La refonte de la gouvernance des marchés financiers est une nécessité pour éviter de nouvelles dérives. La réponse consiste à rendre plus démocratique la gouvernance des instances de régulation, comme celle des infrastructures de marché.

Cet article est extrait de
Revue Banque n°788

Titrisation : pour une meilleure répartition des risqué

Si l'heure est à la définanciarisation de l'économie (ce qui reste encore à démontrer), comment atteindre ce but ? Parmi les voies possibles de réformation, celle de la gouvernance est jusqu'à présent peu explorée, alors qu'elle est sans doute parmi les plus efficaces 1. C'est dans ce cadre qu'il convient d'examiner des réflexions nouvelles fondées sur la gouvernance des « biens communs ». Certes, il peut être difficile de voir dans les marchés financiers des « commons », au sens à la fois de « biens publics » ou de « biens collectifs » 2, où le « bien commun » est défini comme relevant d'une appropriation, d'un usage et d'une exploitation collectifs 3. Mais les marchés financiers peuvent, sous un certain angle, apparaître comme répondant aux notions d'intérêt public ou d'intérêt général. Cette réflexion sur la réforme de la gouvernance des marchés doit s'étendre autant à la macrorégulation au niveau des instances internationales qu'à la microrégulation des infrastructures de marché.

Le poids des « experts »

La gouvernance peut être définie comme « la capacité à produire des décisions cohérentes, à développer des politiques effectives par la coordination entre acteurs publics et non gouvernementaux, dans un univers fragmenté » 4. Le terme de gouvernance, dans ce sens, exprime autant l'exigence d'une réflexion sur les rapports d'autorité et de pouvoir qu'un besoin de mettre à jour le rôle des acteurs non étatiques dans les mécanismes de régulation politique. La gouvernance des marchés financiers peut-elle, voire doit-elle, être démocratique ? La souveraineté populaire sur les biens communs au moyen de la participation des citoyens dans les instances de gouvernance des services publics peut-elle inspirer la gouvernance des marchés financiers ? L'idée n'est pas de confier à des comités de citoyens la gouvernance des marchés financiers. Mais dans quelle mesure la gouvernance, non pas des marchés, mais de la régulation des marchés financiers peut-elle s'inspirer des principes de la gouvernance participative ? 5 La participation citoyenne peut-elle fournir un axe de réflexion à la gouvernance des marchés financiers ? L'idée semble au premier abord iconoclaste. En effet, en matière financière, il n'y a pas et il ne peut y avoir de gouvernance mondiale des marchés financiers. Mais avec la crise des années 2007, des initiatives de régulations internationales sont apparues aux sommets des G20, en particulier ceux de Pittsburg et de Londres. Il en est sorti des engagements des pays participants, notamment en matière de régulation des produits dérivés. Malgré cette prise de conscience du politique, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Pourquoi ? Parce que « l'intérêt économique arrive à prévaloir sur le biencommun » 6, mais aussi parce que les politiques ont délégué le soin de réguler les marchés à des « experts ». Ce qui pose la question de la légitimité du recours à l'expertise comme mode de gouvernance. Or, les institutions internationales de régulation (OICV, BRI, Forum de stabilité...) se caractérisent par un mode de régulation uniforme et homogène : des experts issus des mêmes institutions (banques centrales, régulateurs boursiers) prennent des décisions qui vont profondément affecter le mode d'organisation et de fonctionnement des marchés financiers et des différents acteurs. C'est parce que la défaillance d'un établissement financier peut entraîner une crise financière, voire économique, que la régulation – et la supervision – de ces institutions privées est confiée par les politiques à des experts de la monnaie. L'argument du risque systémique ne convainc pas et on reste toujours surpris de voir des spécialistes de la monnaie prendre en charge des questions de micro-régulation bancaire ou financière : gérer une banque centrale est une chose, gérer une banque privée en est une autre.

Regardons maintenant un autre aspect de cette régulation : le mode d'élaboration de la norme. On a vu qu'en amont, cette norme était élaborée par des comités d'experts. Que se passe-t-il ensuite ? En matière financière, la gouvernance participative a pris la forme des processus de « consultations » des acteurs par les régulateurs avant l'élaboration d'une norme juridique. À première vue, l'on pourrait retrouver dans cette méthode les principes de la participation citoyenne. Mais ce processus de consultation est vicié à sa base du fait de la présence des « experts ». Il suffit de lire les consultations mises en place par la Commission européenne ou l'un de ces comités comme l'ESMA ou l'EBA pour se rendre compte que seuls d'autres experts peuvent répondre aux questions techniques posées par les premiers experts. Ce processus conduit aux effets pervers suivants : une vision micro des sujets normatifs, sur lesquels seuls des techniciens peuvent répondre aux questions posées ; l'éviction de la société civile du processus, celle-ci ne disposant pas toujours des expertises requises dans tous les domaines (le cas de Finance Watch est à cet égard instructif) ; le risque de réponse des acteurs sous l'angle de leurs seuls intérêts, et donc le recours au lobbying.

Une nouvelle gouvernance de la régulation financière est-elle possible ?

En ce qui concerne la méthodologie à suivre, l'animation des débats gagnerait à être confiée à un tiers neutre (participant au jeu de la régulation, la Commission européenne ne peut à cet égard être considérée comme neutre ; un groupe d'universitaires pourrait répondre à cette exigence). Des règles simples pourraient faciliter la confrontation démocratique, comme celle de ne pas employer des sigles ou un langage trop technique. Il serait possible aussi de s'inspirer des réflexions en matière environnementale : favoriser les approches consultatives, participatives et délibératives avec implications des stakeholders dans la mise en place de règles, de normes et de politiques ; déterminer des normes ou des objectifs de durabilité au titre de la légitimité sociale. On rejoint ici la définition de Pearce et al. (1990) sur le développement durable comme « vecteurs d'objectifs sociaux désirables, c'est-à-dire une liste d'attributs que la société cherche à atteindre ou à maximiser », le choix de ces objectifs faisant l'objet d'un processus continu de négociation « multi-acteurs » en interaction. En l'espèce, quels rôles veut-on voir jouer aux marchés financiers ? S'il s'agit de financer l'économie, comme le suggère l'Union des marchés de capitaux, il est alors hypocrite de demander dans le même temps la définanciarisation de l'économie.

La gouvernance des infrastructures de marches

Les infrastructures de marchés répondent, d'une certaine manière, à la notion d'intérêt général. En effet, elles participent au bon fonctionnement du marché, en permettant aux acteurs des marchés financiers d'opérer avec toutes les garanties de sécurité, de transparence et de professionnalisme. Pourtant, ces infrastructures ont évolué au cours de ces dernières années d'un mode « coopératif » à un modèle capitalistique, conduisant à ce que ces entreprises sont de moins en moins au service de leurs membres et de plus en plus soumises aux exigences de rentabilité de leurs actionnaires (le plus souvent non membres de ces structures).

Ce modèle a montré ses limites (exclusion des petits intermédiaires et des particuliers, place prédominante d'une poignée d'acteurs) et doit être revu en profondeur. Comment ? À défaut de pouvoir revenir sur un modèle « coopératif », en changeant les règles de gouvernance afin d'y intégrer la dimension « intérêt général ». Les régulateurs pourraient ainsi non seulement assigner à ces infrastructures une mission de bon fonctionnement du marché et d'intérêt général, mais aussi imposer la désignation majoritaire des administrateurs indépendants, afin qu'y soient nommés des représentants de la société civile ou des utilisateurs (sous forme d'associations professionnelles, tant des acteurs de la finance que de simples citoyens).

Refondre la gouvernance des marchés financiers est une nécessité permettant d'éviter de nouvelles dérives. La réponse consiste à rendre plus démocratique la gouvernance des instances de régulation comme des infrastructures de marché. En aller autrement ne peut que conduire à creuser le fossé entre le monde financier et le reste de l'économie.

Footnotes

1. Cf. cependant le chapitre sur les « fondements et limites de la régulation financières », in Rapport moral sur l'argent dans le monde, 2014.

2. Voir B. Paranque, « La Finance comme Common » : https://www.academia.edu/11220422/. Cf. R. Pérez, La Finance autrement ? Réflexions critiques sur la finance moderne, Presses Universitaires du Septentrion, 2015.

3. Ou encore comme l'ensemble des ressources, matérielles ou non, qui sont rivales et non exclusives...

4. J.M. Offner, « Gouvernance, mode d'emploi», Pouvoirs locaux, n° 42 III, 1999.

5. La gouvernance participative s'entend des dispositifs qui accroissent la transparence de l'action administrative, la circulation des informations et le respect des droits des usagers.

6. Pape François, Lettre encyclique Laudato Si ! sur la sauvegarde la maison commune, n° 54, 2015

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