Contrefaçon de Marque et de Droits d'auteur en France : Pas d'exception de parodie, Sans plaisanter !

Les titulaires de marque et de droits d'auteur, notamment dans le secteur des médias et du divertissement se réjouiront sans doute de lire que lorsque des tiers non autorisés, communément appelés contrefacteurs présumés, font usage des marques ou droits d'auteur d'un titulaire sur des biens matériels, l'exception de parodie dans des actions en contrefaçon de marque ou de droits d'auteur continue à rencontrer des obstacles importants en France.

Un jugement du 25 février du Tribunal Judiciaire de Paris vient opportunément confirmer l'approche établie des tribunaux français concernant l'exception de parodie dans les actions en contrefaçon de marque ou de droits d'auteur, lorsque le contrefacteur présumé fait usage de la marque ou d'une Suvre protégée par le droit d'auteur sur des biens matériels dans la vie des affaires.1

Bien que le jugement susceptible d'appel, il rappelle opportunément que concernant les biens matériels, l'exception de parodie a beaucoup moins de chances de s'imposer en France qu'aux États-Unis par exemple, où les parodies de marques sur les biens matériels semblent être devenues une véritable industrie artisanale.

L'affaire présente un intérêt pratique pour l'application des règles douanières et pour décider où et si des poursuites doivent être engagées quand la prétendue parodie est utilisée pour des biens matériels commercialisés en Europe.

Le Jugement du Tribunal Judiciaire de Paris du 25 février 2021

Les faits de l'affaire sont d'une simplicité déconcertante.

Une société française a importé de Chine 1000 écussons brodés reproduisant le célèbre logo « Lips n'Tongue », avec un remplissage des lèvres représentant le drapeau breton noir et blanc en trompe-l'Sil. Les douanes françaises ont pratiqué une saisie sur les marchandises, le titulaire de la marque et du droit d'auteur a fait procéder à une saisie-contrefaçon et a engagé une action à l'encontre de l'importateur. Sans surprise le défenseur a invoqué qu'il détournait le sens du logo « Lips n'Tongue » à des fins humoristiques, en associant au logo le drapeau breton et la culture bretonne.

Selon le défendeur, appliquer le drapeau breton sur les lèvres et utiliser cette image pas uniquement sur les patchs litigieux mais également sur d'autres supports, en leur ajoutant un message écrit humoristique (« Garde ton soft rock, ici on veut du beurre salé »), excluait tout risque de confusion de marques et constituait une parodie du logo « Lips n'Tongue » au sens du droit d'auteur.

Le tribunal de Paris a fait peu de cas de ces arguments.

S'agissant de l'exception de parodie en réponse au grief de contrefaçon de marque, il a estimé que "les écussons litigieux ne reproduisent aucun texte, [que] d'un point de vue conceptuel, les signes renvoient pour le consommateur moyen à l'univers du rock véhiculé par le logo de la bouche caractéristique de l'univers des Rolling Stones, la présence du drapeau breton ne pouvant empêcher cette association qui est implicite, [et que] par conséquent, sans qu'il soit établi que les marques de la demanderesse aient été détournées à des fins humoristiques, ce qui est en toute hypothèse indifférent en matière de contrefaçon de marques dès lors que le risque de confusion est caractérisé au regard des éléments pertinents retenus,... il existe un risque de confusion dans l'esprit du public qui sera amené à considérer que le signe litigieux est une déclinaison autorisée des marques de la société destinée à promouvoir des événements musicaux liés à des concerts de rock en Bretagne."

S'agissant de l'exception de parodie en réponse au grief de contrefaçon des droits d'auteur, le tribunal a estimé que les patchs étaient en soi dépourvus d'un quelconque effet parodique, caricatural ou humoristique que ne comporterait pas déjà l'Suvre originale, et que cet effet ne pouvait découler de la seule impression du drapeau breton au niveau des lèvres du logo. Par conséquent, "en les comparant avec le motif figurant sur le patch "Rolling Stones Classic Tongue Patch", il est relevé que ces écussonsle reproduisent quasiment à l'identique, à l'exception relevée de la reproduction du drapeau breton" et portent atteinte au logo iconique « Lips n'Tongue » protégé par le droit d'auteur.

L'argument de la parodie a donc échoué à la fois en vertu de l'exception de parodie du droit d'auteur, qu'en vertu de l'argument de non-contrefaçon de marque fondé sur l'absence de risque de confusion et/ou sur l'argument de parodie ou d'usage loyal.

Avant d'arriver à ce point et de rejeter l'exception de parodie, le tribunal a rejeté les arguments du défendeur selon lesquels (i) l'action en contrefaçon de marque était irrecevable en ce que le demandeur ne justifiait pas du droit de gérer les droits de propriété intellectuelle des Rolling Stones ou qu'il n'avait pas été autorisé par Mick Jagger à procéder au dépôt des marques, le tribunal jugeant que le demandeur était le titulaire des marques, et (ii) l'action en contrefaçon de droits d'auteur devait être rejetée en ce que le demandeur ne se prévalait que de la seconde, mais pas de la première, cession de droits entre le graphiste John Pasche et le demandeur, et en ce que le demandeur ne commercialisait pas les écussons avec la forme des lèvres et de la langue du logo. Conformément à la jurisprudence française, le tribunal a jugé qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, une personne morale est présumée titulaire des droits d'exploitation à l'égard des tiers de l'Suvre protégée par les droits d'auteurs qu'elle commercialise sous son nom de façon non équivoque. En l'espèce, le tribunal a constaté que le demandeur avait commercialisé les écussons brodés à travers des intermédiaires dans de nombreux pays de l'Union européenne.

En guise d'historique

En ce qui concerne l'utilisation de marques ou de droits d'auteur sur des biens matériels dans la vie des affaires, les tribunaux français prennent systématiquement une position qui donnent aux titulaires de droits une certaine prévisibilité dans leurs efforts de mise en Suvre et de contrôle douanier en France.

A première vue, la position des tribunaux français peut sembler en décalage avec la jurisprudence de l'UE sur l'exception de parodie.

La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a jugé que "la notion de parodie doit être considérée comme une notion autonome du droit de l'Union et être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière", et que "la parodie a pour caractéristiques essentielles, d'une part, d'évoquer une oeuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d'autre part, de constituer une manifestation d'humour ou une raillerie."2 La CJUE a spécifiquement rejeté l'ajout de toutes les conditions supplémentaires qui pourraient exister dans les droits nationaux sur le droit d'auteur comme le fait que la parodie devrait présenter un caractère original propre, qu'elle pourrait raisonnablement être attribuée à une personne autre que l'auteur de l'Suvre originale et/ou qu'elle devrait porter sur l'Suvre originale elle-même ou devrait mentionner la source de l'Suvre parodiée.3

Cependant la Cour de Justice de l'Union Européenne a également jugé (i) que l'application dans une situation concrète, de l'exception de parodie, doit respecter un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts et les droits des titulaires des droits, et d'autre part, la liberté d'expression de l'utilisateur d'une Suvre protégée se prévalant de l'exception pour parodie, et (ii) que il appartient aux juridictions nationales des Etats membres d'apprécier, en tenant compte de toutes les circonstances de l'affaire au principal, si l'application de l'exception pour parodie respecte ce juste équilibre.4

Comme l'illustre le jugement du tribunal judiciaire de Paris, en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce, les tribunaux français continuent de rejeter l'exception de parodie, lorsque la prétendue parodie est utilisée dans le commerce sur des biens matériels et identifie leur origine commerciale, tout en autorisant une telle exception dans les actions en contrefaçon de marque où la parodie a été utilisée pour promouvoir les messages de santé public (marques de tabac) ou les critiques environnementales (compagnies pétrolières ou exploitants de centrales nucléaires), ou lorsque qu'elle a été utilisée dans le commerce pour se moquer de la marque parodiée elle-même.

Footnotes

1. Tribunal Judiciaire de Paris, 3ème Chambre, 1ère section, RG 19/08859 

2. Arrêt du 3 Septembre 2014, Deckmyn, C-201/13, EU:C:2014:2132, points 15 et 33 

3. Deckmyn, supra, point 33

4. Deckmyn, supra, points 34 et 35 

Originally Published 25 February, 2021

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