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Dans l'affaire Salna  c. Voltage Pictures, LLC, 2021 FCA 176, la Cour d'appel fédérale a renversé la décision d'un tribunal inférieur de refuser l'autorisation d'un recours collectif « inversé ». Ce terme désigne les recours collectifs où un demandeur cherche à intenter une action contre un représentant défendeur de manière à ce que le résultat lie tous les autres défendeurs dans une situation similaire.

Ce que vous devez savoir

  • L'affaire sous-jacente est une demande en violation du droit d'auteur de Voltage dans cinq films différents. Voltage avait demandé d'autoriser un groupe de défendeurs qui, selon elle, avaient tous téléchargé les mêmes films, avec M. Salna comme représentant défendeur.
  • La Cour fédérale a rejeté la requête en autorisation de Voltage au motif qu'elle ne satisfaisait aucune des conditions d'autorisation. La Cour d'appel a renversé cette décision et a renvoyé le dossier à la Cour fédérale pour que cette dernière détermine si un recours collectif constitue la meilleure procédure et si le défendeur est un représentant convenable.
  • La Cour d'appel a déterminé ce qui suit :

Le différend sous-jacent

Voltage Pictures LLC a présenté une requête en autorisation de sa demande en violation du droit d'auteur comme recours collectif à l'encontre d'un groupe de défendeurs, aussi connu sous le nom de « recours collectif inversé ». Voltage a affirmé que le groupe de défendeurs envisagé violait directement et indirectement son droit d'auteur sur cinq films, en téléchargeant et en téléversant ceux-ci sur des sites utilisant un protocole de partage de fichiers poste à poste tels que BitTorrent. Voltage avait précédemment obtenu une ordonnance de type Norwich obligeant certains fournisseurs de services Internet à divulguer l'identité des contrefacteurs allégués, y compris M. Salna. L'adresse IP de ce dernier avait été sélectionnée parce que son compte avait à un moment donné permis de téléverser tous les cinq films.

La Cour fédérale a rejeté la requête en autorisation de Voltage, car elle a jugé que cette dernière n'avait satisfait à aucun des cinq critères requis pour autoriser un recours collectif énoncés dans les Règles des Cours fédérales. Voltage a fait appel de cette décision.

La décision de la Cour d'appel fédérale

Dans une décision unanime, la Cour d'appel fédérale a retourné la requête en autorisation à la Cour fédérale aux fins de réexamen. Bien que la Cour d'appel eût des preuves suffisantes pour conclure que les actes de procédure révélaient une cause d'action, qu'un groupe identifiable existait et qu'il y avait des points communs, elle a jugé que les autres facteurs relatifs au critère applicable à l'autorisation exigeaient une appréciation des faits supplémentaire.

Le droit applicable

Les cinq conditions qui doivent être satisfaites pour qu'un juge autorise un recours collectif sont énoncées dans la Règle 334.16 des Règles des Cours fédérales. Il s'agit des conditions suivantes :

a) les actes de procédure révèlent une cause d'action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d'au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points communs;

e) il existe un représentant convenable pour le groupe.

Une cause d'action valable

Infirmant la décision du juge de première instance, la Cour d'appel fédérale a jugé que les actes de procédure de Voltage révélaient une cause d'action valable. Dans sa demande introductive d'instance, Voltage avait présenté trois causes d'action distinctes : une violation directe, une violation à une étape ultérieure et l'autorisation d'une violation. En menant son analyse, le juge de première instance avait évalué le bien-fondé de l'allégation de violation directe en se fiant à une preuve d'expert concernant la nature de BitTorrent. La Cour d'appel a conclu qu'il s'agissait d'une erreur et que la Cour fédérale aurait dû uniquement examiner les faits invoqués pour évaluer les causes d'action. Après avoir effectué cet examen, la Cour d'appel a conclu que les allégations de violation directe et d'autorisation d'une violation avaient été invoquées correctement. Cependant, tout comme la Cour fédérale, elle en a jugé autrement de l'allégation de violation à une étape ultérieure.

Un groupe identifiable

La Cour fédérale n'avait pas été satisfaite par la preuve présentée par Voltage pour établir l'existence d'un groupe formé d'au moins deux personnes. La Cour d'appel a conclu que le juge avait alors appliqué la norme de preuve civile, plutôt que la norme relative à l'existence d'un « certain fondement factuel », plus facile à établir.

Voltage avait prétendu avoir en sa possession des milliers d'adresses IP qui auraient violé ses droits d'auteur. Cependant, cette allégation n'avait fait l'objet que d'une note de bas de page dans son mémoire. Tout comme la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une preuve.

Toutefois, la Cour d'appel a néanmoins conclu qu'un certain fondement factuel appuyait l'existence d'un groupe formé d'au moins deux personnes. Il s'agissait d'un affidavit déposé par Voltage et d'un contre-interrogatoire dans lequel le déclarant affirmait que l'adresse IP du défendeur proposé, M. Salna, avait été choisie. Selon la Cour d'appel, cette affirmation suggère qu'au moins deux adresses IP avaient été identifiées, ce qui signifie qu'il y avait au moins deux abonnés à un compte Internet dans le groupe proposé. La Cour d'appel a reconnu que cet argument était loin d'être solide, mais a estimé qu'il satisfaisait à la norme relative à l'existence d'un « certain fondement factuel ».

Points communs

En analysant cette partie du critère applicable à l'autorisation, la Cour fédérale avait cherché à déterminer s'il y avait des réponses communes aux questions communes proposées. Selon la Cour d'appel, cette analyse était incorrecte. Il aurait plutôt fallu se demander si la résolution d'une question proposée serait commune aux membres du groupe proposé. La Cour d'appel a déclaré que la principale question à laquelle il fallait répondre était de savoir si une autorisation permettrait d'atteindre les principaux objectifs d'un recours collectif, soit l'économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l'accès à la justice. La Cour d'appel a jugé que ces objectifs seraient atteints même si on ne réglait qu'une seule des questions. Les préoccupations spéculatives qui avaient été soulevées par M. Salna concernant certains des points communs proposés n'étaient pas persuasives.

Le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points communs

La Cour d'appel a renvoyé l'affaire à la Cour fédérale pour que celle-ci détermine à nouveau ce qui constitue la meilleure procédure. La preuve concernant la taille et la forme du groupe était insuffisante et certaines des conclusions de la Cour fédérale (notamment que la réunion d'actions serait préférable) n'avaient pas été expliquées de façon adéquate. Il était donc impossible pour la Cour d'appel de déterminer si un recours collectif constituait la meilleure procédure.

En analysant ce qui constitue la meilleure procédure, la Cour d'appel a souligné le caractère unique des recours collectifs « inversés ». La Cour fédérale s'était inquiétée du fait que les défendeurs pourraient décider de se retirer du groupe, ce qui réduirait celui-ci à une taille minuscule. Elle avait invoqué cette possibilité pour conclure qu'un recours collectif ne constituait pas la meilleure procédure. La Cour d'appel n'a pas été d'accord avec ce raisonnement. Elle a estimé qu'un recours collectif aurait une incidence favorable sur les défendeurs, en leur permettant de partager les frais de défense et de ne pas se sentir forcés de conclure une entente de règlement. Elle a accepté la possibilité que certains membres puissent se retirer du groupe, mais a conclu que si tous les membres le faisaient, il serait possible d'annuler l'autorisation. Puisque ce n'était pas encore arrivé, il était prématuré de se préoccuper de la taille du groupe.

Un représentant convenable pour le groupe

La Cour d'appel a aussi demandé au tribunal de première instance de déterminer de nouveau si le défendeur est un représentant convenable pour le groupe. Le dossier ne contenait pas de preuves suffisantes et l'analyse fournie par la Cour fédérale pour appuyer ses motifs n'était pas suffisante pour que la Cour puisse déterminer si le critère avait été respecté.

Dans le cadre de la requête d'autorisation, la Cour fédérale avait conclu que le défendeur n'était pas un représentant convenable, car il n'avait pas la motivation nécessaire pour se défendre. En vertu de la Loi sur les droits d'auteur, M. Salna ne s'exposerait qu'à une somme maximale de 5 000 $ en dommages-intérêts. Il aurait donc peu d'intérêt à opposer une défense vigoureuse à l'action.

La Cour d'appel fédérale a rejeté ce raisonnement, car il aurait mené à la conclusion qu'un recours collectif n'aurait jamais de représentant défendeur convenable si les conséquences pécuniaires pour chaque membre du groupe sont faibles. Selon la Cour d'appel, cette conséquence irait à l'encontre de l'objectif des recours collectifs qui est de faire valoir des réclamations non viables individuellement. Le principe de la facilitation de l'accès à la justice s'applique tant aux recours collectifs « normaux » que « inversés ».

Conclusion

Il faudra attendre une autre décision de la Cour fédérale et possiblement un autre procès devant la Cour d'appel pour savoir si cette affaire pourra finalement procéder comme un recours collectif. Par conséquent, nous ne saurons probablement pas tout de suite si un recours collectif inversé constitue une méthode viable d'exercer une demande en violation du droit d'auteur.

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