Dans une décision récente (disponible uniquement en anglais), le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario (le « Tribunal ») a statué que le propriétaire d'un restaurant avait commis un acte de discrimination en proférant des insultes transphobes à l'égard d'employés, en les mégenrant et en dévoilant leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Les parties requérantes ont reçu une indemnisation pour le salaire perdu et une indemnité pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l'estime de soi à titre de redressement1.

Que s'est-il passé?

Les parties requérantes, qui s'identifient comme des personnes queers ou non binaires et utilisent des pronoms neutres, travaillaient dans la cuisine d'un restaurant géré par son propriétaire. Ces personnes ont allégué que le propriétaire refusait d'utiliser les pronoms qu'elles lui avaient demandé d'utiliser pour les désigner. Le propriétaire a continué de les mégenrer et a comparé leur demande à [traduction] « marcher sur des œufs ».

Les parties requérantes ont également allégué qu'on avait entendu le propriétaire parler à des clients dans la salle à manger, en référant au personnel de cuisine en utilisant des insultes transphobes. Lorsque les parties requérantes ont fait part au propriétaire de leurs inquiétudes concernant ces propos, le propriétaire a nié avoir utilisé une insulte et a insisté sur le fait qu'il avait simplement dit aux clients qu'il avait [traduction] « quatre employés qui étaient LGBT ». Le propriétaire a refusé de faire quoi que ce soit d'autre pour répondre aux inquiétudes des parties requérantes.

Estimant que leur dignité, leur sécurité et leur vie privée n'étaient pas prises au sérieux, les parties requérantes ont quitté leur emploi et déposé une requête pour violation des droits de la personne contre le restaurant et le propriétaire. Comme les deux intimés n'ont pas répondu à la requête, le Tribunal a jugé que les allégations avaient été acceptées par ces derniers.

La décision du Tribunal

Le Tribunal a conclu que les parties requérantes avaient subi un traitement défavorable dans le cadre de leur emploi en raison de leur identité de genre, de leur expression de genre et de leur sexe, et a affirmé que [traduction] « les personnes transgenres et non binaires sont un groupe historiquement défavorisé protégé contre la discrimination » en vertu du Code des droits de la personne (le « Code »)2.

Le Tribunal a conclu que3:

  • l'insulte transphobe a été proférée dans un cadre public à des étrangers/clients sur le lieu de travail, ce qui a eu pour effet de dévoiler l'identité de genre des parties requérantes et leur a fait craindre pour leur sécurité;
  • l'omission du propriétaire de répondre adéquatement aux inquiétudes des parties requérantes et d'enquêter davantage a eu une incidence défavorable;
  • la perte d'emploi des parties requérantes était attribuable à leur sentiment de ne pas avoir d'autre choix que de quitter un milieu de travail où leurs inquiétudes n'étaient pas écoutées; et
  • le mégenrage ou l'utilisation de pronoms incorrects a constitué un traitement défavorable en ce qui concerne l'emploi des parties requérantes.

Ayant conclu que la discrimination dont les parties requérantes ont été victimes a entraîné une perte d'emploi, le Tribunal a accordé une indemnité pour perte de salaire et a tenu compte de l'incidence que ces expériences avaient eue sur leur recherche d'emploi par la suite.

Le Tribunal a également accordé à chaque partie requérante une indemnité de 10 000 $ pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l'estime de soi et a reconnu que le statut du propriétaire du restaurant et la nature publique de ses commentaires favorisaient une indemnité plus élevée. Le Tribunal a notamment accepté les craintes des parties requérantes quant à leur sécurité et à la discrimination qu'elles pourraient subir à la suite de la divulgation de leur identité de genre dans l'espace public, laquelle a été qualifiée de [traduction] « choquante et blessante » par le Tribunal. Enfin, bien que le Tribunal ait reconnu que le fait de mégenrer ou d'utiliser des pronoms incorrects était discriminatoire dans cette affaire, il n'a pas été en mesure d'en tenir compte dans l'indemnité pécuniaire octroyée en raison de l'absence de détails dans la requête des parties requérantes.

Ce que les employeurs doivent retenir

Bien que les intimés n'aient pas répondu à la requête, cette décision pourrait servir de fondement à d'autres affaires concernant l'identité de genre, l'expression de genre et le sexe en Ontario. Ces concepts ne sont pas nouveaux4 : des cas précédents ont porté sur les expériences des personnes des communautés 2SLGBTQIA+ au travail. Même si le Code ne fait pas expressément mention de l'utilisation de pronoms, le Tribunal a clairement indiqué que mégenrer volontairement et utiliser intentionnellement les mauvais pronoms peuvent constituer un traitement défavorable. Dans cette affaire, le défaut d'accorder une réparation pécuniaire en raison de ce qu'ont vécu les parties requérantes n'était pas attribuable au fait que leur expérience n'était pas indemnisable, mais plutôt au fait que leurs arguments comportaient des lacunes. Par conséquent, les affaires portant sur des motifs similaires qui seront assorties de demandes mieux étoffées à l'avenir donneront vraisemblablement au Tribunal des indications supplémentaires sur les réparations pécuniaires et non pécuniaires disponibles.

Cette décision rappelle également aux employeurs que les signalements de discrimination et de harcèlement en milieu de travail doivent être pris au sérieux. L'omission d'un employeur d'enquêter raisonnablement sur une plainte de discrimination et d'y donner suite de façon appropriée peut également constituer un effet défavorable et entraîner une responsabilité pécuniaire et non pécuniaire.

Footnotes

1. EN v. Gallagher's Bar and Lounge, 2021 HRTO 240 (CanLII)

2. Ibid, par. 27.

3. Ibid, par. 27 à 31.

4. L'identité sexuelle et l'expression sexuelle ont été ajoutées au Code en 2012, tandis que les motifs d'identité de genre et d'expression du genre ont été ajoutés à la Loi canadienne sur les droits de la personne en 2017.

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