Lorsque les tribunaux autorisent une plainte pour discrimination en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne1 (la « Charte »), ils ordonnent généralement au défendeur de payer des dommages moraux ou des dommages punitifs et ordonnent également, dans certains cas, la réintégration du demandeur dans son poste. Cependant, ce dernier peut parfois réclamer un autre type de réparation. Par exemple, que se passe-t-il si une personne n'est pas sélectionnée pour un poste donné à cause d'un motif discriminatoire ? Est-ce qu'un tribunal peut ordonner à un employeur d'embaucher un candidat ? Peut-il forcer un employeur à reprendre le processus d'embauche ?

Telle était la question récemment soulevée devant la Cour supérieure du Québec qui procédait à la révision judiciaire d'une décision rendue par la Commission de la fonction publique2 (la « Commission »).

La décision de la Commission

La demanderesse, une avocate qui avait postulé pour un emploi auprès du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (la « DPCP ») alors qu'elle était enceinte, a déposé une plainte pour discrimination auprès de la Commission après s'être vue refuser le poste. Elle a affirmé qu'elle n'avait pas été sélectionnée en raison de sa grossesse.

La Commission a accueilli la plainte au principal motif qu'au cours de son entretien, la demanderesse, qui était la candidate la plus expérimentée et la plus qualifiée pour le poste, a dû répondre à des questions portant sur son congé de maternité et la durée de celui-ci3. À la suite de son entretien, elle a été classée au troisième rang parmi cinq candidats et le poste ne lui a pas été offert. La Commission a ordonné au DPCP d'offrir le poste à la demanderesse.

La décision de la Cour supérieure

Le DPCP a demandé une révision judiciaire de la décision de la Commission. Il a soutenu que le processus visant à sélectionner le meilleur candidat pour un poste donné était du ressort de l'employeur et que la Commission ne devait pas exercer un contrôle sur le processus. Le DPCP a expliqué que pendant le processus d'embauche, il avait analysé les traits de personnalité et les qualités communicationnelles des candidats, lesquels constituaient deux des plus importants critères de sélection. Le DPCP a indiqué que si la demanderesse avait fait l'objet d'une discrimination, la Commission aurait dû ordonner la reprise du processus d'embauche au lieu de lui ordonner d'engager la demanderesse.

La Cour a confirmé que la Commission avait le pouvoir d'ordonner l'embauche d'un candidat qui a été victime de discrimination. Cependant, pour ce faire, la Commission devait conclure que la demanderesse était raisonnablement la candidate la plus compétente et qu'elle aurait certainement obtenu le poste, n'eût été la discrimination.

Dans cette affaire, la Cour a conclu que la Commission a erré dans son analyse de la candidature de la demanderesse, et ce principalement parce que la Commission a fondé son évaluation surtout à partir du curriculum vitae et de l'expérience de la demanderesse et a omis de prendre en considération sa performance en entrevue. En effet, il est ressorti de la preuve que d'autres candidats avaient surpassé la demanderesse lors de cette étape importante du processus d'embauche. Par conséquent, la preuve n'a pas révélé que la demanderesse aurait obtenu le poste en l'absence de discrimination. La Cour a donc annulé la décision de la Commission.

Toutefois, puisque la demanderesse n'était plus enceinte au moment de l'audience, la Cour a ordonné au DPCP de reprendre le processus d'embauche, car rien ne portait à croire qu'elle n'était pas en mesure de sélectionner le candidat le plus approprié.

Conclusion

La demanderesse cherche actuellement à obtenir une autorisation de porter cette décision en appel devant la Cour d'appel du Québec. Le plus haut tribunal de la province pourrait avoir à déterminer si un tribunal peut ordonner, à titre de mesure réparatrice, l'embauche d'un candidat ou d'une candidate. Cette décision aura d'importantes répercussions sur les employeurs puisque, dans les affaires de discrimination, ils ne s'exposeraient plus seulement au paiement de dommages ou à la réintégration d'un ancien employé.

Peu importe la décision de la Cour d'appel du Québec, cette affaire rappelle aux employeurs l'importance de mettre en place un processus d'embauche bien structuré, préétabli et documenté. Les employeurs courraient ainsi moins de risques que des candidats contestent le processus et déposent des plaintes pour discrimination. De plus, cela leur éviterait de reprendre un processus d'embauche ou d'engager un candidat pour un poste qui pourrait déjà être occupé par une autre personne.

Footnotes

1 RLRQ c. C-12.

2 Procureure générale du Québec c. Commission de la fonction publique, 2019 QCCS 581, la demande d'autorisation d'appel a été déposée, 2019-04-01 (C.A.), 200-09-009980-191.

3 Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2018 QCCFP 20.

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