EDITORIAL

Les Ibères Sont Rudes*

Voici que l'Espagne pourrait un jour perdre la Catalogne après un scrutin régional qui a vu une coalition hétéroclite – mais unie par le rejet du pouvoir central – remporter la majorité des sièges au parlement régional. Les partisans du maintien de la communauté autonome dans l'Espagne font observer que les partis indépendantistes n'ont pas obtenu la majorité des voix et que ni la constitution espagnole (c'est certain) ni les traités européens (c'est moins sûr) ne permettent d'envisager la suite qu'ils souhaiteraient. Mais en restera-t-on là ?

Les tendances centrifuges au sein de l'Europe ne sont pas nouvelles mais elles ont tendance à s'accentuer pour des motifs divers : quelquefois la tradition culturelle (aussi appelée « folklore » par les ethnologues traditionnels), souvent les langues (aussi appelés « idiomes » par les linguistes traditionnels). On observe par exemple que, outre l'espagnol, troisième langue la plus parlée au monde après le mandarin et l'anglais, la Catalogne pratique aussi officiellement deux idiomes : le catalan et l'occitan. Troba l'error. On retrouve les mêmes symptômes en Ecosse, autrefois en Bretagne, et toujours un peu au Pays Basque (pardon, l'Euzkadi) qui ne va pas tarder à se manifester. Aurki error du. Que d'idiomes, grands dieux (celtiques) ! Que d'idiomes !

Mais la nouvelle raison des forces centrifuges est clairement économique : la Flandre, la Lombardie, la Bavière et la Catalogne (20% du PIB espagnol) : tous demandent à garder leurs richesses et ne plus contribuer à financer d'autres régions considérées comme peu méritantes. Le contraire de la solidarité nationale mais qu'importe, puisque la nation vacille. L'Europe des régions va-t-elle naître ? Mais des régions riches, alors... celles qui auront provoqué la dislocation des Etats-nations. Quid des autres ?

Ailleurs en Europe, plus à l'est, les nations se renforcent, au contraire, sous l'effet des migrations, des fermetures de frontières, des gaz lacrymogènes, des constructions de murs, du refus des « diktats » de Bruxelles...

L'Europe est devenue une mosaïque peu lisible. Elle change au rythme des palmas du flamenco andalou dont le tempo serait maintenant irrégulier.

* René Goscinny (Astérix en Hispanie, 1969)

SOURCES

Jurisprudence

Extension de l'office du juge du référé précontractuel. Dans le cadre d'un référé précontractuel, plusieurs sociétés avaient demandé au juge d'annuler l'ensemble de la procédure mise en Suvre pas la commune de Brie pour l'attribution d'un marché relatif à des études d'urbanisme. Le TA a annulé la procédure à compter de l'examen des candidatures au motif que le Conservatoire national des arts et métiers, établissement public membre du groupement attributaire, avait une mission de service public d'enseignement et de recherche qui ne comprenait pas la délivrance de prestations de conseil juridique en droit de l'urbanisme. Dans un considérant de principe, le CE élargit l'office du juge du référé précontractuel. Il juge qu'il appartient à celui-ci "de s'assurer que l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence". En ce sens, "lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier que l'exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s'il s'agit d'un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu". Toutefois en l'espèce, ce n'était pas l'établissement public mais l'association de gestion de l'établissement, personne privée, qui était membre du groupement, l'ordonnance est donc annulée (CE, 18 septembre 2015, SARL Sitadin Urbanisme et Paysage et SCP Garnier et autres, n°390041).

Forclusion des réclamations après décompte général non contesté. Dans le cadre d'un litige relatif au solde d'un marché public de travaux, la société ayant exécuté les travaux demandait à l'hôpital de Grasse un montant d'environ 87 000 euros. Le TA, confirmé par la CAA, avait au contraire condamné la société à verser à l'hôpital près de 4000 euros. Le CE se fonde sur le CCAG-Travaux pour juger que la CAA n'a pas commis d'erreur de droit : si l'entrepreneur n'a pas porté réclamation relative au décompte général dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la décision prise sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général, il est considéré comme ayant accepté ladite décision et toute réclamation ultérieure est irrecevable(CE, 18 septembre 2015, Avena BTP, n°384523).

Interdiction d'un principe d'attribution de tous les marchés d'un groupement de commande au même titulaire. Le juge des référés du TA de Grenoble ayant annulé la procédure lancée par le syndicat intercommunal des eaux du Bas Roubion, celui-ci s'est pourvu devant le CE. Le syndicat avait lancé une procédure adaptée en tant qu'ordonnateur d'un groupement de commandes constitué avec une commune. Le règlement de consultation prévoyait que les trois marchés concernés par la procédure devaient être conclus avec le même entrepreneur. Le CE confirme la décision du juge des référés : le syndicat ne pouvait légalement prévoir que les trois marchés devraient être conclus avec le même attributaire (CE, 18 septembre 2015, SIEBR, n°389740).

Faculté de négocier du pouvoir adjudicateur. Une société dont l'offre a été rejetée par l'Ecole du Louvre en vue de l'attribution d'un marché public a formé un recours afin d'obtenir l'annulation du marché passé au motif que le pouvoir adjudicateur n'avait pas respecté ses obligations de publicité et de mise en concurrence en se bornant à prévoir dans le CCAP qu'elle se réservait le droit de négocier avec les trois premiers candidats du classement. Le TA et la CAA ont rejeté sa demande. Le CE juge que s'il décide de faire usage de sa faculté de négocier dans le cadre d'une procédure adaptée, le pouvoir adjudicateur doit en informer les candidats dès le lancement de la procédure et ne peut renoncer à négocier en cours de procédure. Il peut aussi se borner à informer les candidats, lors du lancement de la procédure, qu'il se réserve la possibilité de négocier, sans être tenu, s'il décide effectivement de négocier après la remise des offres, d'en informer l'ensemble des candidats. La décision du pouvoir adjudicateur de recourir à la négociation dans le cadre d'une procédure adaptée ne peut être utilement critiquée devant le juge. En revanche, s'il choisit, comme il lui est loisible de le faire, de ne négocier qu'avec certains des candidats qui ont présenté une offre, il appartient au juge, saisi d'un moyen sur ce point, de s'assurer qu'il n'a méconnu aucune des règles qui s'imposent à lui, notamment le principe d'égalité de traitement entre les candidats (CE, 18 septembre 2015, Société Axcess, n°380821).

Persistance de la responsabilité contractuelle en l'absence de réception. L'architecte et l'entrepreneur ayant réalisé des travaux de restauration dans le cadre d'un marché de maîtrise d'Suvre conclu avec la commune de Neuilly-sur-Marne ont contesté devant le TA le solde du marché. La commune avait de son côté demandé au TA la réparation du préjudice subi du fait du mauvais fonctionnement du système de chauffage sur le fondement de leur responsabilité contractuelle. Le TA, après expertise, a condamné solidairement l'architecte et l'entrepreneur à hauteur de 80% (la commune et une autre entreprise ayant leur part de responsabilité). La CAA rappelle que la commune ayant manifesté clairement son refus de réceptionner l'ouvrage pour l'installation de chauffage, les relations contractuelles n'avaient pas pris fin et la responsabilité contractuelle du maître d'Suvre et de l'entrepreneur pouvait être engagée. La Cour s'appuie sur le CCTP du marché de travaux et les résultats de l'expertise pour juger que le TA a fait une juste appréciation des responsabilités respectives. Par ailleurs, elle réforme le jugement du TA et condamne la commune à verser le solde du marché dû à l'architecte, en y soustrayant la part du lot inexécuté (CAA Versailles, 15 septembre 2015, n°13VE02081-2085-2088).

Caractère conventionnel de la QPC. Des requérants français ont invité la CEDH à trancher la question de savoir si le refus de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité méconnaissait la Convention européenne des droits de l'Homme. Ils soutenaient notamment que l'examen par les juridictions suprêmes était contraire à l'exigence d'impartialité. La Cour rappelle d'abord que l'article 6 de la Conv. EDH "ne garantit pas en tant que tel le droit d'accès à un tribunal pour contester la constitutionnalité dune disposition légale, notamment lorsque le droit national prévoit que le contrôle de constitutionnalité n'est pas déclenché directement par un requérant, mais par un renvoi effectué par la juridiction devant laquelle inconstitutionnalité alléguée est soulevée". Elle juge que "le refus d'un juge interne de poser une question préjudicielle [peut], dans certaines circonstances, affecter l'équité de la procédure", notamment "lorsque le refus s'avère arbitraire" (CEDH, 17 septembre 2015, n°3569/12).

Gouvernement

Economie. Le décret du 23 septembre 2015 relatif aux exceptions dominicales dans les commerces de détail situés dans les zones commerciales, les zones touristiques et les zones touristiques internationales crées par la loi « Macron » a été publié. Ces commerces pourront ouvrir le samedi soir jusqu'à minuit et le dimanche (décret n°2015-1173 du 23 septembre 2015 portant application des dispositions de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques relatives aux exceptions au repos dominical dans les commerces de détails situés dans certaines zones géographiques, JO du 24 septembre 2015).

Urbanisme. L'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme entreprend une recodification afin d'accroître l'accessibilité et l'intelligibilité des règles (ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, JO du 24 septembre 2015).

Union Européenne

Marchés publics. Cour des comptes européenne. Un rapport de la Cour des comptes européenne rendu public le 15 septembre 2015 conclut à la nécessité d'efforts supplémentaires de la part des Etats membres afin de résoudre les problèmes liés aux marchés publics dans l'Union (erreurs quant aux critères de sélection et d'attribution, de procédures, non respect des obligations de publication et transparence, etc.) et recommande à la Commission la création d'une base de données permettant l'analyse des irrégularités (Rapport spécial n°10/2015: Les problèmes liés aux marchés publics dans le cadre des dépenses de cohésion de l'UE nécessitent des efforts supplémentaires).

PRATIQUE

La Tierce Opposition en Contentieux Administratif

La tierce opposition est une voie de recours ouverte aux personnes n'ayant pas été parties à la procédure ou n'y ayant pas été représentées alors qu'elles avaient intérêt à y défendre leurs droits. En formant une tierce opposition, elles peuvent alors faire à nouveau juger les dispositions d'une décision juridictionnelle qui leur font grief. Ainsi l'action ouverte devant la juridiction qui a statué vise à obtenir l'annulation d'une décision de justice rendue par une juridiction en quelque sorte mal informée. Elle se distingue, en ce sens, de l'appel ou de l'intervention.

Le tiers doit prouver le lien le rattachant au litige ainsi que le fait que la décision rendue préjudicie l'un de ses droits (CE, 29 novembre 1912, Boussuge, Rec. 1128). La jurisprudence se contente de la preuve qu'un de ses intérêts a été lésé.

Cette voie de rétractation existe même sans texte et la tierce opposition est recevable contre les décisions de toutes les juridictions administratives (sauf disposition législative contraire). L'action peut être formée à toute époque (sauf texte spécial prévoyant un délai à peine de forclusion) c'est-à-dire deux mois contre les jugements des TA et CAA, mais elle n'a pas d'effet suspensif de la décision rendue.

La jurisprudence a encadré l'usage de cette voie. Ainsi, le Conseil d'Etat a établi que n'est pas recevable une tierce-opposition contre un jugement après qu'une partie a formé un appel contre ledit jugement (une intervention en procédure d'appel ou une tierce-opposition contre l'arrêt d'appel étant possibles). D'autre part, si le jugement est frappé d'un appel postérieurement à l'introduction d'une tierce-opposition, le tiers-opposant est recevable à intervenir dans la procédure d'appel et la tierce-opposition y survit; en revanche si le jugement est annulé elle devient sans objet (CE, 2 juillet 2014, n°366150).

Le juge ne réexaminera que les moyens invoqués par le tiers opposant.

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