Introduction

Le Code civil du Québec prévoit une protection particulière pour les personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble : le recours à l'hypothèque légale.

L'hypothèque légale est publiée contre l'immeuble sur lequel les travaux ont été exécutés et ne garantit que la plus-value apportée par ceux-ci.

1. Entrepreneurs généraux Lamba inc. c. JMO Climatisation inc., 2017 QCCS 974. (13 mars 2017) 

LES FAITS

En septembre 2013, l'Institut universitaire en santé mentale Douglas (ci-après le « Douglas ») retient les services d'Entrepreneurs généraux Lambda inc. et de Catalogna et Frères ltée (ci-après « Lambda ») pour l'agrandissement de l'un de ses pavillons. Dans le cadre de ce projet de construction, Lambda accorde ensuite un contrat de sous-traitance à J.M.O. Climatisation inc. (ci-après « JMO ») pour les travaux de ventilation, le tout au prix de 296 900 $ plus taxes.

Le 10 juillet 2015, JMO publie un avis d'hypothèque légale, alléguant avoir une créance de 207 456,10 $, taxes incluses, qui se compose notamment de « frais généraux de chantier » et de « coûts accessoires essentiels ». Lambda soutient toutefois que la Défenderesse a été entièrement payée pour les travaux qu'elle a effectués; à l'exception de la retenue contractuelle de 10 % qui devra être payée à la fin des travaux.

Le 21 décembre 2015, JMO publie un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire de vente sous contrôle de justice, réclamant ainsi sa créance de 207 456,10 $.

JMO affirme, au soutien de son droit hypothécaire, que sa créance correspond à une plus-value apportée à l'immeuble. Lambda conteste toutefois cette réclamation, étant d'avis que la créance de JMO ne coïncide avec aucune plus-value qui aurait été apportée à l'immeuble et, qu'en conséquence, sa réclamation ne peut faire l'objet d'une hypothèque légale.

Lambda demande au tribunal de radier l'inscription de l'avis d'hypothèque légale et le préavis d'exercice du droit hypothécaire aux fins d'une vente sous contrôle de justice, et de réduire la créance réclamée par JMO.

ANALYSE

L'article 2728 du Code civil du Québec prévoit clairement qu'une hypothèque légale de la construction peut seulement garantir la plus-value apportée à l'immeuble. La professeure Denise Pratte décrit la plus-value comme étant : « la différence de valeur qu'il y aurait sans cette amélioration »1. Il existe toutefois une présomption voulant que des travaux effectués sur un immeuble en augmentent sa valeur. Ainsi, pour inscrire une hypothèque légale de la construction, il n'est pas nécessaire de démontrer la valeur précise de la plus-value apportée à l'immeuble.

L'article 467 du Code de procédure civile du Québec indique que, dans le cadre d'une demande en révision ou en radiation d'une hypothèque légale de la construction, le tribunal doit examiner si, à première vue, la créance peut correspondre à une plus-value donnée à l'immeuble. Comme l'a décidé la Cour d'appel dans Société de cogénération de St-Félicien, Société en commandite/St-Félicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec inc.2, cet examen de la plus-value doit être fait à sa face même, l'absence de plus-value doit être évidente pour pouvoir radier ou réduire le montant d'une hypothèque légale. Le rôle du tribunal à ce stade est simplement de constater l'existence d'une plus-value, et non de mesurer sa valeur. Si le tribunal s'aperçoit qu'il n'y a aucune plus-value apportée à l'immeuble, il doit ordonner la radiation de l'hypothèque légale et du préavis d'exercice.

LA DÉCISION

En l'espèce, le tribunal est d'avis que certains éléments de la réclamation de JMO, notamment les frais de bureau et d'administration et les frais de gérant de projet, ont déjà été anticipés et payés par Lambda dans le prix initial prévu au contrat. Ainsi, la réclamation pour frais excédentaires prétendument encourus à ce titre ne représente pas une plus-value procurée à l'immeuble. Le tribunal ajoute également que la perte de profits réclamée par JMO dans sa réclamation n'ajoute rien à la plus-value que les travaux ont conférée à l'immeuble. Finalement, le tribunal estime que des travaux qui ne sont pas encore exécutés ou qui ne sont pas prévus au contrat ne peuvent pas apporter de plus-value.

Cependant, les travaux exécutés et liés aux retenues sont présumés donner une plus-value à l'immeuble, même si, selon Lambda, ces retenues n'étaient pas encore dues à JMO.

CONCLUSION

Puisque certains éléments de la réclamation de JMO ne démontrent pas une absence évidente de plus-value, le tribunal ne peut ordonner la radiation complète de l'hypothèque légale et du préavis d'exercice, mais il en réduit toutefois la valeur d'un montant de 148 317,82 $ taxes incluses, pour arriver à une hypothèque légale résiduelle de 59 138,28 $.

2. TMR3 Couvreur Inc. c. 6045901 Canada Inc., 2017 QCCS 985

Afin de protéger leurs droits, les intervenants à un projet de construction (à l'exception des ouvriers) qui souhaitent se prévaloir d'une hypothèque légale doivent avoir contracté directement avec le propriétaire ou avoir dénoncé par écrit leur contrat au propriétaire. Il existe toutefois certaines exceptions à l'exigence de la dénonciation écrite, notamment lorsque l'intervenant contracte avec le représentant du propriétaire ou avec une personne qui se présente comme étant le propriétaire.

Le 17 mars 2017, la Cour supérieure rendait un jugement sur le sujet et fournissait notamment des barèmes pour déterminer les circonstances dans lesquelles un intervenant est tenu de dénoncer son contrat au propriétaire afin de bénéficier de son droit à l'hypothèque légale.

LES FAITS

En 2013, Michel Harel et Martine Beaulieu (les « Propriétaires ») décident de se faire bâtir une nouvelle résidence. Ils retiennent à cette fin les services de 6045901 Canada Inc. (« Mirador »), dont ils ont rencontré le représentant, Stéphane Trépanier, alors que Mirador agissait comme entrepreneur général dans le cadre d'un autre projet immobilier.

Deux contrats sont signés entre Mirador et les Propriétaires : un contrat préliminaire de vente sur formulaire-type puis un contrat de gestion de projet de construction neuve.

Les demandeurs sont trois entrepreneurs spécialisés dont les services ont subséquemment été retenus dans le cadre du projet de construction : TMR3 Couvreur Inc., (« TMR3 »), MIF Mur À Sec (« MIF ») et 173491 Canada Inc. (« Isolation Gravel »). Ces entrepreneurs effectuent divers travaux sur l'immeuble des Propriétaires qu'ils facturent à Mirador. Celle-ci inclut par la suite ces factures à sa propre facturation qu'elle transmet directement aux Propriétaires. Les Propriétaires acquittent en totalité la facturation de Mirador. Cette dernière cède toutefois ses biens et les demandeurs ne sont jamais payés.

Les demandeurs font tous trois publier un avis d'hypothèque légale sur l'immeuble ainsi qu'un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire. Il n'est pas contesté qu'aucun d'entre eux n'a préalablement dénoncé son contrat aux Propriétaires.

Les demandeurs allèguent ne pas avoir eu à dénoncer leur contrat, car Mirador agissait comme gestionnaire de projet et pouvait donc être considérée comme une représentante autorisée des Propriétaires. Les Propriétaires réfutent cette prétention et affirment que Mirador agissait à titre d'entrepreneur général en vertu d'un contrat d'entreprise.

La nature du contrat entre les Propriétaires et Mirador ainsi que le rôle de Mirador dans ce projet sont donc au cSur du litige.

LA DÉCISION

En ce qui a trait au contrat liant les parties, la Cour supérieure est d'avis que le contrat intervenu entre Mirador et les Propriétaires est du type « entreprise hybride », soit à mi-chemin entre un contrat traditionnel d'entreprise générale et un contrat de gestion de projet. La Cour précise toutefois que la détermination exacte de la nature du lien contractuel entre ces parties n'est pas essentielle à la résolution du litige.

L'article 2728 du Code civil du Québec énonce une règle claire : un intervenant, exception faite de l'ouvrier, souhaitant bénéficier de son droit à l'hypothèque légale, se doit de dénoncer par écrit son contrat au propriétaire, à moins qu'il n'ait contracté directement avec lui.

La jurisprudence a d'ailleurs établi que la connaissance directe par le propriétaire de travaux exécutés par un sous-traitant ne vaut pas dénonciation au sens de l'article 2728 C.c.Q. Cela n'est donc pas suffisant pour dispenser un sous-traitant de l'obligation de dénoncer son contrat au propriétaire.

Cette dénonciation est nécessaire afin de permettre au propriétaire de réserver les sommes nécessaires pour payer tous les sous-traitants et fournisseurs ayant participé à la construction, et ainsi éviter que son immeuble se retrouve grevé d'un droit hypothécaire.

Cette dénonciation n'est toutefois pas requise lorsque l'entrepreneur spécialisé contracte avec un représentant du propriétaire ou avec une personne qui se présente comme étant le propriétaire. La jurisprudence a exposé au fil des ans des exemples clairs de ce principe : le conjoint du propriétaire, l'unique actionnaire d'une compagnie propriétaire, ou bien un locataire dûment autorisé à agir en lieu et place du propriétaire.

En l'espèce, la preuve démontre que Mirador ne s'est jamais présentée comme une représentante des Propriétaires. Il n'y a pas non plus de lien entre elle et ces derniers qui permettrait d'en arriver à cette conclusion. Le fait qu'elle se soit présentée aux entrepreneurs spécialisés comme étant gestionnaire du projet et non pas comme entrepreneur général ne suffit pas pour conclure qu'elle agissait à titre de représentante des Propriétaires.

La Cour estime plutôt que Mirador avait un rôle de maître d'Suvre vis-à-vis des entrepreneurs spécialisés. En effet, Mirador supervisait les travaux et s'occupait notamment d'obtenir les soumissions des entrepreneurs spécialisés et de faire les recommandations pertinentes aux Propriétaires. Elle était également responsable de la facturation de leurs travaux.

De plus, la preuve révèle que ni MIF ni Isolation Gravel ne connaissaient les Propriétaires. Ils ont fait affaire exclusivement avec Mirador et n'ont eu que très peu de contacts avec les Propriétaires.

La Cour s'appuie également sur deux (2) éléments factuels supplémentaires, soit la licence d'entrepreneur général de la Régie du bâtiment détenue par Mirador et l'avis d'hypothèque légale que cette dernière a fait inscrire sur l'immeuble des Propriétaires à titre d'entrepreneur général.

La Cour conclut donc que Mirador agissait à titre d'entrepreneur général sur le chantier, et non à titre de représentante ou d'alter ego des Propriétaires. En conséquence, MIF et Isolation Gravel devaient dénoncer par écrit leur contrat aux Propriétaires. Puisqu'ils ne l'ont pas fait, ils ne peuvent bénéficier du droit à l'hypothèque légale.

La situation de TMR3 est légèrement différente, puisqu'elle soutient avoir transigé directement avec les Propriétaires et non avec Mirador, comme l'ont fait MIF et Isolation Gravel.

À cet égard, la preuve démontre que ce sont les Propriétaires qui ont personnellement retenu les services de TMR3. Ils ont communiqué avec son représentant directement, l'ont rencontré et ont eu de nombreux échanges directs avec lui, notamment par courriel.

La Cour retient également que TMR3 a adressé sa soumission directement aux Propriétaires et qu'elle n'a facturé Mirador que sur demande de ceux-ci. TMR3 n'a jamais transigé avec Mirador.

La Cour en vient ainsi à la conclusion que TMR3 a contracté directement avec les Propriétaires, et, par conséquent, qu'elle n'avait pas à dénoncer son contrat par écrit. Son hypothèque légale sur l'immeuble des Propriétaires est donc valide.

CONCLUSION

Cette décision nous rappelle l'importance de la dénonciation écrite prévue à l'article 2728 C.c.Q. Un entrepreneur spécialisé qui ne transige pas directement avec le propriétaire met ses droits à risque s'il omet de dénoncer préalablement son contrat.

Cette décision nous enseigne également que, même lorsqu'un entrepreneur spécialisé contracte avec une personne qu'il présume être le représentant du propriétaire, il est plus prudent pour lui de dénoncer malgré tout son contrat au propriétaire, afin de s'assurer de préserver ses droits.

Cet article est paru dans le recueil de textes de la conférence Miller Thomson 2018 en droit de la construction 

Footnotes

1 Denise PRATTE, Les principales règles relatives aux priorités et aux hypothèques, dans Collection de droit 2016-2017, École du Barreau du Québec, vol. 6, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Montréal, Barreau du Québec, p. 155.

2 Société de cogénération de St-Félicien, Société en commandite/St-Félicien Cogeneration Limited Partnership c. Industries Falmec inc., 2005 QCCA 441

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