À la fin avril 2018, le gouvernement fédéral du Canada a annoncé le lancement d'une nouvelle stratégie en matière de propriété intellectuelle (PI). Elle est conçue pour sensibiliser davantage les entreprises canadiennes à la PI et pour encourager les créateurs, les entrepreneurs et les innovateurs à participer plus activement au système de PI. La stratégie constitue en partie une réaction face aux dépôts relativement peu nombreux de marques de commerce, de brevets et d'autres éléments de PI par les entreprises canadiennes, comparativement à ceux de plusieurs autres partenaires commerciaux. La nouvelle stratégie est en grande partie centrée sur la conscientisation des entreprises canadiennes au sujet des avantages d'aborder les droits de PI au tout début de l'élaboration d'une stratégie commerciale, et de prendre des mesures proactives pour protéger la PI au Canada et à l'étranger.

L'annonce contient plusieurs propositions en vue d'une réforme législative, y compris en ce qui concerne deux questions précises liées aux marques de commerce. Le gouvernement a d'abord promis qu'il y aurait de nouveaux motifs d'opposition et d'invalidation en ce qui concerne ce qu'on appelle parfois le « squattage des marques de commerce ». Le gouvernement propose ensuite des dispositions législatives exigeant l'emploi d'une marque de commerce, dans les trois ans suivant l'enregistrement, pour pouvoir faire valoir son enregistrement.

Il n'existe jusqu'à maintenant aucun projet de loi précis en vue de mettre ces changements en Suvre. L'échéancier de promulgation est donc incertain. Cependant, M. Mark Schaan, porte-parole du gouvernement et directeur général, Direction générale des politiques-cadres du marché, a récemment écrit dans des commentaires publiés lors de l'assemblée annuelle de mai 2018 de l'International Trademark Association, que le gouvernement [TRADUCTION] « s'engageait à aller résolument de l'avant en ce qui concerne la mise en Suvre ».

Il est déjà prévu que la Loi sur les marques de commerce du Canada fasse l'objet d'une refonte majeure, à la suite de l'adoption en 2014 de modifications dont la mise en Suvre est désormais prévue pour le début 2019 (la date d'entrée en vigueur). Une des caractéristiques importantes de ces modifications est qu'elles retirent « l'emploi » à titre d'exigence d'enregistrement. Dans les commentaires qui ont été publiés, M. Schaan décrit ce changement comme étant le retrait d'une simple [TRADUCTION] « exigence administrative ». Il fait probablement référence à la nécessité, pour les demandeurs s'appuyant sur un emploi projeté à titre de fondement du dépôt, de déposer une déclaration d'emploi au Canada avant d'obtenir un enregistrement. Ce commentaire n'énonce pas convenablement l'incidence de « l'emploi » en matière de droit canadien des marques de commerce. La suppression de l'emploi à titre d'exigence d'enregistrement apporte un changement fondamental au droit canadien des marques de commerce. D'après les arrêts de la Cour suprême du Canada, l'emploi est le fondement des droits en matière de marques de commerce et a été depuis plus d'un siècle une condition préliminaire nécessaire à l'enregistrement. L'emploi est loin d'être une exigence administrative; il s'agit plutôt de la clé de voûte du droit canadien des marques de commerce.

L'annonce de plans pour aborder les problèmes du squattage des marques de commerce et de l'application des droits est une réaction à deux inquiétudes immédiatement cernées par les titulaires de marques de commerce, les praticiens et les universitaires lors de la présentation des modifications de 2014. Tout d'abord, la suppression de « l'emploi » à titre d'exigence d'enregistrement a été perçue comme privant de ses armes un système qui avait jusqu'alors efficacement contrôlé les revendications excessives de droits issus de marques de commerce. En réalité, certains opportunistes se sont empressés de réagir en déposant des centaines de demandes canadiennes visant les 45 classes, accompagnées de pages énumérant des biens et services - ces demandeurs espéraient probablement obtenir leurs enregistrements dès l'entrée en vigueur des modifications. Faute d'être surveillée, une telle pratique causera des problèmes à long terme en ce qui concerne l'analyse des risques, les recherches d'antériorité, le traitement des demandes et le respect des marques à l'avenir.

Il est clair qu'il fallait faire quelque chose pour mettre un terme à de tels abus et la réaction législative visant à y mettre un frein est bien accueillie. La stratégie nationale en matière de PI propose de nouveaux motifs d'opposition et de radiation, mais aucun autre détail n'a été précisé jusqu'à maintenant. Il incombe présentement à l'opposant de prouver initialement les faits au soutien de tout motif d'opposition. Dans le même ordre d'idées, dans une action en radiation, le fardeau de preuve repose sur la partie qui la demande. Le simple fait de déposer des demandes visant les 45 classes (ou des demandes similaires) peut suggérer la présence de mauvaise foi. Cependant, la manière dont un opposant ou une partie demandant la radiation fera ou même pourra faire la preuve de ceci n'est pas clairement établie. En outre, le concept proposé par le gouvernement impose aux tiers, et non au registraire, le fardeau de prendre des mesures pour maintenir l'ordre et prévenir les abus possibles. À titre d'exemple, le gouvernement aurait pu envisagé autoriser les examinateurs à remettre en question et à exiger une preuve de leur bonne foi en cas de suspicion d'abus , mais il semble que le gouvernement ait préféré imposer ce fardeau à d'autres. Reste à savoir à quel point il sera difficile de faire la preuve de mauvaise foi. Si c'est difficile, et si les coûts et les engagements en temps sont importants, il est peu probable que ce nouveau concept soit efficace pour lutter contre les abus apparents.

La deuxième annonce, soit la confirmation que « l'emploi » est exigé pour donner effet à un enregistrement « dans les trois années à compter de la date de l'enregistrement », vise clairement le problème lié à l'application des droits qui découle de la suppression de l'emploi à titre d'exigence d'enregistrement. Immédiatement après la présentation des modifications proposées en 2014, les experts en marques de commerce ont fait remarquer que tous les avantages de l'enregistrement, y compris le droit exclusif à l'emploi d'une marque dans tout le pays (en vertu de l'article 19), seraient accordés aux déposants, y compris à ceux qui n'auraient pas employé leurs marques au Canada ou ailleurs. Les tribunaux canadiens seraient-ils disposés à accorder des injonctions, des dommages-intérêts et des dépens aux titulaires d'enregistrements non utilisés, compte tenu, tout particulièrement, des directives de la Cour suprême du Canada, selon lesquelles l'emploi est le fondement des droits découlant des marques de commerce? Les lois des autres pays diffèrent des nôtres. Dans les pays où il existe une longue tradition d'enregistrement sans emploi, les tribunaux accordent des injonctions aux déposants sans preuve d'emploi. En revanche, dans des pays comme les États-Unis, où « l'emploi » est tout aussi important pour les droits issus de marques de commerce qu'il l'a été au Canada, la jurisprudence confirme que, sans emploi, il y a peu de chances de succès à faire respecter une marque.

L'annonce d'une exigence proposée de démontrer l'emploi pour faire valoir un enregistrement, mais seulement dans les trois années suivant la date de l'enregistrement, aborde la question de l'échéancier, que les modifications à la Loi sur les marques de commerce avaient laissée dans l'incertitude et sujette aux abus éventuels. Au Canada, des lois bien établies visant à faire cesser l'emploi d'une marque qui porte à confusion exigent, pour permettre de faire respecter et pour déposer une marque non enregistrée, qu'elle ait été employée ou qu'elle ait une réputation particulière découlant de cet emploi. Après le troisième anniversaire de tout enregistrement, des procédures sommaires liées au défaut d'emploi peuvent être entamées (article 45). En l'absence de preuve claire d'emploi au Canada, il n'est donc généralement pas conseillé de s'appuyer sur des enregistrements dans le cadre d'une action en contrefaçon. N'eussent été les modifications proposées, il existerait un risque que pendant la période entre l'enregistrement et son troisième anniversaire, un déposant intimidant qui n'aurait pas employé sa marque au Canada (ou ailleurs) puisse poursuivre pour contrefaçon en s'appuyant sur l'énoncé des droits exclusifs clairement prévu par la Loi sur les marques de commerce, et obtenir une injonction sans n'avoir même jamais utilisé sa propre marque. Heureusement, les dispositions législatives promises confirment que l'emploi est toujours au cSur du respect des marques de commerce, avant et après l'enregistrement.

L'annonce du gouvernement quant au réexamen de la Loi sur les marques de commerce afin de régler ces deux problèmes précis peut également signaler une intention d'effectuer d'autres changements – des droits excessivement étendus octroyés aux titulaires de marques officielles ou liées aux universités qui ont fait l'objet d'une publication, à la protection des marques et symboles des peuples autochtones du Canada.

Le gouvernement a effectué de vastes consultations relativement à sa stratégie de PI. Ces dernières reflètent l'approche de mise en Suvre à l'égard des modifications de 2014 – le gouvernement s'est engagé dans une collaboration bien accueillie avec les titulaires de marques de commerce et les professionnels à l'égard de problèmes pratiques liés aux nouvelles procédures et exigences. Il est souhaitable que cet esprit de collaboration soit maintenu et que le gouvernement soit prêt à aborder d'autres améliorations à l'appui d'un système solide et pratique en matière de droits découlant de marques de commerce.

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