L’une des tâches principales des juristes et des services juridiques est de toujours rester au fait des changements dans le droit pour bien les intégrer dans les activités de l’entreprise. Or c’est une tâche qui paraît souvent désorganisée, chronophage et compliquée. Dans ce billet, nous aborderons les pratiques exemplaires pour surveiller l’évolution du droit, évaluer l’effet des changements, établir la manière d’y répondre et veiller à leur intégration dans vos méthodes de travail et celles de vos clients.

Méthodologie applicable au changement dans le droit

L’un des éléments de la gestion du changement, du risque et de la conformité dans l’organisation consiste à repérer les modifications apportées aux obligations juridiques et à veiller à l’actualisation des politiques, pratiques et procédures de l’organisation afin de ne pas se laisser dépasser.  Au cours de la dernière année, nous avons publié de l’information sur notre site Web à propos de quelque 100 nouveautés dans le domaine du droit, qui vont des directives réglementaires et des projets de loi, comme les directives des ACVM sur divers sujets, aux décisions de principe et à la législation importante comme les nouvelles obligations prévues par la LCSA sur la tenue d’un registre des particuliers ayant un contrôle important.  Il est important de se doter d’une méthode applicable aux petites et grandes évolutions du droit.  Le processus que nous avons élaboré au sein du cabinet s’applique aux quatre principales étapes décrites ci-après et nous avons proposé de l’adapter aux services juridiques d’entreprise.

Suivre l’évolution du droit afin de demeurer à l’avant-garde

Ce n’est pas une tâche facile de surveiller les nouveautés dans le domaine du droit et de repérer celles qui comptent. Tout d’abord, le volume d’information est énorme, puisqu’il se compose des modifications législatives et réglementaires, de la nouvelle jurisprudence et de l’actualisation des pratiques recommandées.  En outre, il n’y a pas qu’une seule source d’information, alors il faut cumuler les données provenant d’un grand nombre de sources. Enfin, il faut du savoir-faire humain pour passer au crible les données brutes et repérer les nouveautés qui auront des répercussions sur vous et sur vos clients.

L’approche pluridimensionnelle que nous utilisons chez Stikeman Elliott est probablement similaire à celle utilisée dans bon nombre d’organisations et nécessite de s’abonner au contenu élaboré par des tiers et d’avoir les ressources humaines nécessaires. L’information provient de plusieurs fournisseurs et nous la combinons à nos propres recherches. Nous avons fait l’essai de divers tiers agrégateurs et outils chargés de transmettre de l’information à nos avocats, mais ils n’ont pas répondu à nos attentes. 

Les deux principaux canaux que nous utilisons pour transmettre de l’information efficacement aux avocats sont :

  • Les alertes provenant de ressources externes sur divers sujets, notamment la législation, la jurisprudence, les industries et les clients;
  • Les lettres d’information ciblées pour certains champs de pratique qui sont créées par la bibliothèque et les avocats de l’équipe de gestion du savoir.

Ce que vous pouvez faire si vous êtes une équipe juridique d’entreprise :

  • Sources d’information : de nombreuses équipes juridiques s’en remettent à leur conseiller juridique externe, aux ressources comme Lexology, Mondaq et Canlii et aux organismes de réglementation compétents.
  • Agrégateurs : nous avons aidé certains clients à installer le logiciel Protopage et nous avons entendu dire que d’autres clients utilisent une version personnalisée de l’application Flipboard.
  • Suivi : l’un de nos clients utilise une matrice réglementaire personnalisée conçue pour son industrie et sa structure organisationnelle. La responsabilité des différentes parties de la matrice réglementaire est répartie entre les membres de l’équipe juridique et les changements et nouveautés repérés font l’objet d’un suivi régulier sur Excel.

Évaluation de l’impact d’un changement dans le droit

La première étape de l’évaluation d’impact consiste à repérer, parmi l’ensemble des informations dont vous faites le suivi, les nouveautés dans le domaine du droit qui auront des répercussions sur votre équipe juridique et votre clientèle commerciale.  Au cabinet, nous nous appuyons sur les commentaires formulés par les avocats de notre équipe de gestion du savoir, nos avocats en exercice et nos clients à propos des champs d’intérêt critiques relativement auxquels il faut signaler ces changements; nous tirons parti du savoir des spécialistes qui peuvent évaluer facilement les répercussions d’un changement dans leur domaine de compétence et des généralistes qui peuvent en voir les répercussions plus larges.  Les équipes juridiques d’entreprise devront peut-être demander à leurs avocats et à sa clientèle commerciale de prendre part à l’évaluation et solliciter le point de vue d’un conseiller juridique externe. 

Une fois qu’une nouveauté dans le domaine du droit a été signalée, elle relève généralement de l’une des catégories suivantes qui s’appliquent tant aux cabinets d’avocats qu’aux services juridiques :

  • À surveiller : ce sont les premières phases du changement, l’évolution est probable;
  • Bon à savoir : le changement est notable, mais n’aura pas d’impact considérable sur l’organisation ou ses activités;
  • À savoir : le changement aura un impact immédiat ou considérable sur le service juridique ou sa clientèle commerciale;
  • Pour action : l’organisation devra prendre des mesures afin de se conformer à l’évolution du droit.

La dernière étape de l’évaluation d’impact consiste à analyser et à interpréter la nouvelle loi, l’évolution de la jurisprudence ou le changement de pratique, etc.  Il faudra éventuellement prendre une série d’initiatives qui vont de l’examen par un seul avocat chevronné au travail d’interprétation complexe mettant à contribution de nombreux avocats, groupes de recherche et groupes de discussion.  Par exemple, la révision de la LCSA en 2019 en vue de l’introduction du registre des particuliers ayant un contrôle important appartient à la catégorie des changements complexes en raison de ses répercussions sur les clients, des nuances de la législation et du besoin de cohérence au sein de l’industrie.

Communication et formation à propos du changement

En raison de l’importance d’avoir une méthode de traitement des changements dans le droit dont il a été question précédemment, nous avons établi une liste de contrôle des activités, dont l’usage dépendra du type de changement.  Nous avons adapté cette liste de contrôle aux services juridiques : 

  • Analyse juridique  : Quelles sont les personnes qui mènent l’analyse juridique et celles qui doivent y prendre part? Il faut passer en revue les champs de pratique et les territoires touchés et veiller à la cohérence de l’approche choisie. Le contraste est fort entre un changement au droit municipal qui a des répercussions locales et peut être évalué par les spécialistes d’un seul territoire et un changement au droit des valeurs mobilières dont les répercussions territoriales et sectorielles sont vastes et qui nécessite la contribution d’une armée de spécialistes.
  • Documents d’information internes  : De quels documents avez-vous besoin pour informer vos avocats du changement et de ses répercussions sur leur pratique et sur l’entreprise? Choisissez entre les notes de pratique, les notes de service ou les courriels.
  • Communication interne  : Quelles personnes doivent être informées du changement et par qui? Par exemple, les changements au registre des PCI de la LCSA ont nécessité plusieurs communications destinées aux avocats et aux parajuristes à l’échelle du cabinet.
  • Formation interne  : Quelle est la formation interactive nécessaire? Il faut tenir compte des avocats touchés et choisir entre l’organisation de réunions ciblant le champ de pratique ou le service, les séminaires et ateliers plus généraux et les modules d’apprentissage en ligne.  Selon nous, la plupart des changements peuvent faire l’objet d’un examen plus rigoureux aux réunions ordinaires des groupes de pratique, sauf s’ils touchent une clientèle plus large. 
  • Communication avec la clientèle commerciale  : Quel type de communication avec la clientèle commerciale faut-il privilégier? Il faut passer en revue les canaux les plus efficaces dont vous disposez pour communiquer avec vos clients commerciaux, les destinataires de l’information et le nombre de points de service dont vous avez besoin. Nous pouvons rédiger un billet pour le site Web ou envoyer des communications par courriel ciblées au client ou les deux.  Vous devriez pouvoir tirer parti des communications rédigées par votre conseiller juridique externe. 
  • Formation de la clientèle commerciale  : Vos clients pourront-ils tirer parti d’un module d’apprentissage en ligne ou d’une séance de formation qui leur permettra d’interagir avec les spécialistes de la question de droit et d’autres intervenants de l’entreprise? Le conseiller juridique externe pourrait là encore vous faire des propositions utiles.
  • Technologie  : L’utilisation de la technologie peut commencer dès que vous abordez le changement dans le droit.  Par exemple, l’outil d’analyse de contrats au moyen de l’IA peut servir à repérer les contrats visés par un changement réglementaire, ce qui permettra à l’entreprise et à son service juridique de mesurer l’impact du changement sur l’organisation. De la même manière, il est également possible de recourir aux analyses de données.

Pour revenir aux types de changements susmentionnés, nous pourrions prendre toutes les mesures exposées précédemment ou n’en prendre aucune. Si le changement relève de la catégorie « à savoir » ou « pour action », la liste de contrôle devient le plan d’exécution du projet.

Opérationalisation du changement dans le droit

Le degré d’opérationalisation du changement dans le droit sera tributaire de son impact sur les activités quotidiennes de votre organisation.  Voici certains éléments dont nous tenons compte :

  • Processus et procédures : Si le changement peut avoir des répercussions sur les processus et procédures, documentés ou non, les descriptions des processus et listes de contrôle y étant applicables devront être évaluées et mises à jour en conséquence ou éventuellement créées.  Par exemple, les modifications visant le registre des PCI apportées à la LCSA nous ont obligés à décrire et à mettre en œuvre de nouveaux processus et procédures destinés à notre équipe des services aux sociétés.
  • Politiques : Les politiques doivent être évaluées afin de repérer les éventuelles modifications qu’il faut leur apporter par suite de l’évolution du droit.  De nombreuses organisations du Canada ont mis à jour ou adopté de nouvelles politiques dans le cadre de la légalisation du cannabis médical et récréatif.
  • Précédents : Il faudra peut-être créer ou mettre à jour des précédents et d’autres ressources juridiques.  Selon nous, il est crucial de mettre ces ressources essentielles, prêtes à l’usage, à la disposition des avocats et du personnel de l’entreprise dès la prise d’effet du changement. Les avocats et le personnel disposeront ainsi de tous les outils dont ils ont besoin, à mesure qu’ils s’adaptent au changement. Par exemple, un certain nombre de nos précédents en valeurs mobilières ont été mis à jour dernièrement afin d’y intégrer les nouvelles obligations de déclaration sur la diversité de la LCSA. Il faut ajouter les mises en garde nécessaires aux contenus qui ne sont plus à jour ou retirer ces contenus. 
  • Formation et perfectionnement : Même s’il ne faut pas négliger d’offrir de la formation à l’occasion d’un changement immédiat, l’accueil, la formation et le perfectionnement continus sont également des occasions d’aborder le changement.  Les programmes de formation continus peuvent être complétés, modifiés ou interrompus afin d’y intégrer le nouvel état du droit. 
  • Technologie : Finalement, la technologie a un rôle à jouer en matière de communication (comme il a été décrit précédemment) et d’opérationalisation du changement dans le droit.  L’opérationalisation d’un nouveau changement nécessitera peut-être la mise à niveau des systèmes technologiques existants au soutien de l’adoption du changement.  En outre, il est possible de créer des applications qui utilisent la technologie juridique pour relever les nouveaux défis découlant du changement, comme l’outil d’enquête sur la diversité de Stikeman Elliott qui permet aux sociétés de se conformer aux nouvelles obligations de déclaration sur la diversité de la LCSA de manière confidentielle et sûre. 

En ce qui concerne les changements qui relèvent de la catégorie « à savoir » ou « pour action », il faudra vraisemblablement se pencher sur au moins l’une des répercussions opérationnelles susmentionnées.

Pas de solution miracle

Actuellement, il n’existe pas de solution miracle applicable à la surveillance, à l’évaluation, au traitement et à l’opérationalisation du changement en droit. Tous les espoirs sont permis en matière de présentation et de communication des nouveautés dans le domaine du droit aux destinataires qui doivent en avoir connaissance. Toutefois, le repérage, la communication et l’intégration à vos méthodes et procédures des nouveautés et changements qui ont un impact sur votre organisation et vos clients nécessitent toujours une approche humaine personnalisée. La valeur la plus élevée que peut apporter une équipe juridique dans le cadre de l’opérationalisation des changements consiste à aborder les changements de façon judicieuse pour l’organisation du client et à gérer le risque et la conformité de façon homogène.

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