Les autorités réglementaires antitrust, traditionnellement perçues comme un obstacle pour les acheteurs stratégiques, ont renforcé leur surveillance des opérations de capital d'investissement privé ces dernières années. Le « contrôle des fusions », c'est-à-dire l'examen de l'aspect concurrence et antitrust des transactions de fusion et acquisition, est devenu un élément essentiel de la réussite des opérations de capital d'investissement privé. Ce bulletin présente le point de vue de conseillers expérimentés en matière de capital d'investissement privé et d'antitrust qui ont conclu des centaines de transactions de capital d'investissement privé au Canada.

  1. Cette transaction est-elle la première d'une longue série?

Les investisseurs perspicaces en capital d'investissement privé sont souvent capables d'identifier une industrie ou un secteur vertical permettant d'obtenir des rendements intéressants par l'entremise de la consolidation. La stratégie d'investissement peut alors comprendre une série d'acquisitions à court ou à moyen terme visant à atteindre une échelle et des gains suffisants pour générer un bénéfice important en bout de ligne. Ces scénarios sous-entendent dès le départ que la première acquisition ne sera probablement pas la dernière.

De ce fait, il est important de cerner dès le départ  la situation du marché, les barrières à son entrée, la concurrence réelle subsistante et les gains afin de développer des arguments crédibles et durables qui permettront d'équiper l'acquisition finale d'une stratégie de consolidation aussi bonne que la première.  La cohérence est essentielle : lors des examens de fusion ultérieurs, le Bureau de la concurrence du Canada essaiera de pousser l'acheteur à s'en tenir aux arguments qu'il a présentés lors des examens de fusion précédents. Tout changement de position sur ces questions clés lors de transactions ultérieures nuira à la crédibilité de l'acheteur auprès de l'organisme de réglementation et pourrait créer une certaine vulnérabilité en cas de contestation d'une acquisition devant les tribunaux ou le Tribunal de la concurrence du Canada.

Chaque acquisition complémentaire accroît la part de marché de l'acheteur de capital d'investissement privé, consolide le marché et augmente en conséquence le risque antitrust. Il importe de tenir compte de ces facteurs lorsque l'investisseur planifie le moment de sa sortie.

  1. Évitez le mélodramatique

La plupart des investisseurs en capital d'investissement privé connaissent bien le régime de contrôle des fusions en vigueur aux États-Unis lié à la loi Hart-Scott-Rodino pour l'amélioration du droit de la concurrence de 1976 (« HSR »). Le régime canadien, qui s'inspire de la loi HSR, exige des parties à l'opération qu'elles fournissent une quantité considérable de données sur les clients et les fournisseurs dans le cadre de leur dépôt d'avis de fusion. Les parties sont en outre tenues de fournir des documents de type « HSR 4(c) », soit des documents préparés pour ou reçus par un dirigeant ou un administrateur qui évaluent l'un ou l'autre d'une série de facteurs qualitatifs (p. ex., les parts de marché, la concurrence, les concurrents, les marchés, le potentiel de croissance des ventes ou l'expansion vers de nouveaux produits ou régions géographiques).

Ces documents constituent fréquemment la première étape d'examen d'une transaction de la part de l'équipe du Bureau de la concurrence. On recommande toujours aux investisseurs en capital d'investissement privé de faire preuve de prudence – et de retenue – lorsqu'ils préparent des documents (y compris des courriels importants) en lien avec l'analyse d'une proposition d'acquisition. Ils doivent notamment éviter de commenter les enjeux qui revêtent une importance particulière pour l'examen antitrust, telles que la situation  (et plus particulièrement l'exiguïté) des marchés géographiques ou de produits potentiels, la « position dominante » de l'une ou l'autre des parties sur un « marché », les barrières à l'entrée ou la capacité d'exercer un pouvoir sur le marché (p. ex., en augmentant les prix, en réduisant la production ou en imposant unilatéralement des conditions clés aux clients ou aux fournisseurs) après la transaction. Le langage imagé tel que « nous allons détruire la concurrence » ou « les clients n'auront pas d'autre choix » est également à éviter.

Il est difficile de se dissocier de déclarations de ce genre au cours de l'examen d'une fusion et l'on peut s'attendre à ce que de tels documents figurent en bonne place comme « pièce à conviction A » dans le cadre de toute transaction contestée.

Cette mise en garde s'applique également, voire encore plus, aux investisseurs en capital d'investissement privé qui cèdent une société de leur portefeuille. Il convient de faire preuve de prudence lors de la préparation de mémorandums d'informations confidentielles. Malgré ce désir évident de commercialiser efficacement l'entreprise, il est préférable d'éviter certains commentaires par écrit.

  1. À quel moment la confidentialité devient-elle excessive?

La confidentialité préalable à l'annonce, et parfois avant la clôture, d'une transaction est une considération importante dans pratiquement toutes les opérations de capital d'investissement privé. Toutefois, dans le cas des acquisitions complémentaires où un fonds est déjà actif dans un secteur, la connaissance et l'expertise de la ou des sociétés de son portefeuille dans ce secteur peuvent être inestimables. Dans le cadre d'une transaction complémentaire, il pourrait être par conséquent utile de mettre certains membres clés de la direction « dans le secret ».

Tout d'abord, il est clair que la direction d'une société du portefeuille sectoriel constitue une excellente source d'informations essentielles puisque ces membres sont les mieux placés pour connaître le ou les marchés concernés, les acteurs et les conditions de concurrence. Ils auront probablement une bonne idée de la façon dont les clients et les fournisseurs réagiront à la nouvelle transaction. Comme le Bureau de la concurrence fait des recherches approfondies sur le marché et interroge les principaux clients et fournisseurs des parties, le fait d'avoir une idée de leur réaction probable peut aider à façonner la stratégie antitrust. Les opinions de ces participants au marché exercent une influence considérable sur l'équipe d'examen du Bureau de la concurrence.

Une simple discussion de haut niveau et « anonyme » avec la direction existante de la société de portefeuille peut fournir des informations précieuses sur les conditions concurrentielles et donner aux investisseurs en capital d'investissement privé une meilleure idée du risque antitrust de l'opération, ce qui peut influer sur une série d'éléments clés de tout contrat d'achat (y compris les dispositions relatives au partage des risques, les délais et les dates butoirs, les clauses « advienne que pourra » potentielles et les clauses de coopération).

Deuxièmement, au Canada, le dépôt d'un avis de fusion exige beaucoup plus d'information qu'un dépôt HSR, notamment des données concernant les 20 clients et les 20 fournisseurs les plus importants pour toute « catégorie principale de produits » qui chevauche les activités de la cible. Dans tous les cas, de telles données granulaires peuvent devoir être obtenues au niveau de la société de portefeuille.

Troisièmement, lorsqu'une transaction entraîne d'importants chevauchements concurrentiels, l'examen du Bureau de la concurrence comprendra généralement une ou plusieurs demandes de renseignements à titre volontaire aux parties à l'opération. Toute absence de réponse à ces demandes en temps opportun peut entraîner une « pause » dans le délai de service standard pour l'achèvement de l'examen. Les transactions qui soulèvent de sérieuses inquiétudes peuvent faire l'objet d'un examen de phase II par l'émission d'une demande de renseignements supplémentaires (semblable à une deuxième demande pour la loi HSR). Le respect de ces demandes de renseignements en temps opportun nécessite fréquemment l'aide – de préférence volontaire et motivée – de la société de portefeuille existante.

  1. Des questions, et encore des questions sur les participations minoritaires

Il y a de cela plusieurs années, les universitaires spécialisés dans la lutte antitrust remettaient en question le rôle et l'incidence des investisseurs institutionnels ayant plusieurs participations minoritaires dans un même secteur. Le Bureau de la concurrence a appuyé cette cause avec enthousiasme et pose désormais régulièrement aux fonds de capital d'investissement des questions sur les participations minoritaires, y compris les informations suivantes : (1) tout actionnaire direct ou indirect de 10 % ou plus du fonds; et (2) toute participation directe ou indirecte de 10 % ou plus en aval du fonds. Lorsque le Bureau de la concurrence dispose de renseignements sur ces personnes ou entités, d'autres questions peuvent être soulevées concernant tout intérêt de 10 % ou plus détenu par ces personnes ou entités dans tout organisme faisant concurrence à la cible.

Lorsque de tels investissements minoritaires se chevauchent, le Bureau de la concurrence peut demander des renseignements supplémentaires (y compris des renseignements sur les clients et/ou les fournisseurs) à ces entités. Les réponses à ces questions peuvent constituer un défi pour un investisseur minoritaire qui ne joue aucun rôle dans les activités quotidiennes de l'entreprise. L'actionnaire majoritaire pourrait en outre ne pas vouloir fournir ces renseignements confidentiels, ce qui entraînerait des retards dans l'examen du Bureau de la concurrence, voire une « pause » dans le délai de service du Bureau.

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Nos groupes chef de file en Droit de la concurrence/antitrust et de l'investissement étranger et en Capital d'investissement privé et investissements ont conclu avec succès des centaines de transactions de capital d'investissement privé soumises au contrôle des fusions au Canada, y compris des transactions difficiles nécessitant un examen de phase II et des mesures correctives. Veuillez communiquer avec nous pour en savoir plus.

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