Il est bien connu que les employeurs doivent être soucieux de ne pas discriminer en raison d'un motif prohibé par la Charte des droits et libertés de la personne au Québec et par la législation sur les droits de la personne dans les autres provinces canadiennes. Toutefois, les obligations qui incombent à un intermédiaire qui ne fait que répondre aux critères de sélection d'un employeur potentiel, en fournissant des services de recherche d'emploi au public, peuvent être moins évidentes. Le Tribunal des droits de la personne du Québec (le « Tribunal ») dans l'affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Émond) c. Procureur général du Québec (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale)1 se penche sur cette question. 

Qu'est-il arrivé?

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue que le Procureur général du Québec aux droits du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) et une agente d'aide à l'emploi employée par le Centre local d'emploi (CLE) ont porté atteinte au droit du plaignant d'être traité en pleine égalité sans discrimination fondée sur le sexe, ainsi qu'à son droit à la dignité.

Lors d'une rencontre organisée par le MTESS, par le biais d'un CLE, le plaignant mentionne au chef d'équipe des agents d'aide à l'emploi qu'il a un intérêt pour un poste de préposé d'aide à domicile. Le lendemain, son agente d'aide à l'emploi attitrée lui laisse un message téléphonique précisant que, bien qu'il y ait un affichage ouvert, l'employeur a un besoin particulier de femmes pour pourvoir à ce poste.

À l'audience, l'agente d'aide aux entreprises confirme que l'employeur avait dit que l'organisme cherchait des femmes pour occuper ce poste, étant donné que la clientèle était presque uniquement féminine et qu'elles étaient moins à l'aise avec l'idée d'une aide à domicile masculine. L'employeur, quant à lui, reconnaît qu'il lui est déjà arrivé de mentionner aux agents du CLE qu'il avait besoin de travailleurs d'un sexe particulier, malgré que les postes soient ouverts aux deux sexes. 

Qu'a décidé le Tribunal ?

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans la prestation de services ordinairement offerts au public, ce qui en l'espèce, inclut les services de recherche d'emploi offerts par le MTESS. 

Le Tribunal devait déterminer si le MTESS et l'agente d'aide à l'emploi ont porté atteinte au droit du plaignant d'être traité en pleine égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur le sexe.

Le fait que l'agente d'aide à l'emploi ait informé le plaignant que l'employeur cherchait idéalement des candidatures féminines, conjugué au fait de ne pas lui transmettre ses coordonnées, pouvait lui laisser croire qu'il ne pouvait pas postuler pour cet emploi. Ce faisant, le MTESS a fait échec au droit du plaignant d'obtenir l'un des services offerts, soit la réception des coordonnées d'un potentiel employeur sans discrimination en lien avec son sexe.

Le Tribunal note que même si l'agente n'avait aucunement l'intention de discriminer contre le plaignant, le caractère discriminatoire doit s'apprécier en fonction des effets et non de l'intention.  En l'espèce, l'impact du message laissé est que le plaignant ne pouvait pas appliquer sur le poste convoité parce qu'il était un homme. 

Le Tribunal écarte également l'argument soulevé par le CLE comme quoi celui-ci n'est qu'un intermédiaire et non le potentiel employeur. En effet, le Tribunal note que le CLE a tout de même exclu le candidat en raison de son sexe, même si ce critère de sélection provient de l'employeur. Il est donc responsable au même titre que celui-ci pour discrimination. L'agente d'aide à l'emploi a donc également engagé sa responsabilité.

Le Tribunal devait aussi déterminer si le MTESS et l'agente d'aide à l'emploi ont porté atteinte au droit du plaignant à la sauvegarde de sa dignité, sans discrimination et si le plaignant avait droit à une compensation en raison de la discrimination.

À cet égard, le Tribunal conclut que l'accès à des services d'aide à l'emploi, sans discrimination , est intimement lié à la dignité d'une personne et son estime de soi. Étant en situation de précarité, le plaignant souhaitait jouer un rôle utile dans la société, et a été brimé dans son intention.

Le Tribunal fixe à 2 750 $ les dommages pour le préjudice moral subi par le plaignant, mais refuse d'octroyer des dommages punitifs, en raison de l'absence de faute intentionnelle. Par ailleurs, le Tribunal ordonne au MTESS de donner une formation sur la discrimination en matière d'emploi aux employés du CLE.

Ce qu'il faut retenir

Les employeurs doivent être conscients, quand ils sont en processus de recrutement, que leurs préférences, y compris les préférences par rapport au sexe du travailleur peuvent être considérées comme discriminatoires conformément à la législation sur les droits de la personne et, selon les circonstances, non justifiables ou défendables. Pour les intermédiaires et les agences de placement, ces derniers peuvent être tenus responsables s'ils appliquent un critère d'embauche discriminatoire qui n'est pas défendable, lorsqu'ils fournissent des services. 

Si vous avez des questions sur cette affaire ou sur vos obligations lors du processus d'embauche, veuillez communiquer avec les auteurs ou votre avocat Fasken habituel.

Footnote

1 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Émond) c. Procureur général du Québec (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale), 2021 QCTDP 8.

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