Nombreux sont les employés qui profitent d'un long congé pour mettre à terme des projets qui mijotent depuis plusieurs années. Toutefois, si le projet implique la création d'une entreprise, cela peut engendrer des craintes auprès des employeurs quant à la loyauté ou la disponibilité de l'employé. Cependant, les employeurs ne doivent pas être trop rapides à conclure à la violation du devoir de loyauté. Il s'avère essentiel d'évaluer la situation au cas par cas, étant entendu qu'un employé - sujet aux modalités de son emploi - peut exploiter une entreprise parallèlement à son emploi, tant que cela n'affecte pas sa prestation de travail.

Dans l'affaire  Pineault et Groupe Marketing International inc., 2020 QCTAT 198, le Tribunal administratif du travail (le « Tribunal ») a conclu qu'un employeur avait trop hâtivement sauté aux conclusions et ne pouvait raisonnablement mettre fin à l'emploi d'une employée ayant annoncé publiquement sur Facebook son intention de se partir en affaires rapidement après son retour de congé parental.

Les faits

La plaignante était chef d'équipe dans un centre d'appels. Une semaine avant son retour après un congé de maternité, la plaignante s'entend avec son employeur pour retarder son retour d'un mois.

Suite à ce report, la plaignante annonce, sur son compte Facebook, l'ouverture de sa garderie en milieu familial. Elle y mentionne qu'il s'agit de la réalisation d'un rêve et qu'elle souhaite commencer ses activités de garde dès qu'elle aura deux inscriptions. Parallèlement, la plaignante continue ses discussions avec son employeur dans le but de planifier son retour au travail.

Des collègues de la plaignante portent la publication à la connaissance de la présidente de l'entreprise. C'est à ce moment que cette dernière affirme s'être sentie trahie. Estimant ne plus pouvoir lui faire confiance, l'employeur transmet une lettre de congédiement à la plaignante avant son retour au travail.

La décision du Tribunal administratif du travail (le « Tribunal »)

Lors de l'audience sur le congédiement, l'employeur a invoqué deux motifs justifiant la fin d'emploi, soit la démission implicite et le manquement au devoir de loyauté.

Cet argument a été rapidement rejeté par le Tribunal. En effet, une démission ne peut être implicite. De plus, même si la plaignante était avancée dans son projet, la principale condition demeurait l'inscription d'au moins deux enfants. Or, nul ne savait quand ou même si cette condition serait remplie. Ainsi, le Tribunal a conclu que la volonté de quitter un emploi à la suite de la réalisation de certaines conditions ne peut constituer une démission : il s'agit plutôt d'un projet, voire d'une intention. De plus, malgré la publication Facebook, la plaignante a tout de même continué à manifester son intention de revenir au travail. Il ne saurait s'agir d'un comportement d'un employé voulant démissionner.

L'employeur allègue que la plaignante a fait preuve de manque de loyauté en ne l'informant pas de son projet. À ses yeux, ce projet ne servait pas ses intérêts et contrevenait ainsi au devoir d'honnêteté et de loyauté de l'employée. Le Tribunal n'a pas retenu cette prétention. Ainsi, le fait de vouloir changer d'emploi ou de lancer sa propre entreprise dans un futur raisonnable ne saurait être considéré comme une faute, dans la mesure où cela ne nuit pas à la prestation de travail du salarié envers son employeur.

Par conséquent, le Tribunal a déterminé que l'employeur n'avait pas fait la démonstration d'une cause juste et suffisante de congédiement; le véritable motif de congédiement étant plutôt relié au sentiment de trahison qu'avait ressenti la présidente de l'entreprise lors de l'annonce sur le compte Facebook de la plaignante.

Le Tribunal a donc accueilli les plaintes, annulé le congédiement et ordonné à l'employeur de verser à la plaignante l'équivalent du salaire et des autres avantages dont elle a été privée.

Commentaires et bonnes pratiques

Malgré l'issue de la décision, celle-ci permet de rappeler aux employeurs à travers le pays que les employés en congé (maternité, parental, invalidité, congé sans solde, etc.) demeurent toujours assujettis à leur obligation de loyauté. Une telle situation est similaire pour les employés présentement en mise à pied temporaire en raison de la situation de la COVID-19. En situation de mise à pied temporaire, le lien d'emploi n'est suspendu que temporairement, mais n'est pas rompu. Les employés demeurent dont assujettis à leurs obligations. Il faudra toutefois faire attention : lorsque venu le temps du rappel au travail, il est possible que certains employés aient vu leur situation changer, aient travaillé sur des projets personnels, aient trouvé un autre travail à temps partiel, etc. Or, cela ne voudra pas dire que l'employeur pourrait invoquer l'intention prochaine d'un salarié de potentiellement démissionner, ou encore le double-emploi, afin de justifier sa décision de ne pas le rappeler au travail de la même façon que ses collègues.

Toutefois, la décision aurait pu être différente selon (i) le secteur d'activités de l'employeur, (ii) le poste occupé par l'employée et ses conditions d'emploi, (iii) la teneur des propos publiés sur le réseau social et (v) l'impact sur l'employeur. En effet, dans certaines situations, l'expression d'un désir de ne pas revenir au travail pourrait avoir un impact négatif sur l'employeur ou la rétention de la clientèle pouvant aller jusqu'à la violation d'une condition d'emploi. En outre, l'utilisation d'outils, d'information ou de toutes autres ressources de l'employeur pour se partir à son compte en concurrence avec l'employeur, aurait pu donner lieu à une décision différente que dans l'affaire précitée. Pour éviter des situations du genre, nous invitons les employeurs à se doter d'une politique ou d'une entente détaillant les exigences visant à encadrer les publications sur les médias sociaux à réitérer les attentes relatives aux obligations de l'employé pendant le congé et au retour. Sous réserve de la loi applicable, les employeurs peuvent également envisager une clause contractuelle exigeant un service exclusif à l'entreprise et un consentement écrit pour toute entreprise extérieure.

À tout événement, il est essentiel que l'employeur mène une enquête sur un possible manquement au devoir de loyauté avant de procéder à des mesures disciplinaires ou à un congédiement. Cela garantira que des décisions appropriées soient prises sur de l'information dont la véracité a été validée et qu'une opportunité équitable ait été donnée à l'employé de répondre aux allégations de mauvaise conduite - peut-être en offrant une explication légitime de sa conduite. 

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