurs compagnies britanniques ont d'ores et déjà établi des filiales au sein de l'UE, le plus souvent au Grand-Duché de Luxembourg, à Dublin et à Bruxelles. D'autres compagnies ont opté pour la création de sociétés européennes.

L'effet du Brexit au Grand-Duché de Luxembourg a entrainé une augmentation considérable des primes en assurance non-vie. « Cette progression remarquable continue d'être impactée de manière significative par les retombées de l'agrément de compagnies ayant choisi le Luxembourg comme lieu d'installation suite à la décision du Royaume-Uni de quitter l'UE », commente le Commissariat aux Assurances, régulateur luxembourgeois.

Commençons par rappeler les options juridiques disponibles aux entreprises britanniques d'assurances souhaitant conclure de nouvelles affaires au Grand-Duché de Luxembourg depuis le Brexit.

> Assurance au Luxembourg par un assureur britannique post-Brexit

À l'instar de toute entreprise d'assurances d'un pays tiers (hors UE), l'entreprises britannique d'assurance souhaitant exercer des activités d'assurances au Grand-Duché de Luxembourg devra disposer soit d'un agrément du Ministre des finances luxembourgeois (I), soit se trouver dans un des cas d'exemption (II).

1. Agrément

Deux types d'agrément sont accessibles, l'agrément d'une nouvelle société d'assurance de droit luxembourgeois ou l'agrément d'une succursale d'une entreprise de pays tiers.

Entreprise d'assurance de droit luxembourgeois

L'assureur britannique souhaitant opérer au Grand-Duché de Luxembourg depuis le 1er janvier 2021 a la possibilité de constituer une nouvelle société d'assurance agréée au Luxembourg, dans les conditions définies par la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances, telle que modifiée (la Loi sur le Secteur des Assurances), dont l'agrément acquis auprès du Ministre des finances luxembourgeois par l'intermédiaire du Régulateur luxembourgeois, le Commissariat aux Assurances, lui permettra de prester ses services au sein de l'UE dans les mêmes conditions que celles prévalant avant le retrait du Royaume-Uni.

Les conditions d'agrément comportent des exigences en termes de gouvernance, et de solvabilité que nous ne reprendrons pas intégralement dans cet article. Néanmoins, nous avons jugé intéressant de revenir sur certains éléments du dossier d'agrément qui suscitent le plus d'interrogations de la part de nos clients et sur lesquels nous souhaitons dès lors attirer l'attention des candidats à l'agrément.

Spécialité – L'entreprise d'assurances de droit luxembourgeois devra limiter son objet social à l'activité d'assurance et aux opérations qui en découlent directement, à l'exclusion de toute autre activité commerciale. Ce principe de spécialité peut parfois surprendre notamment au regard de l'activité de réassurance. Peut-on considérer que la réassurance, qui n'est guère que l'assurance des risques des compagnies d'assurances, entre dans le champ d'application du principe de spécialité ?

La réponse à cette interrogation est positive dans la limite de la mesure acceptable. Afin que l'assureur luxembourgeois puisse se concentrer sur son cSur de métier orienté vers le consommateur, il devra limiter l'activité de réassurance, dont le régime réglementaire est moins rigoureux que celui de l'assurance directe, à un niveau accessoire. Le caractère accessoire de la réassurance dépendra de plusieurs facteurs qu'il conviendra de définir notamment par rapport au plan d'activité à notifier au Commissariat aux Assurances dans le cadre du dossier d'agrément.

L'exercice de l'activité de réassurance par un assureur direct n'est d'ailleurs pas sans poser des difficultés d'interprétation de la règlementation applicable, et notamment en ce qui concerne l'obligation de confidentialité, applicable aux assureurs mais dont les réassureurs sont exemptés conformément à l'article 300 de la loi sur le secteur des assurances.

Faut-il considérer que pour les activités de réassurance devraient bénéficier de l'exemption ou doit-on privilégier une approche stricte et organique en exigeant que l'assureur se conforme aux dispositions régissant les assureurs, non seulement pour les activités d'assurances mais aussi pour celles de réassurance ? Une interprétation stricte des textes préconiserait cette dernière approche surtout quand on sait que toute violation de l'obligation au secret professionnel est sanctionnée pénalement.

Le principe de spécialité suscite encore des interrogations dans sa mise en Suvre par rapport aux activités de gestion d'actifs ou de dépôt. Rappelons qu'une entreprise d'assurances a pour objet principal de couvrir des risques. Si elle est amenée à gérer des actifs, notamment en matière d'assurance-vie adossée à des fonds d'investissement, il n'en demeure pas moins que cela doit rester une activité accessoire en application du principe de spécialité. C'est ainsi que la plupart des fonds internes d'assurances adossés aux contrats émis par l'entreprise d'assurances bénéficient soit d'une délégation de gestion à un professionnel externe, soit un mandat de conseil lorsque le preneur a la faculté d'exercer un droit de sélection sur les actifs sous-jacents.

La problématique liée au dépôt se retrouve notamment lorsque l'assureur-vie se trouve confronté à une clause bénéficiaire prévoyant le paiement du capital décès plusieurs années après le dénouement du contrat. L'assureur doit-il conserver ces fonds comme le ferait une banque dépositaire jusqu'au paiement du bénéfice parfois plusieurs années après le dénouement ? Différentes options ont été développées par la pratique, y compris le fait que la clause bénéficiaire prévoit le transfert des actifs auprès d'une banque dépositaire, sur un compte bloqué jusqu'à la date de paiement au bénéficiaire.

Dirigeant(s) effectif(s) – L'entreprise d'assurance doit s'attacher les services d'un ou plusieurs dirigeants effectifs, qui feront l'objet d'un agrément en même temps que l'entité d'assurance. Le dirigeant agréé qui doit satisfaire à des conditions de compétence, d'honorabilité et de résidence deviendra l'interlocuteur privilégié du régulateur luxembourgeois concernant les affaires de la société.

Administration centrale – L'entreprise d'assurances doit établir son administration centrale au Luxembourg. Même si la notion d'administration centrale n'est pas définie pour les entreprises d'assurances, cela vise notamment le lieu où sont prises les décisions principales stratégiques. L'entreprise doit adapter ses procédures internes de manière à pouvoir justifier de cette exigence. Il est par ailleurs recommandé que le conseil d'administration possède au moins un membre ayant une expérience significative du secteur luxembourgeois de l'assurance, la réassurance ou le secteur financier de manière plus large.

Option sur l'activité de la réassurance – Les entreprises d'assurances luxembourgeoises ont la faculté de réassurer leurs risques auprès de réassureurs établis dans des pays dont le régime prudentiel est jugé « équivalent » au régime découlant de la Directive Solvabilité II. S'agissant du Royaume-Uni, une telle équivalence reste à établir à ce jour, même si la sortie récente de l'UE laisse présumer une telle équivalence alors même que les autorités britanniques envisageraient un assouplissement du cadre réglementaire issu de la Directive Solvabilité II. Faute d'équivalence, les cessions en réassurances à des entités établies en dehors de l'UE feront l'objet de discussions avec les régulateurs locaux, et notamment un minimum de garanties pourront être exigées sous forme de sûretés localisées dans l'UE dans le but de préserver les intérêts des consommateurs. Enfin, l'entité luxembourgeoise devra assumer la couverture d'un montant minimum de risques en dehors de toute réassurance.

Dépôt des actifs représentatifs des provisions techniques – Les actifs représentant les engagements de l'assureur vis-à-vis de ses créanciers d'assurance font l'objet d'un encadrement strict au Luxembourg qui participe de la protection des preneurs, assurés et bénéficiaire. Cela passe notamment par un choix encadré et un agrément de la banque dépositaire, ainsi qu'une convention de dépôt établi sur un modèle réglementaire.

Succursale d'une entreprise d'assurance d'un pays tiers

Les entités britanniques ont par ailleurs la possibilité d'opter pour l'établissement d'une succursale de pays tiers dont les conditions d'agrément se rapprochent davantage de celles relatives à l'agrément d'une entreprise d'assurance luxembourgeoise que de celles relatives à une succursale d'une entreprise ressortissante de l'UE. Le dossier d'agrément comprendra notamment l'agrément d'un mandataire général selon les modalités définies par la Loi sur le Secteur des Assurances, ou encore l'obligation de disposer, au Grand-Duché de Luxembourg, d'actifs représentant un montant minimum à titre de sûreté, de même qu'un capital de solvabilité et d'un minimum de capital requis conformément à la loi.

Il est important de souligner qu'à la différence de l'agrément d'une société d'assurance luxembourgeois, l'agrément d'une succursale d'entreprise d'assurance de pays tiers ne permet pas l'usage du passeport européen. Une succursale d'entreprise de pays tiers ne présentera dès lors d'intérêt que pour la couverture de risques strictement locaux. Toute possibilité de « passeporter » l'activité dépendra des conditions requises par le pays d'accueil.

2. Exemptions

Deux catégories d'exemptions à l'obligation d'agrément sont prévues par la LSA, d'une part celle relative à la couverture de certains risques par les entreprises de pays tiers ayant adhéré à l'Accord Général sur le Commerce et les Services (GATS), d'autre part lorsque l'assurance est accordée à l'issue d'une sollicitation préalable du preneur.

a) Assurance de risques spécifiques par des assureurs de pays tiers adhérents au GATS

  • Pays tiers ayant adhéré au GATS

Tous les Etats membres de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont également membres du GATS2. Le Royaume-Uni en est membre depuis le 1er janvier 1995 et l'est toujours depuis le Brexit. Ainsi les entreprises d'assurances britanniques sont fondées à se prévaloir de cette exemption.

  • Quels risques ?

Les risques liés au commerce maritime, à l'aviation, au lancement d'engins spatiaux et à leur chargement, y compris les satellites ainsi que l'assurance des marchandises en transit international ne requièrent aucun agrément au Grand-Duché de Luxembourg pour ce qui est des entreprises de pays tiers ayant adhéré au GATS. Il convient de préciser que pour les risques liés au commerce maritime, à l'aviation et au lancement d'engins spatiaux, la couverture des risques exonérés comprend ceux relatifs aux biens transportés, aux véhicules assurant le transport de ces biens et à toute responsabilité en découlant.

b) Couverture d'assurance à l'initiative du preneur

La LSA dispense également d'agrément, les assureurs de pays tiers couvrant des risques au Luxembourg, lorsque le preneur en a pris l'initiative.

Le preneur d'assurance est considéré comme ayant pris l'initiative de la souscription du contrat lorsqu'il a sollicité sa conclusion sans avoir été contacté au préalable ni par l'entreprise d'assurance de pays tiers, ni par toute autre personne, mandatée ou non par l'entreprise d'assurance.

En pratique, cette exception pourra être invoquée dès lors que le preneur fait appel à une couverture extérieure par manque d'offre locale. En revanche, elle ne saurait justifier un modèle de distribution systématique sur le territoire luxembourgeois et devra faire l'objet d'un monitoring rigoureux de la part de l'assureur de pays tiers au risque d'encourir une sanction pour exercice de l'activité d'assurance sans agrément.

_Cet article a été précédemment publié dans AGEFI Luxembourg Juillet/Août 2021.

Footnotes

1. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=uriserv%3AOJ.L_.2021.149.01.0010.01.ENG&toc=OJ%3AL%3A2021%3A149%3ATOC

2. https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org6_f.htm

Originally published 15 July 2021

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