Dans le contexte social actuel, les employeurs sont de plus en plus sensibilisés aux cas de harcèlement qui peuvent survenir au sein de leur organisation. En vertu de plusieurs lois provinciales, les employeurs doivent mettre en place une politique de prévention du harcèlement et de traitement des plaintes en plus de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser le harcèlement lorsqu'une situation est portée à leur connaissance. Toutefois, comme illustré dans le présent bulletin, la survenance de harcèlement psychologique ou sexuel ne se limite pas uniquement aux lieux de travail et la responsabilité de l'employeur peut être retenue pour des incidents de harcèlement survenu à l'extérieur du milieu de travail.

Exposé des faits

Dans la récente affaire A.B. c. 9405-2651 Québec inc, l'employée, qui occupait un poste de serveuse au sein d'un restaurant, a porté plainte pour harcèlement psychologique, en vertu de la Loi sur les normes du travailLNT »), alléguant avoir été victime de harcèlement à caractère sexuel par le gérant. Le tribunal administratif du travail (le « tribunal ») saisi de la plainte devait déterminer si l'employée avait été victime de harcèlement et si l'employeur avait satisfait à ses obligations en matière de harcèlement.

Bien que l'employée ait allégué qu'il arrivait souvent que le gérant du restaurant s'approche d'elle au travail et lui touche les hanches ou le bras sans son consentement, l'évènement ayant donné lieu à sa plainte pour harcèlement sexuel s'était produit le 10 janvier 2020 au chalet du gérant. À cette date, à la fin d'un quart de travail, le gérant avait proposé à l'employée ainsi qu'à trois autres employés d'aller prendre un verre à son chalet non loin du lieu de travail. L'employée a témoigné que c'est lors de la visite de l'étage supérieur du chalet, alors que les autres étaient au rez-de-chaussée, que le gérant l'avait notamment embrassé et touché sans son consentement en plus de l'avoir forcé, contre son gré, à poser des gestes sexuels. À la suite de l'agression, l'employée, en état de choc, a demandé à un collègue de la raccompagner chez elle.

Au lendemain des évènements, l'employée s'est présentée au travail malgré tout, mais n'était pas en mesure de terminer son quart de travail en raison du choc post-traumatique. À la réception du message texte de l'employée l'avisant de son départ hâtif, le gérant a décidé de mettre un terme à l'emploi de cette dernière. Deux jours plus tard, l'employée a informé son conjoint de l'agression qu'elle avait subi. Elle a également avisé la propriétaire du restaurant de la situation, laquelle a pris le parti du gérant et a indiqué à l'employée qu'elle ne la croyait pas. Le jour même, l'employée a déposé sa plainte pour harcèlement auprès du tribunal.

Quelques mois après l'incident, la propriétaire du restaurant (et conjointe du gérant) s'est ravisée et a transmis un message à l'employée afin de lui demander des excuses pour ne pas l'avoir crue au moment de sa dénonciation et afin de l'encourager à déposer une plainte auprès du service de police.

Il importe de noter que dans cette affaire, l'employeur ne détenait pas de politique en prévention de harcèlement et de traitement des plaintes comme requis par la loi. De plus, l'employeur ne s'est pas présenté à l'audience afin de contredire la version de l'employée.

Analyse du tribunal

Dans son analyse, le tribunal n'hésite pas à qualifier les attouchements non désirés au travail de manifestations de harcèlement sexuel et de qualifier d'« évènement très grave » l'évènement survenu au chalet du gérant, soit d'une agression sexuelle. Le tribunal a noté que dans aucun cas, dans un contexte d'une relation employeur-employée, l'employée n'aurait dû subir une telle agression. De surcroît, selon le tribunal, le fait que l'agression ait eu lieu en dehors du lieu de travail et des heures de travail ne change rien en regard de l'application de la LNT.

En effet, le tribunal rappelle que la jurisprudence a déjà déterminé que les pouvoirs disciplinaires d'un employeur pouvaient s'étendre à l'extérieur du lieu et des heures de travail lorsque l'évènement a un lien direct avec le travail. Plus précisément, on parle de situations ou d'incidents qui, de par leur nature ou leur conséquence, ont une relation directe avec la fonction ou le travail du salarié concerné1. Dans la présente affaire, le tribunal souligne que « la relation employeur-employée demeure présente, même si la plaignante se rend au chalet du gérant », car c'est ce dernier, le gérant du restaurant qui avait décidé d'inviter ses employés à prendre un verre après un long quart de travail.

Conséquemment, dans le cas sous étude, le tribunal conclut que l'employeur n'avait pas pris les moyens nécessaires afin de prévenir ou faire cesser le harcèlement et a fait droit à la réclamation monétaire de l'employée.

Ce qu'il faut retenir

À la lumière de cette récente décision du tribunal, il est clair que la responsabilité d'un employeur peut être engagée pour des incidents survenus à l'extérieur du lieu et des heures de travail. En effet, le tribunal a rappelé que la survenance des évènements après les heures de travail et à la résidence secondaire du gérant n'empêche pas l'application de la loi, tant et aussi longtemps que les évènements ont une relation directe avec le travail.

Conséquemment, et dans un souci de pleinement satisfaire aux obligations en matière de harcèlement qui lui incombent, en plus de disposer d'une politique de harcèlement, un employeur devrait s'assurer que l'application de sa politique s'étend aux incidents pouvant survenir à l'extérieur de l'établissement et des heures de travail.

Ceci est d'autant plus vrai depuis la popularité grandissante d'une panoplie de réseaux sociaux où les employés peuvent échanger, par exemple, et où il est plus difficile pour un employeur de contrôler les propos et les gestes de ses employés. D'ailleurs, dans une autre récente décision2, le tribunal administratif du travail a conclu à la présence de harcèlement psychologique en raison du fait qu'un groupe de quatre collègues s'échangeaient des messages où le plaignant faisait l'objet de propos discriminatoires, insultants et menaçants, pendant une période d'environ quatre ans, notamment, car les propos avaient été répétés dans le temps, et que même si le plaignant en avait pris connaissance à une seule occasion en acquérant le cellulaire de l'un d'entre eux, ceci avait tout de même créé un milieu de travail néfaste pour lui. Ultimement, la plainte fut rejetée, car l'employeur avait agi de manière diligente pour faire cesser le harcèlement dès que la situation avait été portée à sa connaissance.

À la lumière de ce qui précède, il importe que toute politique en matière de harcèlement ait une étendue assez large pour s'appliquer aux situations pouvant survenir hors de l'établissement de l'employeur ou des heures de travail et qu'un employeur réagisse promptement dès qu'il a connaissance de la survenance de telles situations.

Dans un contexte où une situation de harcèlement psychologique ou sexuel est portée à votre connaissance ou simplement pour vous assurer que votre politique en matière de harcèlement est complète et exhaustive, il est pertinent de consulter votre avocat(e)chez Fasken.

Footnotes

1.A.B. c. 9405-2651 Québec inc. 2022 QCTAT 2401, par. 32.

2.Diouf c. Aluminerie Alouette inc., 2022 QCTAT 1546.

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