Le Sedona Conference Working Group a récemment émis quelques recommandations pratiques dans leur  publication « Commentary on Protecting Trade Secrets in Litigation About Them»1. Cet article se veut un bref survol des lignes directrices élaborées par ce groupe que nous recommandons de prendre en compte dans le cadre de vos litiges en cours et à venir.

En somme, dans le cadre de litiges devant les tribunaux, plusieurs raisons peuvent obliger une partie à devoir divulguer des secrets commerciaux à une autre. Des méthodes sont disponibles pour encadrer et limiter la portée d'une telle divulgation, sans lesquels les conséquences pour une entreprise pourraient être significatives.

1. Négocier et présenter au tribunal une ordonnance conservatoire en amont de toute divulgation de secrets commerciaux

L'ordonnance conservatoire est l'entente qui intervient entre les parties en litige relativement à la gestion de la confidentialité pour l'ensemble du dossier. Dans cette entente, qui sera présentée et approuvée par le tribunal, les parties expliquent la classification des documents ainsi que les personnes pouvant avoir accès aux différentes classes de documents. L'ordonnance conservatoire est le pilier central de la protection des secrets commerciaux et elle est généralement le fruit de négociations substantielles entre les avocats des parties en litige, le tout pour s'assurer de couvrir l'ensemble des scénarios touchant la divulgation de renseignements sensibles. Ces négociations visent également à définir avec précision la classification applicable à chaque degré de sensibilité des documents, selon les circonstances de l'affaire (e.g., « Confidentiel » vs « For Lawyers' Eyes Only  »).

La Cour fédérale du Canada peut émettre une ordonnance conservatoire en vertu de son pouvoir général d'émettre toute ordonnance.

  • Il est donc impératif de négocier et d'avoir une ordonnance conservatoire en place avant toute divulgation de secrets commerciaux dans le cadre d'un litige, puisque la clé de l'efficacité d'une telle mesure se trouve dans son timing.2

2. Demander au tribunal l'émission d'une ordonnance de confidentialité avant la production de tout document contenant des secrets commerciaux

Le principe fondamental de la publicité de la justice oblige à ce que l'ensemble des pièces et procédures déposées à un dossier de cour soient rendues accessibles au public. Ce public peut ainsi comprendre des concurrents de l'une ou l'autre des parties impliquées. Ainsi la consultation du dossier de cour par ces concurrents pourrait signifier la fin de l'avantage concurrentiel d'une entreprise. Pour éviter que ça ne se produise, une partie peut demander au tribunal l'émission d'une ordonnance de confidentialité afin de limiter l'accès du public à certains documents du dossier de cour.

Se distinguant de l'ordonnance conservatoire, l'ordonnance de confidentialité est émise, sur demande d'une partie, par la Cour fédérale du Canada en vertu des articles 151 et suivant des Règles des Cours fédérales3. En bref, l'obtention d'une ordonnance de confidentialité permet d'empêcher le public de consulter les documents classés confidentiels dans le dossier de cour. Pour en accorder l'émission, la cour doit être convaincue de la nécessité de conserver le caractère confidentiel des documents ou éléments matériels considérant l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.4

Dans le contexte d'un litige impliquant des secrets commerciaux, une telle ordonnance est très importante pour que les documents sensibles soient mis sous scellés et retirés des dossiers pouvant être consultés par le public. Il est important de sélectionner et identifier en amont les documents tombant sous le couperet de l'ordonnance de confidentialité. Par exemple, plutôt que d'inclure l'ensemble de la preuve à l'ordonnance de confidentialité, un exercice de tri doit préalablement être effectué pour déterminer les documents contenant réellement des renseignements sensibles.

  • Avant que des informations sensibles relativement aux secrets commerciaux soient produites au dossier de la cour, une ordonnance de confidentialité devrait être émise pour éviter que celles-ci soient accessibles au public.5

3. Encadrer l'accès aux secrets commerciaux des représentants de l'autre partie.

Bien que l'ordonnance conservatoire permette de baliser la divulgation des secrets commerciaux à l'autre partie et que l'ordonnance de confidentialité permette de restreindre l'accès du public à certains documents du dossier de cour, le groupe Sedona recommande d'adopter des précautions additionnelles à l'égard de certains agents des autres parties, notamment les avocats, les conseillers juridiques internes, les experts et les employés.

i. Les avocats et conseillers juridiques du contentieux d'une autre partie

Dans la majorité des litiges à propos de secrets commerciaux, les avocats du contentieux d'une partie doivent avoir accès aux secrets commerciaux de l'autre partie pour garantir le droit à une défense pleine et entière. Même avec un serment professionnel strict et une volonté de fer, les biais cognitifs d'un -avocat ayant eu accès aux secrets commerciaux pourraient avoir une influence sur les décisions stratégiques de l'entreprise à qui sont dévoilés des secrets commerciaux.

  • Ainsi, il est recommandé que toute ordonnance conservatoire prévoie impérativement que l'avocat ou le conseiller juridique de l'autre partie qui détient une influence au niveau des décisions stratégiques de l'entreprise ne puisse se voir accorder l'accès aux secrets commerciaux qui seront dévoilés.6

De plus, il n'est pas exclu qu'un avocat, qui au moment du litige est un employé de la partie adverse, et qui aura eu un accès à des secrets commerciaux de l'autre partie, décide de changer d'emploi et d'aller travailler pour un autre employeur, qui pourrait s'avérer être un compétiteur. Comme tiers au litige, le nouvel employeur de cet avocatn'est pas assujetti à l'ordonnance conservatoire en place entre les parties et les parties au litige sont vulnérables aux divulgations involontaires (ou non) de secrets commerciaux en raison de la mobilité de la main d'Suvre.

  • Ainsi, il est recommandé de mettre en place des ententes de confidentialité entre l'entreprise qui divulgue et les avocats de la partie qui auront accès aux secrets commerciaux.7

ii. Les experts de l'autre partie

Dans le cadre d'un litige et plus particulièrement un litige entourant l'appropriation de secrets commerciaux, les experts de la partie adverse vont requérir la divulgation de secrets commerciaux pour assurer une défense pleine et entière. Bien qu'ils portent le titre d'« expert » dans le cadre de ce litige particulier, ils sont généralement des acteurs du même milieu commercial que l'entreprise divulgatrice et sont peut-être liés directement à ses concurrents directs.

  • Ainsi, il est recommandé de mettre en place une entente de confidentialité avec les experts de l'autre partie avant la divulgation de  secrets commerciaux.8

iii. Les employés de l'autre partie

Il existe très peu de circonstances ou la divulgation de secrets commerciaux aux employés d'une autre partie au litige soit requise. Une telle divulgation pourrait être autorisée dans une rare situation où une connaissance très spécifique est requise, qu'aucun expert externe indépendant n'est disponible et que l'employé accepte de se conformer aux termes d'une ordonnance conservatoire.

  • Avant d'autoriser la divulgation de secrets commerciaux aux employés d'une autre partie, assurez-vous qu'une telle divulgation est exceptionnelle et justifiée.9

Conclusion

Le groupe de travail de la conférence Sedona rappelle des principes de bases pour assurer une protection des secrets commerciaux dans le cadre de litiges civils.

Footnotes

1. The Sedona Conference, « Commentary on Protecting Trade Secrets in Litigation About Them», (March 2022).

2. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 10 & Guideline No. 11.

3. Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

4. Id., art. 151(2).

5. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 12.

6. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 1 & Guideline No. 2.

7. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 3.

8. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 4.

9. The Sedona Conference, précité note 1, Guideline No. 5 & Guideline No. 6.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.