En matière d'assurance basée sur la survenance des dommages (« occurrence-based »), la théorie du « continuous trigger » a toujours la cote, indique la Cour d'appel dans un jugement récent.

La théorie suggère qu'une police d'assurance de responsabilité basée sur la survenance des dommages sera déclenchée indistinctement lorsque les dommages surviennent, que ce soit lors de la première survenance des dommages ou lorsqu'ils continuent à survenir. Elle est généralement opposée à la théorie du « injury in fact », laquelle s'intéresse au premier moment de la survenance des dommages comme élément déclencheur, ou à la théorie de la manifestation, qui s'intéresse plutôt à l'apparition des dommages en question.

Ce débat, d'apparence théorique, est d'une importance certaine en matière de litige et de couverture d'assurance. En effet, le choix d'une théorie peut mener au déclenchement de polices d'assurances différentes lorsque les dommages s'étendent sur plus d'une période d'assurance.

Contexte et jugements de première instance

Dans l'affaire Groupe Royal inc. c. Crewcut Investments Inc. (2019 QCCA 1839), c'est le jaunissement d'intercalaire de fenêtres et la présence de buées chimiques entre les vitres d'unités de vitrage qui portent la Cour d'appel à se pencher sur la question des théories de déclenchement.

Entre 1996 et 2000, trois compagnies fournissent à Multiver, une entreprise spécialisée dans la fabrication de vitrage, et Bocenor, spécialisée dans les portes et fenêtres, des intercalaires en polymère extrudé servant à la fabrication d'unités de vitrage scellées. La détérioration prématurée de l'intercalaire a mené à l'apparition des défauts susmentionnés dans les unités de vitrage. Par conséquent, des centaines de milliers d'unités ont dû être rappelées et remplacées par Multiver et Bocenor. Les vendeurs et fabricants des unités de vitrage ont donc intenté des recours à l'encontre des fournisseurs d'intercalaires défectueux.

Dans le cadre d'un procès en deux phases, la Cour supérieure a retenu dans un premier temps la responsabilité solidaire des fournisseurs et le fabricant d'intercalaires pour les défauts constatés. Dans un second temps, elle a conclu au partage de la responsabilité à parts égales entre les fournisseurs.

Dans le cadre du second procès pourtant sur la quantification des dommages, la Cour s'est prononcée sur le recours en garantie d'un des fournisseurs contre Lombard, son assureur de responsabilité pour les dommages survenus entre le 1er juillet 1995 et le 30 mars 2004. Le fournisseur avait un autre assureur de responsabilité pour la période du 30 mars 2004 au 30 mars 2008, suivant les mêmes conditions. La Cour supérieure a conclu qu'il est impossible de déterminer le moment exact où les dommages sont survenus. Elle a appliqué la théorie du « continuous trigger » et a partagé les dommages au prorata des périodes de couverture concernées.

La décision de la Cour d'appel

Dans un premier temps, la Cour d'appel confirme que le choix de la théorie du « continuous trigger » était approprié en l'espèce. Dans les circonstances, les dommages commençaient à survenir lorsque l'intercalaire était incorporé à une unité de verre scellée et continuaient pendant que l'unité était incorporée. Les dommages ne commençaient pas au moment où le propriétaire de l'unité constatait un jaunissement ou l'apparition de buée. La Cour d'appel ajoute que l'argument inverse aurait pour effet de faire de la date du sinistre la date de survenance des dommages, ce qui est contraire à la définition de dommage matériel contenue dans la police.

La Cour d'appel rejette également la suggestion que l'on devait évaluer le point de départ individuellement pour chacun des produits défectueux. En raison de la surabondance du nombre d'unités retournées (134 865), elle accepte qu'il aurait été déraisonnable de procéder ainsi. La solution de prendre comme point de départ la première fabrication de l'intercalaire par le fabricant, était, en l'absence de jurisprudence sur la question, « efficace et conforme au principe de proportionnalité ».

Dans un second temps, la Cour d'appel a jugé que le fardeau de preuve n'était pas rencontré pour modifier la conclusion de fait que la période de survenance des dommages se terminait en mars 2008. La Cour supérieure avait déterminé que puisque la dégradation rapide de l'intercalaire était démontrée, il n'y avait pas lieu de départir les dommages après cette date.

À la lumière de cette décision, la Cour d'appel voit d'un Sil favorable le recours à la théorie du « continuous trigger » par les juges de première instance afin de faciliter l'allocation des dommages sur plusieurs périodes d'assurance lorsqu'il apparaît difficile, voire impossible, d'identifier le moment exact de la survenance des dommages.

La Cour d'appel suggère également que même dans le cas de l'application de cette théorie, la détermination individualisée du point départ des dommages continus n'est pas absolument nécessaire lorsque l'exercice s'avère extrêmement laborieux. La proportionnalité doit guider les juges de première instance dans de tels cas.

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