Le 23 avril 2025, le gouvernement du Québec a publié dans la Gazette officielle du Québec le nouveau projet de Règlement sur les paiements et le règlement rapide des différends en matière de travaux de construction1 (le « Projet de règlement »). Ce dernier fait suite au Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu'aux sous-contrats qui y sont liés2 (le « Projet pilote »), déployé du 2 août 2018 au 1er août 2021.
Il s'agit d'une seconde mouture d'un premier projet publié le 3 juillet 2024, qui avait suscité de nombreux commentaires de la part des divers acteurs de l'industrie québécoise de la construction.
Le Projet de règlement vient ainsi compléter la Loi visant à promouvoir l'achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d'intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l'Autorité des marchés publics3 en instaurant un régime de paiements rapides ainsi qu'un mécanisme de règlement rapide des différends applicable aux contrats publics de travaux de construction visés par la Loi sur les contrats des organismes publics4 (« LCOP »).
Régime de paiements rapides
Le Projet de règlement instaure un calendrier de paiement obligatoire applicable aux sommes réclamées par les parties à des contrats publics de travaux de construction visés par la LCOP. Ce calendrier, qui vise à remédier à la problématique des retards de paiement, se résume comme suit :
Contenu de la demande (art. 5) : La demande de paiement doit être formulée par écrit, datée et signée en plus de contenir les renseignements requis (nom et adresse de l'entrepreneur, numéro du contrat public, description des travaux, montant total des sommes réclamées, etc.).
Présomption de validité (art. 7) : Pour éviter que la forme ne l'emporte sur le fond, une présomption de validité de la demande s'applique (sauf quant à sa date de transmission) à défaut pour le débiteur de soulever l'invalidité avant l'expiration du délai pour soumettre un avis de refus de paiement.
Exclusions au régime de paiements rapides (art. 31 et 32) :
Les contrats et les demandes de paiements suivants sont toutefois exclus du régime :
- Les contrats publics conclus en situation d'urgence pour des raisons de sécurité des personnes ou des biens;
- Les contrats publics du ministère des Transports ou de
la Société québécoise des
infrastructures, qui au moment de leur conclusion prévoient
à la fois :
- que les travaux doivent être réalisés sur une période de 3 mois ou moins;
- que les sommes dues par le ministre ou la Société en vertu du contrat seront versées en un seul paiement;
- Les demandes de paiements pour compenser la perte de profits, de productivité ou d'une occasion d'affaires qu'un entrepreneur impute à un changement relatif à la portée des travaux prévus au contrat public ou au sous-contrat public ou aux conditions d'exécution de ceux-ci.
Mécanisme de règlement rapide des différends
Le Projet de règlement prévoit aussi un processus de règlement rapide des différends, applicable à tous les différends qui n'ont pu être réglés à l'amiable5, sauf pour ceux expressément exclus aux termes de l'article 32. Ce processus implique l'intervention d'un tiers décideur et ses étapes se résument essentiellement à ce qui suit :
Notification de la demande d'intervention (art. 34) : Une partie qui souhaite recourir au tiers décideur doit notifier une demande d'intervention à son cocontractant au plus tard dans un délai de 90 jours, suivant :
- Pour le contrat public principal : la date à laquelle l'organisme public accepte l'ouvrage sans réserve ou, en cas de réserve, la date à laquelle il se déclare satisfait des réparations ou corrections effectuées;
- Pour un sous-contrat public : la date de fin des travaux convenue entre les parties.
Exclusions au régime de règlement rapide des différends (art. 35) :
Les différends suivants sont aussi exclus du régime :
- Les différends qui ont déjà été tranchés par un tiers décideur au terme d'une intervention;
- Les différends pour lesquels une partie a
déjà présenté une demande
d'intervention portant sur le même différend
et :
- s'est volontairement désistée après la désignation d'un tiers décideur;
- est réputée s'être désistée;
- a vu le tiers décideur conclure, dans une décision, qu'elle ne pouvait exercer le droit de recours au tiers décideur à l'égard de ce différend ou qu'elle a abusé de ce droit;
- Les différends ayant déjà fait l'objet, entre les mêmes parties, d'une procédure judiciaire ou arbitrale.
Le Projet de règlement ne prévoit plus de plafond monétaire pour qu'un différend puisse faire l'objet d'un processus de règlement rapide avec un tiers décideur, alors qu'un tel mécanisme était auparavant limité aux différends d'une valeur maximale de 500 000 $ dans la version précédente du Projet de règlement publiée le 3 juillet 2024.
Contenu de la demande (art. 37) : La demande d'intervention doit notamment préciser la nature du différend, la valeur monétaire, les motifs invoqués, les conclusions recherchées, ainsi que les noms de trois tiers décideurs proposés.
La demande d'intervention ne peut porter que sur un seul différend. Cependant, si le demandeur estime que plusieurs différends résultent de faits contemporains et présentent une connexité au sens du deuxième alinéa de l'article 51, il peut présenter une demande pour joindre les différends au sein d'une même demande.
Réponse du cocontractant (art. 40) : Le cocontractant dispose d'un délai de 5 jours pour répondre et transmettre un avis indiquant notamment :
- Le nom du tiers décideur retenu parmi ceux proposés, ou son refus de ceux-ci, accompagné des noms de trois autres tiers décideurs;
- Son acception ou son refus de la réunion des différends proposée par le demandeur;
- Le cas échéant, son intention de présenter lui-même une demande pour joindre plusieurs différends.
Réponse du demandeur à la demande de jonctions des différends (art. 41) : Le demandeur dispose d'un délai de 5 jours pour répondre par écrit à la demande de réunion des différends formulée par le cocontractant, soit en l'acceptant ou en la refusant.
Désignation du tiers décideur (art. 43 et 44) : En l'absence d'entente sur le choix du tiers décideur, les parties procèdent à un tirage au sort. Une fois désigné, le tiers décideur reçoit la demande d'intervention ainsi que la réponse
Décision du tiers décideur concernant la demande de jonction des différends (art. 51) : Le tiers décideur doit statuer sur toute demande de réunion de différends dans un délai de 5 jours suivant sa désignation.
Exposés détaillés des parties (art. 52) :
- La partie ayant demandé l'intervention dispose d'un délai de 5 jours suivant la désignation du tiers décideur pour lui transmettre, ainsi qu'à l'autre partie, un exposé détaillé de ses prétentions, accompagné des documents à l'appui;
- L'autre partie dispose ensuite d'un délai de 15 jours pour transmettre au demandeur une réponse détaillé à cet exposé, accompagnée des documents à l'appui, et d'en communiquer copie au tiers décideur.
Déroulement de l'intervention (art. 50 et 54) :
- Le tiers décideur mène l'intervention selon la procédure qu'il détermine, tout en veillant à l'équité du processus et au respect du principe de proportionnalité;
- L'assistance d'un avocat est permise, mais sans droit de représentation.
Décision (art. 62) : Le tiers décideur doit rendre une décision écrite et motivée dans un délai de 50 jours suivant sa désignation et la notifier aux parties. Au besoin, il peut prolonger ce délai pour une période maximale de 15 jours s'il en informe les parties avant l'échéance du délai initial, ou pour une période plus longue si les parties y consentent.
Paiement (art. 66) : La partie tenue au paiement d'une somme d'argent dispose d'un délai de 20 jours pour l'acquitter, à compter de la notification de la décision.
Honoraires du tiers décideur (art. 70) : Les honoraires du tiers décideur et les frais engagés pour la conduite d'une intervention sont répartis de façon égale entre les parties, à moins que le tiers décideur en décide autrement en raison de la conduite abusive d'une partie ou de son défaut de respecter les délais prescrits.
Autres points à retenir
Déductions et retenues (art. 16 et 17) :
- L'entrepreneur peut déduire d'un paiement dû à l'un de ses sous-traitants une somme équivalente à celle réclamée pour des travaux ayant été refusés par un autre débiteur de la chaîne contractuelle, à condition d'avoir préalablement transmis une copie de l'avis de refus sur lequel il se fonde;
- Un organisme public ou un entrepreneur peut déduire d'un paiement le montant stipulé dans une clause pénale prévue dans son contrat.
Retenues à l'initiative de l'organisme public (art. 20, 22, 23, 25, 26 et 28) :
L'organisme public peut retenir des sommes dues à l'entrepreneur dans les circonstances suivantes :
- Jusqu'à 10 % des sommes à verser pour garantir l'exécution du contrat public, si ce droit de retenue est prévu au contrat. L'entrepreneur visé par une telle retenue peut, à son tour, retenir une partie de la somme due à son sous-traitant, à condition que ce droit ait fait l'objet d'une convention écrite entre les parties concernées;
- Une somme suffisante pour satisfaire aux réserves faites quant aux vices ou aux malfaçons apparents de l'ouvrage;
- Une somme suffisante pour réparer tout dommage causé par l'entrepreneur ou par un sous-traitant;
- Une somme suffisante afin de s'assurer que les créances des sous-traitants seront acquittées par l'entrepreneur ou pour permettre à l'organisme public d'acquitter lui-même ces créances, et ce, peu importe si le sous-traitant est en droit ou non de se prévaloir d'une hypothèque légale de la construction;
- Une somme suffisante pour acquitter les créances des personnes, autres que les sous-traitants de l'entrepreneur, qui peuvent faire valoir une hypothèque légale de la construction;
- L'entièreté du paiement final de l'entrepreneur si celui-ci omet de lui fournir les documents de fin de chantier requis.
Certaines de ces retenues peuvent être évitées si l'entrepreneur fournit à l'organisme public une sûreté suffisante pour pallier le risque visé par celles-ci. Même si le Projet de règlement ne le précise pas expressément, on peut penser ici aux différents cautionnements de construction.
Retenues à l'initiative d'un entrepreneur (art. 29) :
- L'entrepreneur partie à un sous-contrat public peut retenir tout ou partie d'une somme payable à son créancier, à condition que ce droit ait fait l'objet d'une convention écrite entre les parties et que la retenue ne poursuive pas la même fin qu'une retenue exercée à l'initiative de l'organisme public.
Confidentialité (art. 67 et 69) :
- Les parties au différend et le tiers décideur doivent préserver la confidentialité dans le cadre de l'intervention, incluant la décision rendue par le tiers décideur;
- La décision peut être déposée dans le cadre d'un recours ultérieur entrepris devant un tribunal de droit commun ou un arbitre, si cette intervention et ce recours portent sur le même différend et impliquent les mêmes parties.
Portée de la décision du tiers décideur :
- L'article 21.48.27 de la LCOP6 prévoit que la décision rendue par un tiers décideur lie les parties jusqu'à ce que, le cas échéant, un jugement par un tribunal de droit commun ou une sentence arbitrale soit rendus sur le même objet;
- Les parties doivent se conformer à la décision ainsi rendue, selon les conditions et les modalités qui y sont énoncées;
- La partie tenue de verser une somme d'argent doit s'exécuter, à défaut de quoi le créancier peut demander l'exécution forcée en déposant une copie de la décision auprès du tribunal compétent, conformément à l'article 21.48.28 de la LCOP.
Procédure d'annulation d'une décision rendue par un tiers décideur :
- Le 8 octobre 2024, l'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté le Projet de loi n° 62, la Loi visant principalement à diversifier les stratégies d'acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d'agilité dans la réalisation de leurs projets d'infrastructure (le « Projet de loi 62 »)7;
- Le Projet de loi 62 introduit une nouvelle procédure permettant de demander au tribunal l'annulation d'une décision rendue par un tiers décideur à l'issue du mécanisme de règlement rapide des différends;
- Le recours proposé s'apparente à celui mis en place en matière d'arbitrage ou à un pourvoi en contrôle judiciaire;
- Ainsi, le nouvel article 21.48.28.1 de la LCOP prévoit
qu'une partie peut demander au tribunal l'annulation
d'une décision rendue par un tiers décideur pour
l'un ou l'autre des motifs suivants :
- Une partie n'avait pas la capacité de participer au processus de règlement du différend devant le tiers décideur;
- Le différend découle d'un contrat ou d'un sous-contrat public qui n'est pas valide;
- La décision porte sur un différend qui ne pouvait être soumis à un tiers décideur ou encore elle contient une conclusion qui est sans aucun rapport avec l'objet du différend dont était saisi le tiers décideur;
- Le processus de règlement du différend a été mené par une personne qui n'était pas accréditée pour agir en tant que tiers décideur;
- Les règles applicables au choix du tiers décideur n'ont pas été respectées;
- Les règles applicables au processus de règlement du différend devant le tiers n'ont pas été respectées et ce non-respect a porté atteinte à l'équité du processus.
- La demande d'annulation doit être présentée devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure, selon leur compétence respective, dans un délai de 30 jours de la réception de la décision;
- La demande d'annulation n'a pas pour effet de surseoir à l'exécution de la décision, sauf ordonnance contraire du tribunal;
- En cas d'annulation totale ou partielle de la décision, le tribunal peut ordonner le remboursement, en tout ou en partie, des sommes payées en exécution de la décision annulée.
Conclusion
Conformément à ce que prévoit l'article 21.48.20 LCOP, le nouveau régime de paiements et de règlement rapide des différends sera obligatoire pour les contrats publics de construction et il ne sera pas possible d'y déroger par convention.
Le Projet de règlement marque ainsi une étape importante pour l'industrie de la construction. S'appuyant sur les leçons tirées du Projet pilote, il vise à améliorer la fluidité des capitaux de l'organisme public à la fois vers l'entrepreneur, les sous-traitants et les prestataires de services qui sont impliqués dans l'exécution d'un contrat public. Le règlement des différends qui surviennent en chantier devrait également être accéléré grâce au recours à un tiers décideur. Ce mécanisme ne permettra toutefois pas de tout régler vu les exclusions prévues au niveau des réclamations pour perte de profit et de productivité.
Il reste maintenant à mesurer l'impact concret de cet important changement réglementaire sur la réalité financière et juridique des contrats publics de travaux de construction. Une chose est certaine : ce règlement marquera un tournant majeur dans le traitement des réclamations et le règlement des différends dans le secteur public de la construction.
Enfin, le Projet de règlement devra faire l'objet d'une publication finale, puis entrera en vigueur 15 jours après la publication du règlement final.
Footnotes
1. Règlement sur les paiements et règlement rapide des différends en matière de travaux de construction (2025) 17 G.O., II, 2497.
2. L'arrêté numéro 2018-01 du président du Conseil du Trésor, en date du 3 juillet 2018, a autorisé la mise en Suvre du Projet pilote visant à faciliter le paiement aux entreprises parties à des contrats publics de travaux de construction ainsi qu'aux sous-contrats qui y sont liés (RLRQ, chapitre C-65.1, r. 8.01).
3. Loi visant principalement à promouvoir l'achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d'intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l'Autorité des marchés publics, LQ 2022, c. 18.
4. Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c. C-65.1.
5. Le différend peut notamment porter sur la validité d'une demande de paiement, d'un refus de paiement, d'une déduction ou d'une retenue, sur l'existence ou la valeur d'une modification au contrat ou au sous-contrat, sur l'exigibilité d'une somme d'argent et les intérêts ou encore sur toute autre question d'application ou d'interprétation du contrat ou du sous-contrat.
6. Les articles 21.48.19 à 21.48.32 de la LCOP, qui instaurent le régime de paiements rapides et de règlement des différends en matière de travaux de construction, ne sont pas encore entrés en vigueur au moment de la présente publication.
7. Loi visant principalement à diversifier les stratégies d'acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d'agilité dans la réalisation de leurs projets d'infrastructure, LQ 2024, c. 28.
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