Dans une décision récente de la Cour d’appel fédérale (« CAF »), CIBC World Markets Inc c Sa Majesté la Reine, 2019 CAF 147, la filiale (une banque d’investissement) canadienne (la « société de placement ») d’une grande banque canadienne (la « Banque ») a remporté son appel d’une décision défavorable de la Cour canadienne de l'impôt datée de 2018 concernant sa réclamation de crédits de taxe sur les intrants (« CTI »). Les CTI en question étaient liés à la TPS/TVH payée sur certaines fournitures exportées par la société de placement en lien avec les activités que la Banque exerce en dehors du Canada.

Contexte

Entre autres activités, la société de placement fournit des services administratifs à la Banque en lien avec ses établissements stables à l’étranger. Pour les périodes de déclaration entre 2008 à 2013, la société de placement a demandé les CTI relativement aux dépenses attribuables à ces services.

En qualité de membres d’un « groupe étroitement lié », la Banque et la société de placement avaient fait le choix prévu par le paragraphe 150(1) (le « choix prévu à l’article 150 ») de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »). Par conséquent, les fournitures effectuées entre les deux entités étaient réputées être des « services financiers » et de ce fait, exonérées en vertu de l’article 2 de la partie VII de l’Annexe V (l’« annexe portant sur les fournitures exonérées »). Les inscrits qui effectuent des fournitures exonérées ne peuvent réclamer les CTI sur les intrants liés à ces fournitures.

Toutefois, la partie IX de l’annexe VI de la LTA (l’« annexe portant sur les fournitures détaxées ») établit le principe général selon lequel les fournitures exportées sont détaxées (c.-à-d., taxées à 0 %). Les inscrits peuvent réclamer les CTI sur les intrants liés à des fournitures détaxées.

La Cour canadienne de l’impôt établit qu’une fourniture taxable dont la source est le Canada et qui est également réputée être un service financier en vertu du choix prévu à l’article 150 demeure une fourniture exonérée même si elle est « exportée » vers une succursale étrangère.

Dans cet appel à la CAF, la société de placement a soutenu :

  • que la Banque était, en fait, réputée être une personne non résidante quant aux activités qu’elle exerce par l’entremise de ses établissements stables à l’étranger et ne pouvait donc être partie au choix prévu à l’article 150, ni être liée par ce choix en ce qui a trait aux fournitures effectuées dans le cadre de ces activités;
  • que la fiction juridique créée par le paragraphe 132(3) aurait dû être respectée de sorte que les fournitures en question soient considérées comme ayant été effectuées à une personne non résidante distincte.

Décision de la Cour canadienne de l’impôt

Positions des parties

La position initiale de la Couronne se fondait sur le fait selon lequel la société de placement et la Banque avaient fait le choix prévu à l’article 150. Son raisonnement peut se résumer ainsi :

  1. À l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées, il est précisé qu’une fourniture qui est réputée aux termes du choix prévu à l’article 150 être un service financier est exonérée;
  2. Puisque les inscrits qui effectuent des fournitures exonérées ne peuvent réclamer les CTI sur les intrants liés à ces fournitures, la société de placement ne peut demander les CTI relativement à ses fournitures destinées aux succursales étrangères de la Banque.

Dans son appel, la société de placement a présenté deux arguments distincts :

  1. Le choix prévu à l’article 150 ne s’appliquait pas aux fournitures parce que la Banque (sur la base du paragraphe 132(3) de la LTA) était réputée être une « personne distincte » relativement aux activités qu’elle exerçait à l’extérieur du Canada par l’intermédiaire de ses succursales non résidentes;
  2. Cette « personne distincte » n’était pas partie au choix prévu à l’article 150.

Selon l’argument subsidiaire de la société de placement, même s’il était conclu que le choix prévu à l’article 150 s’appliquait aux services exportés, ces services financiers réputés seraient tout de même détaxés aux termes de la partie IX de l’annexe portant sur les fournitures détaxées en tant que fourniture effectuée par une institution financière à une personne non résidante.

Raisonnement de la Cour canadienne de l’impôt

La Cour canadienne de l’impôt circonscrit ainsi les questions à trancher : aux termes du choix prévu à l’article 150, des fournitures effectuées à une succursale non résidante sont-elles réputées être des services financiers exonérés à l’égard desquels aucun CTI ne peut être demandé? Dans l’affirmative, l’appelante est-elle néanmoins autorisée à demander les CTI au motif que les services financiers exportés sont détaxés en application de l’annexe portant sur les fournitures exonérées, et ne constituent pas des fournitures exonérées visées à l’annexe portant sur les fournitures exonérées?

La Cour canadienne de l’impôt a fait observer qu’il existe un conflit entre les paragraphes 132(2) et 150(1) de la LTA, conflit qu’elle a résolu en concluant que la présomption prévue au paragraphe 132(2) a une portée limitée (puisqu’elle ne précise pas que la filiale non résidante, aux fins de la fourniture des biens et services, est réputée être une personne distincte). La Cour a conclu que, si le législateur entendait créer une présomption quant à l’existence de personnes distinctes, il aurait opté pour un libellé semblable à celui du paragraphe 132(4), qui indique clairement que les établissements stables sont réputés être des « personnes distinctes » aux fins d’effectuer des fournitures.

Il s’ensuit de cette conclusion l’existence d’un conflit d’objet. Les fournitures échangées entre la société de placement et la Banque sont réputées, aux termes du choix prévu à l’article 150, être des services financiers et sont aussi considérées comme des fournitures exonérées en vertu de l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées. Cependant, puisque les services ont été « exportés » et non pas consommés au Canada, ils peuvent aussi être considérés détaxés en vertu de la partie IX de l’annexe portant sur les fournitures détaxées et être exclus de l’annexe sur les fournitures exonérées, conformément à l’article 1 de la partie VII de cette annexe. Par conséquent, le problème consiste à trouver un moyen de rapprocher l’effet sur le fond du choix prévu à l’article 150, aux termes duquel la TPS/TVH est imposée sur les services financiers, du principe général voulant que les fournitures exportées ne soient pas assujetties à la TPS/TVH.

Sur le fondement de l’analyse téléologique présentée dans Assurance-vie Banque Nationale, Compagnie d'assurance-vie c. Canada, 2006 CAF 161, la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’article 2 de la partie VII de l’annexe sur les fournitures exonérées a prépondérance sur l’article 1 de cette annexe, qui prévoit que la fourniture de services financiers qui n’est pas comprise dans la partie IX de l’annexe portant sur les fournitures détaxées est exonérée. Par conséquent, la société de placement n’avait pas droit aux CTI.

La décision de la CAF

Positions des parties

Le seul argument de la société de placement en appel était que les fournitures faites aux établissements stables à l’étranger de la Banque n’étaient pas visées par le paragraphe 150(1) puisque le choix prévu à l’article 150 ne peut intervenir qu’entre des personnes qui résident au Canada. Selon la société de placement, la Banque aurait dû être considérée comme une personne non résidante en ce qui concerne les activités exercées par l’entremise de ses établissements stables à l’étranger en vertu du paragraphe 132(3) de la LTA et, par conséquent, les fournitures faites aux établissements stables à l’étranger de la Banque ne seraient pas visées par le paragraphe 150(1). (paragraphe 18)

En réponse, la Couronne a soutenu que, selon le paragraphe 132(3) de la LTA, les établissements à l’étranger de la Banque n’étaient pas réputés être des personnes non résidantes distinctes et que la CAF ne pouvait faire fi du libellé clair des paragraphes 150(1) et 132(3) pour atteindre un objectif de politique fiscale. (paragraphes 21 et 24) 

Litige

La question à trancher était celle de savoir si le choix prévu à l’article 150 visait toutes les fournitures faites à la Banque par la société de placement, y compris celles faites en lien avec les activités exercées par la Banque par l’entremise de ses établissements stables à l’étranger. (paragraphe 26)

La décision

Le conflit entre les paragraphes 150(1) et 132(3) de la LTA

Dans une décision rendue par le juge en chef Noël, la CAF a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel, puisque le législateur avait clairement exprimé son intention dans les dispositions, une interprétation téléologique ne saurait modifier l’issue du litige. Le juge Noël a confirmé, comme expliqué dans Hillier c. Canada (Procureur de la Couronne), 2019 CAF 44, au paragraphe 24, que même si la disposition semble précise et non équivoque, il est nécessaire d’examiner l’objet de la loi et le contexte législatif. (paragraphe 27)

Les paragraphes 132(2), (3) et (4) font partie d’un régime établi par le législateur qui entendait faire compter les fournitures transfrontalières faisant intervenir des établissements stables pour permettre le même traitement fiscal dans ce cas que celui qui s’appliquerait à des personnes qui exercent leurs activités par le truchement de filiales, plutôt que d’établissements stables. (paragraphe 33)

Contrairement aux paragraphes 132(2), (3) et (4), le paragraphe 150(1) de la LTA ne s’applique qu’aux fournitures effectuées au sein d’un groupe étroitement lié et permet que deux membres ou plus de ce groupe, à condition que chacun réside au Canada, fassent un choix suivant lequel les fournitures effectuées au sein du groupe qui seraient par ailleurs taxables soient assimilées à des fournitures exonérées. (paragraphe 34)

Le juge en chef Noël a aussi examiné le contexte dans lequel le paragraphe 150(1) de la LTA a été adopté et a conclu que la décision a été prise de traiter les services financiers qui sont fournis au pays comme des fournitures exonérées et de maintenir le traitement applicable aux services exportés pour ceux qui sont fournis à des personnes qui ne résident pas au Canada. (paragraphe 37)

L’exigence portant sur la résidence

Le juge en chef Noël a ensuite examiné l’exigence portant sur la résidence en vertu de la LTA et a conclu qu’un établissement stable n’a pas la personnalité juridique et qu’à défaut d’une règle particulière, une fourniture effectuée par une personne qui réside au Canada au profit de son établissement stable à l’étranger ne serait pas reconnue comme telle, car une fourniture ne peut s’effectuer qu’entre deux personnes distinctes. (paragraphe 31)

Contrairement à la décision de la Cour canadienne de l’impôt, le juge en chef Noël a conclu que la mention de deux personnes distinctes au paragraphe 132(4) de la LTA pouvait s’expliquer par le fait que deux établissements stables sont en cause et que, par conséquent, même si ce n’est pas clairement mentionné, le paragraphe 132(3) concerne lui aussi deux personnes distinctes, soit la « personne qui réside au Canada » elle-même et son « établissement stable ». (paragraphe 42)

La Couronne a soutenu que le paragraphe 150(1) de la LTA a aussi pour but d’éliminer la nécessité de faire l’allocation des CTI lorsque des fournitures tant intérieures que transfrontalières sont effectuées entre les parties au choix prévu à l’article 150. Le juge en chef Noël a rejeté cet argument, car il ne tenait pas compte du fait que le choix prévu à l’article 150 est réservé à des personnes qui résident au Canada et ne s’applique que dans le cas où seules des fournitures intérieures sont effectuées entre de telles personnes. (paragraphe 52-53)

Le juge en chef Noël a aussi conclu que l’application du paragraphe 150(1) de la LTA à des fournitures qui sont réputées avoir été exportées en vertu du paragraphe 132(3) ferait échec à la neutralité fiscale que cette disposition cherche à établir en imposant un traitement moins favorable et plus onéreux aux institutions financières qui exercent leurs activités à l’étranger par l’entremise de succursales plutôt que de filiales. (paragraphe 54)

Le juge en chef Noël a finalement conclu que, puisque la Banque est réputée être une personne non résidante distincte pour ce qui est des activités qu’elle exerce par l’entremise de ses établissements stables à l’étranger, les services rendus à ces établissements dans le cadre de ces activités sont à l’extérieur du champ d’application du paragraphe 150(1) et ainsi ne sont pas réputés être des services financiers. Ces services doivent par conséquent être considérés comme des fournitures exportées lesquelles sont détaxées par l’effet combiné du paragraphe 132(3) et des articles 7 et 23 de la partie V de l’annexe portant sur les fournitures détaxées. La société de placement était donc en position de demander les CTI. (paragraphe 57)

Principales conclusions

Interprétation des lois

La CAF a confirmé que, même lorsqu’une disposition législative semble claire et sans équivoque, il est quand même nécessaire d’examiner l’objet de la loi et le contexte législatif. Si l’examen élargi de deux dispositions conflictuelles met à jour une ambiguïté, il faut déterminer s’il est possible de faire fonctionner ces deux dispositions d’une manière cohérente qui donne effet au régime légal. (paragraphes 27-28) 

Activités des établissements stables à l’étranger

La CAF a aussi conclu que, dans le contexte du choix prévu à l’article 150, lorsqu’une personne est réputée être une personne non résidante distincte en ce qui concerne les activités qu’elle exerce par l’entremise de ses établissements stables à l’étranger, les services rendus à ces établissements dans le cadre de ces activités sont à l’extérieur du champ d’application du paragraphe 150(1) et doivent donc être considérés comme des fournitures exportées détaxées.

L’effet de la décision sur l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées

Soulignons que la CAF n’a pas examiné l’application de l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées. Dans la décision de la Cour canadienne de l’impôt, le juge Bocock s’est demandé si l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées prévalait sur l’article 1 de la même annexe, selon lequel la fourniture d’un service financier qui n’est pas inclus dans la partie IX de l’annexe portant sur les fournitures détaxées est exonérée. Sa conclusion était affirmative. Avant l’entrée en vigueur de l’article 2, les services financiers réputés aux termes du choix prévu à l’article 150 étaient visés soit par l’annexe portant sur les fournitures exonérées s’ils étaient consommés au pays, ou par l’annexe portant sur les fournitures détaxées, s’ils étaient exportés. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de l’article 2, qui établit expressément que les services financiers réputés sont pris en compte par le choix prévu à l’article 150, sans distinction aucune entre les services consommés au pays et les services exportés, les services financiers réputés sont exclusivement redirigés vers l’annexe portant sur les fournitures exonérées, en tant que fournitures exonérées. À cet égard, la décision de la CAF semble aller à l’encontre de l’objectif précis qui a mené à l’adoption de l’article 2 de la partie VII de l’annexe portant sur les fournitures exonérées. Il est probable que le législateur, lors de l’adoption de cette disposition, visait particulièrement les services fournis aux établissements stables à l’étranger.

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