Introduction

Le 4 mai 2017, la Loi sur la non-discrimination génétique (la « Loi ») recevait la sanction royale et entrait en vigueur, alors même que la ministre fédérale de la Justice la jugeait inconstitutionnelle. Très rapidement, le gouvernement du Québec a contesté sa constitutionnalité en renvoyant la question devant la Cour d'appel du Québec dans le but d'obtenir un avis consultatif, en faisant valoir que laLoi était ultra vires la compétence fédérale en matière de droit criminel. Le gouvernement fédéral n'étant pas intervenu pour défendre la Loi, un amicus curiae a été nommé et plusieurs intervenants sont venus exprimer leur soutien à celle-ci. Ils ont fait valoir que la Loi constituait un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

Le 21 décembre 2018, une formation de cinq juges de la Cour a déclaré invalide la Loi au motif qu'elle était inconstitutionnelle, en constatant que le caractère véritable de la Loi ne relevait pas du droit criminel, mais plutôt de la propriété et des droits civils1.

Grâce à une surveillance attentive du registre de la Cour, Fasken a appris qu'un intervenant, la Coalition canadienne pour l'équité génétique, a déposé un appel devant la Cour suprême. La Cour a reconnu qu'il y a un appel de plein droit et qu'aucune autorisation n'est requise. Par conséquent, cette affaire va être portée devant le plus haut tribunal du pays pour qu'une décision soit rendue.

Les dispositions contestées de la Loi

Comme cela a été évoqué dans un bulletin antérieur de Fasken, les articles 3 et 4 de la Loi interdisent à quiconque d'obliger une personne à subir un test génétique ou à en communiquer les résultats comme condition préalable à la fourniture de biens ou de services à cette personne, ou à la conclusion ou au maintiend'un contrat avec elle. L'article 5 interdit à toute personne exerçant une de ces activités de recueillir, d'utiliser ou de communiquer les résultats d'un test génétique d'une personne sans son consentement écrit. Aux termes de l'article 2, un test génétique est « un test visant l'analyse de l'ADN, de l'ARN ou des chromosomes à des fins telles la prédiction de maladies ou de risques de transmission verticale, ou la surveillance,le diagnostic ou le pronostic. »

La Loi est assortie de sanctions pénales et d'amendes d'un montant maximal de 300 000 dollars ou d'un million de dollars, selon la gravité de l'infraction.

De plus, aux termes de l'article 6, les praticiens et les chercheurs du domaine de la santé sont exemptés de l'application des articles 3 à 5 et, par conséquent, de l'imposition des pénalités.

Les articles 8 à 11 de la Loi n'étaient pas contestés. L'article 8 modifie le Code canadien du travail pour accorder aux employés travaillant pour une entreprise fédérale le droit de refuser de subir un test génétique ou d'en communiquer les résultats. Les articles 9 à 11 modifient la Loi canadienne sur les droits de la personne en ajoutant les « caractéristiques génétiques » àtitre de motif de distinction illicite.

Caractère véritable de la Loi

Lorsqu'une loi fédérale ou provinciale est contestée sur la base du partage des compétences aux termes de la Constitution, les tribunaux évaluent le « caractère véritable » ou l'objet principal de la Loi, et ensuite déterminent de quel ordre de gouvernement relève cette loi en fonction de ce caractère véritable.

Pour évaluer le caractère véritable de la Loi, la Cour a pris en compte son libellé, les débats parlementaires ayant entouré son adoption et ses effets pratiques. La Cour a conclu que le caractère véritable de la Loi n'était pas d'interdire la discrimination génétique2. En réalité, le but de cette Loi était d'encourager le recours aux tests génétiquesà des fins médicales afin d'améliorer la santé des Canadiens3. En particulier, la Loi encourageait un tel accès en supprimant la crainte que ces renseignements puissent éventuellement servir à des fins de discrimination génétique dans la conclusion de contrats ou la fourniture de services.4

Validité de la Loi

Les partisans de la Loi ont tenté de faire valoir qu'elle avait un objet de droit criminel. Un tel objet devrait viser « [Traduction] un acte que la loi interdit en imposant des sanctions pénales appropriées... un mal, un effet nuisible ou indésirable sur le public auquel s'attaque la loi5 ». Traditionnellement, de telles lois visent à protéger la collectivité notamment contre des objets dangereuxet des substances nocives, allant des armes à feu aux stupéfiants et au tabac6.

Toutefois, la Cour a souligné qu'il existait une différence importante entre protéger la collectivité contre des substances nocives ou des objets dangereux et poursuivre le but plus général de promouvoir la santé. De fait la Cour a statué que « la perspective de favoriser ou de promouvoir la santé ... ne saurait constituer un objet principal de droit criminel »7. Cet élémentpermettait de distinguer l'objet de la Loi des objectifs traditionnels du droit criminel portant sur des substances qui « présentent intrinsèquement un péril pour la santé publique »8. Par conséquent, dans le cas des tests génétiques, il n'existait pas de « mal véritable pour la santé publique » qui justifierait le recours à la compétence enmatière de droit criminel9.

De plus, de l'avis de la Cour, la Loi était à sa face même d'une validité douteuse au plan constitutionnel car elle visait à régir les contrats de fourniture de biens et de services, un domaine qui relève de la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils10.

Conclusion

La décision se termine par une déclaration très claire sur les dangers d'une expansion indue de la compétence en matière de droit criminel et sur l'importance de maintenir un équilibre juste et fonctionnel entre les chefs de compétence fédéraux et provinciaux. La Cour souligne que « l'existence même d'un état fédéral dépend de la présence de cet équilibre entre le gouvernement central etles gouvernements provinciaux. [...] En somme, la compétence du Parlement sur le droit criminel ne peut être exercée lorsque l'objet de la loi ne se situe pas véritablement dans le cadre du droit criminel »11.

Le 16 janvier 2019, la Coalition canadienne pour l'équité génétique, une partie intervenante dans la cause, a déposé un avis d'appel à la Cour suprême du Canada en vertu de l'article 36 de la Loi sur la Cour suprême.12

Il s'agit d'un appel de plein droit. Par conséquent, l'affaire est garantie de se retrouver devant la Cour suprême. Seul le temps dira comment la plus haute cour du Canada va se prononcer.

Si la décision de la Cour d'appel est confirmée, il reviendra donc aux provinces de décider s'il y a lieu de légiférer pour la protection contre la discrimination génétique à l'intérieur des codes sur les droits de la personne ou de leur législation en matière d'assurance, ou encore dans une loi entièrement nouvelle.

Footnotes

1 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2018 QCCA 2193, para 1 [Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique].

2 Ibid., para 9.

3 Ibid.

4 Ibid., paras 9-10, 18-19.

5 Reference re Validity of Section 5 (a) Dairy Industry Act, [1949] RCS 1, para 49-50, cité dans Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra note 1, paras 12-13.

6 Voir respectivement Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can), 2000 CSC 31; R c Malmo-Levine, 2003 CSC 74; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199.

7 Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, supra note 1, para 21.

8 Ibid., para 24.

9 Ibid.

10 Ibid., para 14.

11 Ibid., para 26.

12 Loi sur la Cour suprême, LRC 1985, c S-26, art. 36.

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