Par un communiqué de presse du 27 mars 2020, l'Autorité de la concurrence (ci-après l'« Autorité ») précise aux entreprises quelles seront les adaptations des délais et procédures en raison de l'état d'urgence sanitaire1.

De son côté, la Commission européenne (ci-après la « Commission »), après une semaine d'adaptation, a repris une activité quasiment normale.

Le communiqué de presse de l'Autorité

Suspension des délais d'instruction des cas relatifs aux projets de concentration et à l'installation des professions juridiques régies par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015

L'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période2 prévoit dans son article 7 que « [s]ous réserve des obligations qui découlent d'un engagement international ou du droit de l'Union européenne, les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l'article 1er est reporté jusqu'à l'achèvement de celle-ci.

Les mêmes règles s'appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d'un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l'instruction d'une demande ainsi qu'aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public. ».

Ces dispositions s'appliquent aux « administrations de l'État  » au sens de l'article 6 de cette ordonnance, et par conséquent, à l'Autorité.

Le I de l'article 1er de l'ordonnance précitée dispose que « (...) les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire (...) ».

En conséquence, sont notamment suspendus, à compter du 12 mars 2020, et jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire :

  • en matière de contrôle des concentrations, les délais légaux et réglementaires fixés notamment aux articles L. 430-5 et L. 430-7 du code de commerce ;
  • en ce qui concerne la liberté d'installation des professions juridiques régies par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (« loi Macron ») : 
    •  le délai légal de deux mois au cours duquel l'Autorité se prononce, à la demande du ministre de la justice, sur les projets de création d'offices publics et ministériels dans les zones d'installation contrôlée (« zones orange »), et à l'issue duquel une décision implicite dudit ministre est susceptible d'intervenir ; 
    •  le délai de la consultation publique, fixé par l'Autorité entre le 9 mars et le 9 avril 2020, en vue d'élaborer un nouvel avis sur la liberté d'installation des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation (voir communiqué de presse du 9 mars 2020).

L'Autorité précise qu'elle fera ses meilleurs efforts, chaque fois que c'est possible, pour rendre ses décisions et avis de manière anticipée, sans attendre l'expiration des délais supplémentaires conférés par ces dispositions.

Prorogation des délais de production des observations et des mémoires en réponse à une notification des griefs ou à un rapport

En raison des circonstances exceptionnelles, le Rapporteur général de l'Autorité a décidé que le délai de deux mois dont disposent les entreprises pour présenter, en application de l'article L. 463-2 du code de commerce, leurs observations en réponse à une notification de griefs ou un rapport, est suspendu à compter du 17 mars 2020. Ce délai reprendra à compter du lendemain de la publication du décret qui lèvera les restrictions de déplacement instituées initialement par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020.

Demandes de clémence

Jusqu'à la levée des restrictions de déplacement instituées par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, et par dérogation à l'article R. 464-5 du code de commerce, les demandes de clémence doivent être déposées par voie électronique, à l'exclusion de tout autre mode de transmission.

Les délais d'ores et déjà accordés dans le cadre du marqueur de clémence sont suspendus à compter du 17 mars 2020, et reprendront à la levée des restrictions de déplacement.

Modalités de transmission des actes de procédure

Jusqu'à la levée des restrictions de déplacement instituées par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, et par dérogation aux articles R. 463-1, R. 463-11, R. 463-13, R. 463-15 et R. 464-30 du code de commerce, les saisines, observations à une notification de griefs, mémoires en réponse à un rapport, demandes de secret d'affaires ou de levée du secret des affaires doivent être transmises par voie électronique.

De la même manière, les notifications de griefs, les rapports, les projets de déclassement d'informations confidentielles et les décisions de l'Autorité et du Rapporteur général seront notifiés par voie électronique aux personnes concernées et au commissaire du gouvernement.

Les décisions ou les avis de l'Autorité sont adressés par voie électronique aux personnes concernées. La notification faisant courir les délais de recours n'interviendra, sauf exception, qu'à la suite de la levée des restrictions de déplacement.

Ces transmissions ou notifications au format électronique pourront s'opérer par tout moyen : messagerie informatique, plateforme d'échanges de documents, application de transferts de fichiers...

Les actes transmis à l'Autorité par lettre recommandée pendant la période allant du 12 mars 2020 à aujourd'hui doivent être à nouveau envoyés par voie électronique.

Délais de prescription et délais de recours

Le premier alinéa de l'article L. 462-7 du code de commerce prévoit que « l'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ». Le troisième alinéa du même article dispose que « la prescription est acquise en toute hypothèse lorsqu'un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s'est écoulé sans que l'Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci. »

Le premier alinéa de l'article 2 de l'ordonnance susvisée dispose que « [t]out acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »

En conséquence, les actes ou décisions mentionnés à l'article L. 462-7, qui auraient dû intervenir dans la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à  l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire afin d'éviter la prescription d'action de l'Autorité, pourront être accomplis dans un délai de deux mois à compter de la fin de cette période, sans être sanctionnés pour leur tardiveté.

De même, les recours contre les décisions de l'Autorité, qui auraient dû être formés dans la période courant du 12 mars 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire, conformément aux délais prévus aux articles L. 464-7, L. 464-8 et L. 464-8-1 du code de commerce, pourront être accomplis dans un délai de deux mois à compter de la fin de cette période, sans être sanctionnés pour leur tardiveté.

Délais d'exécution des engagements et des injonctions

L'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 dispose que « [l]orsqu'ils n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l'administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er, sauf lorsqu'ils résultent d'une décision de justice.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l'article 1er est reporté jusqu'à l'achèvement de celle-ci. »

Par voie de conséquence, les délais de mise en Suvre des engagements, injonctions ou mesures conservatoires sont suspendus ou reportés jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire.

L'activité quasiment normale de la Commission

Le 16 mars 2020, la Commission a demandé à toutes ses équipes de travailler à distance. Elle a ensuite demandé aux entreprises de ne pas notifier les transactions non urgentes et a suspendu certaines procédures d'examens de concentrations.

10 jours après, et alors qu'à l'instar de l'Autorité, de nombreuses autorités de concurrence à travers le monde annoncent une suspension des délais de procédure et des notifications en matière de contrôle des concentrations, la Commission a repris une activité quasiment normale.  

Elle accepte à nouveau, quasi quotidiennement, de recevoir des dossiers de notifications de concentrations simplifiés.

Elle a relancé la procédure d'examen de l'opération EssilorLuxottica-GrandVision et d'autres dossiers complexes et hier a annoncé avoir autorisé une opération en phase 1.

Elle indique cependant que la crise sanitaire risque de compliquer sa tâche pour les prochains mois et que les dossiers les plus complexes seront ceux pour lesquels le calendrier sera le plus impacté.

Cela étant, elle risque d'être confrontée à des lenteurs côté opérateurs et entreprises, que ce soit lorsque les parties notifiantes à une opération devront répondre à des demandes de renseignements ou lorsque des tiers seront sollicités pour des tests de marché. Cela a par exemple certainement eu un impact sur le passage en phase 2 de l'acquisition de TachoSil par Johnson & Johnson, qui concerne un patch chirurgical : les hôpitaux consultés dans le cadre du test de marché ont eu objectivement d'autres choses à faire que de répondre à la Commission.

Pour ce qui concerne les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante, les autorités européennes de concurrence, dont la Commission fait partie, avait affirmé le 23 mars dernier qu'elles restaient particulièrement attentives et que la situation actuelle ne pouvait servir d'excuse à la mise en place de pratiques anticoncurrentielles.

Le 30 mars, la Commission a mis en ligne un site internet3 destiné à aider les entreprises qui souhaitent collaborer licitement, par exemple des distributeurs et producteurs alimentaires qui ont besoin de coopérer sur les stocks et la distribution des denrées alimentaires afin que les magasins d'alimentation restent approvisionnés. 

La Commission a déjà publié plusieurs lignes directrices qui peuvent aider les entreprises à évaluer la compatibilité de leurs accords commerciaux avec le droit européen de la concurrence. Toutefois, pour les initiatives de coopération spécifiques de dimension européenne, qui doivent être mises en Suvre rapidement afin de lutter efficacement contre la pandémie de Covid-19, et lorsqu'il subsiste une incertitude quant à la compatibilité de ces initiatives avec le droit européen de la concurrence, la Direction Générale de la Concurrence (division de la Commission) est prête à guider les entreprises, les associations et leurs conseillers juridiques.

En plus du site internet, une adresse électronique dédiée a également été créée4 pour recueillir les demandes de conseils informels sur des initiatives spécifiques. Afin de faciliter un suivi rapide, les entreprises sont invitées à fournir d'emblée autant de détails que possible sur le projet, notamment (i) la ou les entreprises, le ou les produits ou services concernés ; (ii) la portée et la structure de la coopération ; (iii) les aspects susceptibles de soulever des préoccupations au regard des règles de concurrence relatives aux ententes ; et (iv) les avantages que la coopération vise à obtenir ainsi qu'une explication des raisons pour lesquelles la coopération est nécessaire et proportionnée pour obtenir ces avantages dans les circonstances actuelles.

La Commission rappelle expressément que cette adresse mail est seulement destinée à fournir des conseils sur la comptabilité de ces initiatives avec les règles de concurrence relatives aux ententes anticoncurrentielles. Pour les entreprises, ce canal de communication doit être utilisé avec mesure, pour les seuls cas où la réponse ne peut pas être apportée en interne ou par recours à des avocats.

Footnotes

1 https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/adaptation-des-delais-et-procedures-de-lautorite-de-la-concurrence-pendant-la

2 Pris en application de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, qui a été publiée au Journal officiel le 24 mars 2020.

3 https://ec.europa.eu/competition/antitrust/coronavirus.html

4 COMP-COVID-ANTITRUST@ec.europa.eu

Specialist advice should be sought about your specific circumstances.