Actuellement en première lecture à l'Assemblée Nationale, le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (le « Projet de loi ») a été amendé par la Commission des affaires économiques qui a publié le résultat de ses travaux le 24 avril dernier.

Le Projet de loi tel qu'amendé sera discuté en séance publique à partir du 22 mai prochain et pourrait être porteur d'une véritable révolution de l'encadrement légal des relations commerciales entre acteurs du secteur agro-alimentaire.

Il prévoit des remaniements dans le secteur de l'agro-alimentaire relatifs notamment (1) au seuil de revente à perte et aux opérations promotionnelles, (2) à la formalisation des négociations commerciales et (3) aux sanctions applicables aux entreprises contrevenantes. Le Projet de loi pourrait également déjà porter le germe de réformes futures (4).

1/ Le relèvement du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions dans le cadre de la commercialisation des denrées alimentaires

Dans l'un de ses articles les plus médiatisés (article 9), le Projet de loi prévoit, pour la commercialisation des denrées alimentaires aux consommateurs :

  1. un relèvement du seuil de revente à perte qui serait égal à 1.1 fois le prix d'achat effectif de ces produits (tel que défini par le code de commerce) ; et
  2. un encadrement en valeur et en volume des opérations promotionnelles, dont les modalités exactes restent à préciser mais qui pourrait être matérialisé par une limitation du pourcentage de réduction possible et du volume de produits faisant l'objet de telles promotions.

Ces deux mesures phares demeurent inchangées à l'issue de l'examen du Projet de loi par la Commission des affaires économiques, à l'exception toutefois de l'inclusion dans le champ de ces dispositifs des denrées alimentaires pour les animaux domestiques. Il est prévu que le gouvernement sera habilité, dans un délai de quatre mois à compter de la publication de la loi, à prendre toute mesure nécessaire pour encadrer ces dispositifs sur une durée « test » de deux ans.

Le fait que cette durée soit limitée dans le temps et définie comme étant une période « test » permettrait-il de faire échapper ces deux mesures à une possible remise en cause au niveau communautaire ? En effet, les pratiques qu'elles encadrent entrent en principe dans le champ d'application de la Directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs (la « Directive ») et, en tant que telles, ne pourraient donc pas faire l'objet d'une interdiction ou d'une limitation dès lors qu'elles ne figurent pas sur la liste noire de la Directive, mais devraient plutôt être appréciées in concreto afin de déterminer leur éventuelle déloyauté au regard des dispositions du code de la consommation. A suivre...

2/ L'avenir de la convention unique dans le secteur agro-alimentaire

De manière plus inattendue, un amendement porté par le rapporteur de la Commission des affaires économiques Monsieur Moreau prévoit d'exclure les produits agricoles et alimentaires de l'obligation de formalisation de la convention unique (conclue annuellement ou pour 2 ou 3 ans depuis la Loi Sapin 2 n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (la « Loi Sapin 2 »)) (article 10 ter nouveau).

Cette obligation, portée par les articles L.441-7 et L.441-7-1 du code de commerce, impose aux fournisseurs et distributeurs concernés de formaliser leurs négociations commerciales dans une convention unique. Une telle formalisation du résultat de la négociation dans un document unique poursuit, depuis son entrée en vigueur en 2008, un but de transparence des relations commerciales, sécurisation des négociations et de facilitation des contrôles réalisés par les autorités et les juges. Seuls certains produits sont ainsi aujourd'hui exclus du champ d'application de ces dispositions du fait de leur particularité (notamment les produits listés à l'article L. 441-2-1 du code de commerce).

La sortie de l'ensemble des produits alimentaires et agricoles du dispositif de la convention unique poserait en conséquence la question des éventuels dispositifs nouveaux qui pourront remplacer cet encadrement des négociations commerciales dans l'agro-alimentaire pour assurer la transparence et la sécurisation nécessaires.

A noter qu'une telle volonté de restreindre le champ d'application de la convention unique n'avait pas été évoquée lors des derniers Etats Généraux de l'Alimentation (à la différence des mesures concernant la revente à perte et les opérations promotionnelles) et inquiète plus d'un acteur du secteur. Par le passé déjà, dans le texte adopté par l'Assemblée Nationale en première lecture de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite « Loi Macron »), un amendement avait envisagé de limiter aux relations entre fournisseurs et distributeurs de commerce de détail l'application de l'article L.441-7 du code de commerce. A l'époque, la proposition n'avait cependant pas survécu à l'examen du projet de loi par le Sénat, qui avait exclu l'amendement soulignant qu' « une mesure aussi drastique, soudaine et non concertée n'est réclamée par aucun acteur (...). ». Le législateur avait à l'époque préféré adopter une convention unique spéciale grossistes aujourd'hui prévue à l'article L. 441-7-1 du code de commerce.

3/ Sanctions et médiatisation

Plusieurs amendements adoptés par la Commission des affaires économiques visent par ailleurs à accroitre la pression sur les entreprises du secteur agro-alimentaire, et notamment les enseignes de grande distribution et leurs centrales de référencement et d'achat.

Un amendement envisage notamment de renforcer le dispositif de sanction du défaut de dépôt des comptes par les dirigeants de ces entreprises, issu de la Loi Sapin 2. L'article 5 quinquies nouveau du Projet de loi prévoit en effet qu'en cas de manquements répétés à l'obligation de dépôt de leurs comptes, le Président du tribunal de commerce pourra directement adresser à ces entreprises, une injonction de s'exécuter à bref délai sous astreinte journalière pouvant aller jusqu'à 2% de son chiffre d'affaires journalier moyen, et ce sans avoir à être préalablement saisi par le président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires comme c'est aujourd'hui le cas.

Le Projet de loi envisage également, sur le principe du « name and shame », de rendre systématique la publication de toute décision de sanction des professionnels pour pratiques commerciales trompeuses ou agressives (article 10 quater nouveau), générant un risque accru en termes d'image et de réputation pour les professionnels concernés.

4/ De nouvelles reformes à prévoir ?

La Commission des affaires économiques a adopté un amendement selon lequel sera publié un rapport par le Gouvernement au Parlement suivant la promulgation de la loi. Ce rapport aurait pour double objectif d'identifier les éventuelles stratégies de contournement mises en place par les acteurs économiques concernés et d'en tirer des pistes de réformes pertinentes.

A ce stade, l'article 10 septies nouveau du Projet de loi tel qu'amendé prévoit ainsi que le rapport présentera :

  1. les mécanismes mis en Suvre par les acteurs économiques afin de s'exonérer des nouveautés imposées par la loi,
  2. les situations récentes de transfert de négociations commerciales dans d'autres pays,
  3. les conséquences des évolutions législatives françaises sur les régions et départements français frontaliers d'autres pays européens et sur l'évolution de l'économie française,
  4. les voies d'amélioration de la législation afin d'éviter la création ou la perpétuation de pratiques visant à contourner sciemment la loi française en cours de négociations commerciales.

Si ce projet est confirmé à l'issue des débats publics qui se tiendront du 22 au 24 mai 2018, il pourrait être annonciateur de réformes supplémentaires dans les prochaines années.

Notons également que le 12 avril dernier, la Commission Européenne divulguait sa proposition de directive concernant les pratiques commerciales déloyales en B2B affectant la chaine d'approvisionnement alimentaire, preuve que ces sujets dépassent le cadre purement national et seront sources de nouveaux développements à venir, également au niveau européen./.

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