• Dans son arrêt du 8 novembre 2018, la Cour suprême du Canada a infirmé la décision de la Cour d'appel fédérale (Callidus Capital Corporation c. Canada, 2018 CSC 47).
  • La Cour suprême a déclaré que les fiducies présumées en matière de TPS-TVH deviennent inopposables à un créancier garanti dès la date de la faillite du débiteur fiscal, lorsque le créancier garanti a reçu avant la date de la faillite, le produit des biens du débiteur fiscal qui étaient réputés détenus en fiducie pour la Couronne.
  • L'arrêt Callidus a été chaleureusement accueilli par les créanciers garantis et les praticiens en insolvabilité et en taxes à la consommation, lesquels perçoivent cette décision comme rétablissant la confiance dans le secteur du financement garanti.
  • Toutefois, une autre décision récente de la Cour fédérale Canada c. Banque Toronto-Dominion soutient qu'une fiducie présumée en matière de TPS-TVH demeure probablement en vigueur lorsqu'aucune faillite n'est déclarée entre le moment de la réception par le créancier garanti du produit de la vente d'un bien du débiteur fiscal et la mesure d'exécution exercée par l'État en regard de ce produit.
  • Il reste à voir quelles seront les conséquences pratiques de l'arrêt Callidus de la Cour suprême, et quelles stratégies les prêteurs garantis et les autorités fiscales mettront en place dans le contexte de l'insolvabilité d'un débiteur.

Contexte

Dans une décision unanime rendue séance tenante, la Cour suprême a récemment infirmé la décision de la Cour d'appel fédérale décision de la Cour d'appel fédérale (la « CAF) rendue dans l'arrêt Canada c. Callidus Capital Corporation. La Cour suprême a confirmé les motifs du juge dissident de la CAF selon laquelle la décision initiale de la Cour fédérale de 2015 était correcte.

La Cour suprême résume ainsi la question en litige examinée par les trois instances :

« La faillite d'un débiteur fiscal, selon ce que prévoit le paragraphe 222(1.1) de la [LTA], a-t-elle pour effet de rendre la fiducie présumée dont parle l'article 222 de la LTA inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens de ce débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie pour la [Couronne]? »

La Couronne jouit d'une priorité absolue sur le produit remis à un créancier garanti provenant des biens d'un débiteur garanti puisqu'avant la faillite de ce débiteur fiscal, ce produit est assujetti à une fiducie présumée aux termes de l'article 222 de la LTA. Il est clair au sens de la LTA que cette fiducie présumée ne survit pas à la faillite. Toutefois, il s'agit probablement du premier jugement appliquant cette disposition dans un contexte où le produit de la vente des biens d'un débiteur fiscal (présumés être détenus en fiducie) a été remis à un créancier garanti, puis réclamé par la Couronne avant la faillite, alors qu'aucune mesure d'exécution n'a été prise (et ne pouvait probablement pas être prise) par la Couronne avant cette faillite.

Cours des évènements

Entre 2010 et 2013, Cheese Factory Road Hodings Inc. (« Cheese Factory »), qui, malgré son nom, était une société exploitant une entreprise d'investissement immobilier, a perçu des montants de TPS et de TVH totalisant 177 299,70 $, sans les verser au receveur général du Canada. En application du paragraphe 222(1) de la LTA, les sommes ainsi détenues étaient présumées l'être en fiducie pour Sa Majesté.

Pendant ce temps, Cheese Factory a obtenu une facilité de crédit garantie d'une importante banque à charte (la « banque »). En décembre 2011, la banque a cédé ses intérêts afférents à la dette de Cheese Factory à Callidus Capital Corporation (« Callidus »). Cheese Factory, qui était alors en défaut de la facilité de crédit de la banque, a conclu un accord d'abstention avec Callidus, par lequel elle s'engageait à mettre sur le marché certaines propriétés immobilières et de verser le produit net des ventes à Callidus. Le 5 avril 2012, Cheese Factory a réussi à vendre une de ses propriétés au montant de 790 000 $ et a dûment remis le produit net de cette vente à Callidus quatre jours plus tard, en remboursement partiel de sa dette.

Quelques jours plus tôt, le 2 avril 2012, la Couronne avait envoyé une lettre à Callidus réclamant 90 844,33$ à titre de la TPS et TVH non versée, en application de la fiducie présumée prévue au paragraphe 222(3) de la LTA. La Couronne demandait que tous les produits reçus par Callidus provenant de la vente du bien de Cheese Factory soient affectés au receveur général du Canada jusqu'à concurrence de la somme équivalant à la fiducie présumée. Cette demande semble avoir été ignorée par Callidus. Plus de 7 mois plus tard, en novembre 2013, Cheese Factory a fait une cession de ses biens en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « Loi sur la faillite ») à la demande de Callidus. Peu de temps après, la Couronne a officiellement entrepris un recours contre Callidus en déposant une demande introductive d'instance à la Cour fédérale.

Les décisions

La Cour fédérale

Selon la Cour fédérale, la faillite de Cheese Factory a eu pour effet de rendre inopposable la fiducie présumée créée par les paragraphes 222(1) et 222(3) de la LTA. La Cour d'appel fonde sa décision sur le paragraphe 222(1.1), qui dispose que la fiducie présumée prévue au paragraphe 222(1) s'éteint par la faillite d'un débiteur fiscal. La Cour fédérale souligne que les paragraphes 67(2) et 67(3) de la Loi sur la faillite renforcent cette disposition en prévoyant clairement que la fiducie présumée s'éteint par la faillite, à moins que le montant déduit ne constitue une retenue à la source. La Cour fédérale se fonde également sur l'arrêt Century Services Inc. c. Canada (Procureur général) de la Cour suprême, dans lequel la Cour affirme que le paragraphe 67(3) de la Loi sur la faillite « énonc[e] expressément que les fiducies réputées visant les retenues à la source continuent de produire leurs effets en cas d'insolvabilité » et que le Législateur a donc « clairement établi des exceptions à la règle générale selon laquelle les fiducies réputées n'ont plus d'effet dans un contexte d'insolvabilité ». Selon la Cour fédérale, l'absence d'exception à la Loi sur la faillite à l'égard de fiducies présumées en matière de taxe de vente doit s'interpréter comme indiquant l'intention du législateur que cette fiducie devienne caduque au moment de l'introduction d'une procédure d'insolvabilité.

Cour d'appel fédérale

Dans sa décision majoritaire rendue par le juge Rennie, et à laquelle le juge Near a souscrit, la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision de la Cour fédérale. La majorité de la CAF a soutenu qu'en dépit de la faillite subséquente d'un débiteur, un créancier garanti ayant reçu des montants assujettis à la fiducie présumée prévue par le paragraphe 222(3) de la LTA demeure dans l'obligation de verser ces produits à la Couronne. Dans le contexte de cette affaire, le créancier garanti était personnellement responsable envers la Couronne du versement de ces sommes. Selon la majorité, une décision contraire irait à l'encontre de l'objet de la fiducie présumée, puisque cela permettrait à un créancier garanti de manipuler les sûretés pré et post-faillite et « aurait l'effet pervers d'inciter les créanciers garantis à contourner le mécanisme de fiducie présumée ».

Dans ses motifs dissidents, le juge Pelletier est d'avis que la fiducie présumée créée par le paragraphe 222(3) de la LTA s'était éteinte par la faillite du débiteur faute de matière par l'effet du paragraphe 222(1.1). En l'espèce, à partir de la date de la faillite, il n'y avait aucune somme assujettie à la fiducie créée par le paragraphe 222(1) de la LTA et, par conséquent, aucun bien du débiteur n'était assujetti à une fiducie présumée sous le régime du paragraphe 222(3). Par conséquent, le créancier garanti Callidus n'était redevable à la Couronne d'aucun produit découlant de ces biens. Le juge Pelletier a conclu son argument en déclarant que la signification avant la faillite d'une demande formelle de paiement à Callidus était dénuée de pertinence en l'espèce. Il a conclu en déclarant que :

« (...) l'examen textuel de l'article 222 de la Loi nous apprend que les fiducies présumées qu'instituent respectivement ses paragraphes (1) et (3) sont liées de telle sorte que l'extinction de la première au moment de la faillite — par l'effet du paragraphe (1.1) — met en même temps fin à la seconde ».

Cour suprême du Canada

L'opinion dissidente du juge Pelletier a ouvert la porte à un appel devant la Cour suprême. Dans un jugement rendu séance tenante, la Cour n'a pas rendu de motifs substantiels, mais a plutôt fait siens les motifs dissidents du juge Pelletier, infirmant ainsi la décision majoritaire de la CAF et rétablissant la décision de la Cour fédérale. En ce faisant, la Cour suprême a clairement affirmé que les fiducies présumées en application des paragraphes 222(1) et 222(3) de la LTA deviennent inopposables en date de la faillite d'un débiteur fiscal à un créancier garanti ayant reçu le produit des biens de ce débiteur alors qu'ils étaient présumés être détenus en fiducie pour la Couronne, même lorsque ces produits ont été perçus avant la faillite.

Commentaires

La décision de la Cour suprême clarifie l'état du droit en matière de fiducie présumée aux fins du paragraphe 222(3) de la LTA, dans le contexte de la faillite d'un débiteur fiscal. Il faut toutefois souligner que ce résultat pourrait être différent en l'absence de faillite.

Dans sa décision récente du 25 mai 2018 Canada c. Banque Toronto-Dominion, la Cour fédérale a tranché en faveur de la Couronne, qui poursuivait une Banque pour les paiements reçus d'un de ses clients, qui avait vendu sa maison et utilisé le produit de la vente pour rembourser sa marge de crédit et son hypothèque personnelles. La Banque n'a pas exécuté sa garantie contre son client, qui n'a pas fait faillite, et les garanties enregistrées sur la maison de ce dernier ont fait l'objet d'une mainlevée. Au moment du remboursement, la Banque ne savait pas que l'entreprise d'entretien paysager de son client devait des montants de TPS à la Couronne. La Banque a donc reçu une lettre des autorités fiscales lui réclamant une somme de 67 854 $ qu'elle devait payer à même le produit de la vente de la maison et ce, en remboursement de la TPS non versée de son client, ce que la Banque a refusé de faire.

La Cour fédérale n'a pas été ébranlée par l'argument de la Banque, qui alléguait être un « acquéreur de bonne foi et à titre onéreux » (cet état n'étant pas pertinent considérant le libellé de la Loi) et a rejeté ses prétentions selon lesquelles le terme « produit » prévu au paragraphe 222(3) de la LTA renvoie uniquement au produit découlant d'une vente initiée par la partie de qui le paiement est exigé (la Banque en l'espèce), plutôt que le produit provenant d'une vente volontaire réalisée par le débiteur fiscal. La Cour fédérale a tranché que la maison du débiteur était assujettie au mécanisme de la fiducie présumée prévue par l'article 222 de la LTA et que tout le produit découlant de sa vente devait être prioritairement versé à la Couronne, conformément à l'article 222 de la LTA et à l'article 227 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans la mesure où cette somme a plutôt été versée à un créancier garanti comme la Banque, la Couronne peut recouvrer ces produits directement de ce créancier garanti. Par ailleurs, il est à noter que le paragraphe 222(4) de la LTA exclut les droits « visés par règlement » du mécanisme de la fiducie présumée. Cette disposition permet d'exclure une certaine portion d'une hypothèque de la fiducie présumée, dans la mesure où cette hypothèque a été inscrite avant le moment où un montant visé par l'article 222 de la LTA est réputé être détenu en fiducie par la personne. Toutefois, dans cette décision, la Banque ne possédait pas de « droits visés par règlement » puisque ses sûretés avaient été inscrites après la perception de la TPS par son client.

Compte tenu de la responsabilité personnelle de remboursement qui peut exister lorsque le produit est assujetti à une fiducie présumée, les prêteurs devraient être prudents lorsqu'ils sont en présence de demandes visant la TPS/TVH non remise. Les décisions qui précèdent rappellent avec force les effets drastiques que la faillite d'un débiteur peut avoir. Comme le juge Pelletier le soulignait dans ses motifs dissidents confirmés par la Cour suprême :

« J'admets qu'on obtient ainsi une situation où le créancier garanti se trouve incité à retarder le versement dans l'espoir que s'éteindra la fiducie présumée du paragraphe (1), et peut même essayer de réaliser cet espoir en formant une requête de mise en faillite contre le débiteur fiscal. »

Il reste à voir quelles seront les conséquences pratiques de l'arrêt Callidus de la Cour suprême au regard des stratégies mises en Suvre par les prêteurs garantis et les autorités fiscales, ces dernières ayant un intérêt supplémentaire à exercer des mesures de recouvrement auprès de tiers pour obtenir le paiement de toutes les taxes de vente non versées en lien avec le débiteur fiscal et ce, avant la déclaration d'une faillite.

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