Droit des fondations et réformes en point de mire
Le droit suisse des fondations a été adapté à plusieurs reprises au cours des dernières années. Des réformes importantes ont toutefois échoué. Claudia Blanc Vanek, responsable Fiscalité & Droit chez Expertsuisse, s'est entretenue avec cinq experts en matière de fondations: Thierry Burkart, Nils Güggi, Andrea Opel, Georg von Schnurbein et David W. Wilson.
Thierry Burkart LIC. EN DROIT, AVOCAT, LL. M., CONSEILLER AUX ÉTATS, PRÉSIDENT DU PLR. LES LIBÉRAUX-RADICAUX |
Nils Güggi LIC. IUR., MBA, RESPONSABLE DE L'AUTORITÉ FÉDÉRALE DE SURVEILLANCE DES FONDATIONS (ASF) |
Andrea Opel DR. IUR., PROFESSEURE ORDINAIRE UNIVERSITÉ DE LUCERNE |
Georg von Schnurbein DR. RER. POL., PROFESSEUR DE GESTION DES FONDATIONS ET DIRECTEUR DU CENTRE D'ÉTUDES POUR LA PHILANTHROPIE EN SUISSE, (CEPS), UNIVERSITÉ DE BÂLE |
David W. Wilson AVOCAT, TRUST AND ESTATE PRACTITIONER, MASTER OF COMPARATIVE JURISPRUDENCE (USA), ASSOCIÉ, SCHELLENBERG WITTMER SA |
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La Suisse est-elle attractive pour les fondations qui gèrent des fonds importants? | Oui. La Suisse dispose d'un droit des fondations attractif, qui laisse une grande liberté aux fondateurs, ainsi que d'administrations qui fonctionnent bien, notamment les autorités étatiques de surveillance des fondations. La Suisse jouit par ailleurs d'un système financier efficace reposant sur une longue tradition et d'un conseil juridique professionnel. Enfin, la stabilité et la fiabilité politiques tout comme la vocation internationale de la Suisse sont eux aussi des facteurs de succès. | Oui, la Suisse est depuis longtemps une place vivante et prospère pour les fondations. La place des fondations en Suisse est organiquement liée à la place financière suisse, qui reste forte. Par ailleurs, la Suisse est politiquement stable et dispose d'un environnement économique libéral. En comparaison internationale, la Suisse affiche en outre une faible quote-part de l'État et la corruption y est presque inexistante, son système éducatif est très bon et ses autorités de surveillance bénéficient d'une longue expérience des fondations en tout genre. | La Suisse est l'un des plus importants centres de philanthropie du monde. Notre droit libéral des fondations, une surveillance de l'État qui fonctionne bien et les avantages de notre système juridique fiable rendent notre pays attractif. La nouvelle tendance à la libéralisation dans la pratique des exonérations fiscales y contribue fortement. C'est le cas pour les fondations d'utilité publique. La Suisse est en revanche un lieu d'implantation presque insignifiant pour les fondations de famille. L'interdiction des fondations d'entretien conduit à ce qu'il n'y ait pratiquement plus de création de fondation de famille. | Absolument. D'une part, les fondations sont très libres dans la manière dont elles gèrent leurs ressources, pour autant que l'acte de fondation n'impose pas de restrictions. La fortune de la fondation peut ainsi être gérée en fonction des objectifs de cette dernière. Toutefois, les grandes fondations doivent avoir un règlement de placement précisant les points clés de la stratégie de placement. D'autre part, la place financière offre l'infrastructure et les compétences nécessaires pour investir la fortune de la fondation selon les idées des fondateurs ou du conseil de fondation. | Absolument. Et ce, malgré des coûts élevés de création et des frais annuels de gestion (rapport annuel, comptabilité, révision) par rapport à certaines fondations étrangères. Cela dit, les fondations abritantes suisses (Dachstiftung/umbrella foundation) gagneraient à être connues du public, car elles réduisent les barrières à l'entrée par rapport à une fondation indépendante. Et enfin, le bât blesse toujours en Suisse avec l'interdiction des fondations de famille dites d'entretien – limitation surannée que le groupe d'experts du trust suisse avait envisagé de supprimer. |
Le droit des fondations est régulièrement adapté. Cependant, les grandes réformes échouent régulièrement au Parlement. Quelles sont les conditions nécessaires pour que les fondations suisses deviennent/restent attractives? | Ce n'est pas tout à fait exact. En 2006, la plus grande révision partielle du Code civil depuis son entrée en vigueur a été entreprise. Quelques améliorations ont encore été apportées par la suite. Le droit fiscal des fondations est de loin plus important que le droit des fondations. Dans ce domaine, le canton de Zurich a franchi un cap important en adaptant sa pratique en février 2024. Cette initiative aura également des répercussions sur d'autres cantons. | Il faudrait probablement adapter certaines bases légales. Je ne pense toutefois pas qu'il faille quelque chose de fondamentalement différent. Peut-être faudrait-il lever l'interdiction des fondations de famille, en résolvant les questions fiscales et en réfléchissant à la possibilité de soumettre également les fondations de famille à une surveillance étatique. Cette dernière solution pourrait réduire la méfiance à l'égard des fondations de famille et permettre un meilleur contrôle des risques éventuels. | Moins, c'est parfois plus. Selon moi, il n'est pas nécessaire de multiplier les réglementations. La liberté des fondateurs est le principe directeur suprême auquel les praticiens du droit peuvent se référer. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y a pas lieu d'agir ponctuellement. Récemment, en dernier lieu au début de l'année, divers petits ajustements ont été apportés, qui sont judicieux. Mais la demande la plus urgente est sans doute l'adaptation de l'art. 335 CC pour que les fondations d'entretien soient autorisées. | En comparaison internationale, la transparence des fondations en Suisse demeure faible. La méfiance s'en trouve renforcée et les clichés liés à la culture du secret ravivés. Un registre national des fondations d'utilité publique constituerait ainsi un signal important. Le second écueil concerne la gestion du bénévolat au sein du conseil de fondation. Il existe à ce sujet de très grandes différences entre les cantons, ce qui est source d'insécurité et d'inégalité de traitement. Il faut une réglementation moderne, tenant compte de la responsabilité et de l'évolution du contexte social. | Faire du lobbying pour sensibiliser le public aux bénéfices sociétaux que les fondations apportent. Puis, introduire plus de flexibilité, en particulier en ce qui concerne les changements des statuts. Renforcer les avantages fiscaux pour encourager les dons aux fondations caritatives (comme aux États-Unis) ainsi qu'améliorer la taxation des fondations privées/de famille. En bref, essayer d'en faire des trusts. Et sérieusement, il faudrait enfin un trust suisse pour offrir du choix aux familles et assurer le «développement cohérent» des deux institutions juridiques (dixit le Conseil fédéral). |
Les fondations ne sont pas organisées comme les sociétés anonymes, mais elles ont des obligations similaires à bien des égards. Le projet de loi sur la transparence des personnes morales débattu actuellement au Parlement prévoit notamment des obligations d'identification pour les fondations avec un système en cascade complexe. Que pensezvous de la nouvelle réglementation prévue pour l'identification des personnes exerçant une influence décisive sur la fondation? | Pour les fondations d'utilité publique, cette réglementation est inadaptée. Elles n'ont pas d'ayants droit économiques. Le patrimoine appartient de fait à la fondation elle-même. Le conseil de fondation n'est pas non plus un ayant droit économique. Aussi est-il inapproprié d'inscrire son président dans un registre de transparence. Tous les membres du conseil de fondation doivent déjà être inscrits au registre du commerce. Le registre de transparence n'augmenterait en rien la transparence, mais laisserait à penser que le président du conseil de fondation est l'ayant droit économique. | C'est un compromis visant à répondre aux exigences imposées à la Suisse de la façon la plus acceptable possible. L'objectif premier est d'alléger la pression internationale qui pèse sur la Suisse. La réglementation est sous cet angle prometteuse. D'un point de vue juridique, il est pourtant difficile de communiquer au secteur que les fondations devraient avoir à l'avenir des ayants droit économiques. Pour les juristes, une telle chose ne peut exister par définition – selon le CC, les fondations n'appartiennent à personne. L'idée d'un registre de transparence est elle aussi critiquée, bien que toutes les fondations classiques soient déjà inscrites au registre du commerce. | Cette réglementation est, à mon avis, erronée. Les fondations s'appartiennent à elles-mêmes et ne se laissent pas diriger. C'est pourquoi l'OCDE a même créé – à la suite des interventions de la Suisse ou de SwissFoundations – une disposition exceptionnelle dans le Common Reporting Standard en ce qui concerne l'échange automatique d'informations: les fondations d'utilité publique ou exonérées d'impôts ne peuvent pas être utilisées comme véhicule de fraude fiscale et sont donc à juste titre exemptées des obligations de reporting. | Cet enregistrement n'a guère de sens pour les fondations d'utilité publique. La plupart du temps, faute d'alternative, il incombe en effet au conseil de fondation de s'enregistrer. Or, il n'est ni le propriétaire, ni l'ayant droit économique de la fondation. Bien au contraire, le caractère d'utilité publique l'exclut. De plus, la surveillance des fondations par l'État implique déjà un contrôle beaucoup plus strict que pour d'autres formes juridiques de droit privé. Cette réglementation manque sa cible, les fondations étant en majorité très petites et inintéressantes du point de vue économique. | L'extension réglementaire est justifiée car il eût été incompréhensible que les fondations demeurent hors-champ, alors que les trustees sont désormais soumis à une surveillance prudentielle. Toutefois, une approche proportionnée et fondée sur le risque est nécessaire (p. ex. données chiffrées sur le nombre de fondations suisses qui auraient été utilisées dans un but illicite?). Enfin, en comparaison, le registre américain est absolument non public (aucun intermédiaire financier n'y a accès comme cela est projeté en Suisse) et les Emirats arabes permettent de s'inscrire dans un registre privé moyennant une redevance majorée. |
Les fondations qui poursuivent des objectifs d'utilité publique sont exonérées d'impôt. Le canton de Zurich a récemment assoupli sa pratique à cet égard. Or, dans leurs circulaires, l'AFC et la CSI fixent des conditions plus strictes pour l'exonération fiscale. Ces critères s'appliquent-ils (encore)? | Il convient tout d'abord de préciser que tant la circulaire de l'AFC que les «informations pratiques» de la CSI ne «règlent» rien. Toutes deux ne sont pas des documents juridiquement contraignants. Concernant votre question, oui, les deux documents doivent être révisés. La circulaire de 1994 a maintenant 30 ans et est obsolète sur de nombreux points. Les «informations pratiques» de 2008 ont également 16 ans et étaient déjà discutables lors de leur publication. Elles n'ont d'ailleurs jamais été acceptées par les fondations concernées. | En tant qu'autorité de surveillance, nous souhaitons que les fondations soient organisées de façon professionnelle. Elles doivent avoir une bonne gouvernance, être financièrement saines, les membres du conseil de fondation doivent assumer leurs responsabilités et veiller à ce que la fondation réalise son but statutaire. Aussi n'est-il plus opportun d'attendre du conseil de fondation un sacrifice financier. Un travail professionnel mérite une rémunération correcte. Selon de nombreux cantons (dont celui de Zurich depuis février), cette condition ne s'oppose pas à une exonération fiscale. C'est une bonne chose. | En libéralisant la pratique des exonérations fiscales, le canton de Zurich a posé les bases d'un système de fondations moderne et innovant. Il faut espérer que cela aura un effet domino dans les autres cantons. Il convient de préciser que la nouvelle pratique zurichoise est tout à fait compatible avec les dispositions légales. L'ancienne pratique restrictive reposait uniquement sur les indications pratiques de la CSI, qui ne figurent même pas dans la circulaire de l'AFC. Certes, la circulaire et les indications pratiques ne sont pas des sources du droit, mais elles devraient être révisées d'urgence au regard de la pratique. | Même si la formulation de la circulaire est un peu dépassée, le principe reste actuel. Le problème n'est pas tant la base légale que son application dans la pratique. Le canton de Zurich rend désormais possible des choses qui existent depuis longtemps dans d'autres cantons. Ce qu'il faut, me semblet-il, c'est que les administrations fiscales renoncent à leur vision anachronique des fondations. Elles voient les fondations avant tout comme des véhicules financiers, et non comme des organisations vivantes avec une mission sociale. Ensuite, nous pourrons parler des critères. | Les critères développés par l'AFC et la CSI sont en grande partie encore pertinents car ils couvrent un large éventail d'activités sociales, culturelles, scientifiques, éducatives et humanitaires. Cependant, il est crucial de continuellement les réévaluer pour s'assurer qu'ils reflètent les besoins actuels de la société, comme les nouvelles formes de philanthropie, les start-ups à impact social, le financement participatif ou les partenariats public-privé. En ce sens, le fédéralisme laisse à chaque canton son espace de jeu et la décision zurichoise est un développement à saluer. |
La surveillance des fondations «locales» incombe aux cantons. Ce système est-il approprié? | La tendance est de renoncer à la surveillance par les communes et de regrouper de plus en plus les surveillances cantonales en concordats. Cela permet en principe d'accroître les compétences des autorités de surveillance. Les fondations étroitement liées à une commune peuvent toutefois rester sous la surveillance de cette dernière si la réglementation cantonale le permet. Dans le canton de Zurich, par exemple, le conseil municipal peut décider d'assurer lui-même la surveillance d'une fondation si celle-ci présente un total du bilan inférieur à CHF 5 millions et dispose de moins de cinq postes à plein temps en moyenne annuelle. | Oui, je pense qu'il est approprié et qu'il a fait ses preuves. Les autorités de surveillance cantonales et supracantonales font du très bon travail et l'échange entre les autorités fonctionne de manière impeccable. Mais la surveillance ne devrait pas se faire à un niveau inférieur à celui du canton. Les surveillances au niveau des communes devraient être confiées à la surveillance cantonale. En effet, la masse critique des fondations sous surveillance communale est très faible. Comment garantir une surveillance professionnelle si je n'ai que 2 ou 3 fondations à contrôler par an? L'expérience fait défaut. | Notre système fédéraliste prévoit que la Confédération ne s'approprie pas des tâches qui peuvent également être exécutées au niveau cantonal. Cela implique les avantages et les inconvénients que l'on connaît: une plus grande «proximité» avec les fondations actives au niveau local, mais éventuellement une moins grande familiarité de la matière. La surveillance cantonale a fait jusqu'à présent ses preuves, c'est pourquoi il n'y a, à mon avis, aucun besoin d'adaptation. | Oui, la proximité des autorités de surveillance cantonales avec «leurs» fondations est très importante et utile dans la pratique. Par le passé, plusieurs concordats avaient déjà été créés afin que les différentes autorités soient de taille professionnelle suffisante, tout en restant proches des réalités locales. En revanche, le professionnalisme fait souvent défaut au niveau communal, aussi est-il judicieux que ces fondations soient également placées sous surveillance cantonale. | Oui, car ce système fédéraliste présente des avantages en termes de proximité et de flexibilité, en s'adaptant aux spécificités locales et culturelles de chaque communauté. Néanmoins, pour qu'il reste approprié et efficace, il est crucial de renforcer les compétences dans certains cantons. De plus, il serait judicieux d'introduire des mécanismes d'évaluation continue des autorités cantonales et de feedbacks donnés par les administrés, pour identifier les points forts et les points faibles de la surveillance cantonale et y apporter des améliorations. |
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